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Crise de l’eau au Maroc : « Il n’y a plus d’eau. Ils nous ont tués »

Crise de l’eau au Maroc : « Il n’y a plus d’eau. Ils nous ont tués »

À l’entrée de Zaio près de Nador dans le rif oriental marocain, une file de tracteurs est alignée. Des citernes sont accrochées aux tracteurs. Les agriculteurs viennent en ville chercher de l’eau, leurs puits sont à sec. La crise de l’eau s’aggrave au Maroc, à cause de la sécheresse qui touche le royaume depuis des années.

Sur les citernes, l’emblème national marocain et des banderoles exprimant le désarroi des agriculteurs face au manque d’eau. À côté des citernes, des bidons en plastique déposés tout au long du trottoir. Des bidons à usage domestique. Manifestement ces agriculteurs n’ont même plus d’eau potable pour leur famille.

Les chauffeurs sont une cinquantaine et se réunissent à proximité. Ils prennent la parole à tour de rôle et font part de leurs doléances sous des applaudissements. La chaîne web ZaioCity est présente.

Coiffé d’une casquette et bouteille d’eau à la main un agriculteur lance : « Honte à vous les responsables ! Longue vie à sa majesté. Nous ne sommes pas là contre la loi, mais cela fait trois ans qu’on est à l’arrêt. Il n’y a plus d’eau. Ils nous ont tués ».

Il interpelle les responsables en question et dénonce la gestion en matière de répartition de l’eau : « Cette situation est ignoble ». Au fur et à mesure de sa harangue, sa voix se fait moins forte. L’agriculteur est submergé par l’émotion.

Il clame son indignation et l’immobilisme des responsables locaux. Sa voix semble s’éteindre. « Bois de l’eau » lui lancent ses collègues qui font cercle autour de lui.

Il s’exécute et reprend : « Sans eau, on ne peut plus produire, on n’a plus de revenus ».

Parmi les citernes du convoi figurent celles de pulvérisateurs pour vergers. Pour une grande partie ces agriculteurs ont investi dans les arbres fruitiers.

Grâce aux subventions publiques, ils ont pu installer l’irrigation localisée par goutte à goutte et multiplier les hectares de plantations sur leur terre familiale auparavant consacrée à la culture de céréales. Nombreux sont aujourd’hui endettés auprès de fournisseurs qui traditionnellement sont payés après récolte. Sauf que cette année, il n’y aura pas de récolte.

Arrachage d’arbres fruitiers

Dans la campagne environnante, ZaioCity rapporte des images d’un récent arrachage d’arbres fruitiers d’une parcelle de 14 hectares. Une pelle mécanique creuse autour des arbres encore verts puis les arrache. Plus loin les arbres sont totalement desséchés.

Posés sur le sol au pied des arbres, les tuyaux de l’irrigation par goutte à goutte sont vides. Un agriculteur témoigne : « Certains ne viennent plus voir leur verger tant le spectacle leur fait mal au cœur ». Il ajoute : « Les fournisseurs de produits phytosanitaires et d’engrais leur ont fait crédit. Comment vont-ils les rembourser ? ».

Le convoi des manifestants se prépare à reprendre sa marche à travers la ville en direction de la fontaine de Sidi Abderrahmane. Symboliquement, ils veulent y remplir leurs bidons pour signifier qu’ils n’ont plus l’eau permettant d’assurer les besoins de leur famille.

Dans la presse locale, l’universitaire Mohamed Tahar Sraïri a expliqué à plusieurs reprises que dans des régions où il ne pleut que 350 mm par an, les agriculteurs ont été encouragés à planter des agrumes qui requièrent 1.200 à 1.500 mm d’eau ou des avocatiers qui réclament 1.200 à 1.600 mm d’eau. Une eau qui a été puisée dans les nappes ou dans les barrages aujourd’hui à sec ou réservés à l’adduction en eau potable des villes.

Un des organisateurs, casquette jaune sur la tête intervient et annonce que les services de sécurité interdisent la poursuite de la marche.

Il indique que si les agriculteurs sont venus en ville avec leurs tracteurs et leurs citernes c’est pour montrer « qu’ils meurent de soif ». D’un air résolu, il ajoute qu’ils poursuivront jusqu’à la fontaine pour remplir leurs bidons car, dans la campagne environnante, les habitants n’ont plus d’eau potable.

« Le seul slogan de notre marche est l’accès à l’eau », ajoute-t-il et s’étonne que les autorités soient « aujourd’hui préoccupées alors qu’elles n’ont pas pris de mesures auparavant ».

Il demande à ses collègues : « Est ce qu’un quelconque responsable local est venu vous voir ? Devons-nous laisser les gens mourir de soif ? »

Il lance à l’assistance : « Que d’autres personnes s’expriment encore puis nous reprendrons notre marche vers la fontaine ».

Un agriculteur prend la parole et indique que : « Les tracteurs sont venus chercher de l’eau et que ce n’est pas une manifestation mais que dans les prochains jours les choses risquent de changer ».

 Un intervenant s’interroge sur le fait que les « autorités de la ville se penchent seulement sur la question alors que depuis des années des jeunes quittent les villages et nombreux sont ceux qui sont morts en tentant de traverser la mer » pour émigrer clandestinement en Europe.

Il rappelle à l’intention des autorités locales : « Ce n’est pas une marche pour couper la route mais pour rejoindre la fontaine Sidi Abderrahmane ».

Au passage, il critique la façon dont les services hydraulique gèrent la distribution de l’eau dans la région et indique que certains agriculteurs des régions limitrophes sont avantagés.

Il est vivement applaudi.

Le convoi se remet en marche dans un concert de klaxon. Pour la plupart, il s’agit de tracteurs hors d’âge de marque Massey Fergusson. Quant aux citernes, elles sont de toute taille. Des agriculteurs suivent à pied avec des bidons à la main. Le convoi attire une foule de curieux.

À nouveau des explications de la part des organisateurs qui cette fois-ci utilisent un micro pour expliquer à la foule l’origine de la crise que vit la campagne environnante du Rif oriental marocain : « C’est une question de vie ou de mort et nous n’avons pas peur de la prison. Notre cause est noble ».

Un agriculteur s’inquiète de la répartition de l’eau prioritairement vers les agriculteurs des régions voisines qui sont sous contrat pour produire de la betterave à sucre.

Il explique que : « La rotation des tours d’eau n’a pas été respectée. La preuve est qu’à la place de chargements de betterave, ce sont ceux de carottes qui ont été vus ».

Un agriculteur appelle à la solidarité des habitants de Zaio : « Cette crise de l’eau ne concerne pas que les agriculteurs, mais tous les habitants de la ville. Avant l’agriculture était riche, mais aujourd’hui la ville va dépérir ».

À nouveau, il est question de répartition de l’eau au niveau du périmètre irrigué voisin. La foule scande : « L’eau doit revenir ». L’homme au micro explique que : « L’eau de l’oued Malek a été dirigée vers la ville de Nador. Nous ne sommes pas contre Nador. Nous sommes tous des Marocains, tous des musulmans. Mais nous n’avons pas d’eau alors que d’autres en ont 24 heures. La crise doit être partagée », conclut-il.

Les premiers agriculteurs accèdent enfin à la fontaine sous les yeux ébahis des habitants du quartier. Celle-ci est ornée d’une belle mosaïque et d’une rangée de robinets. Les premiers bidons sont remplis, mais la crise de l’eau au Maroc est loin d’être résolue.

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