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Crise de l’eau en Algérie : un plan d’urgence de 200 millions de dollars

Crise de l’eau en Algérie : un plan d’urgence de 200 millions de dollars

La crise de l’eau perdure à Tiaret. La grande ville des Hauts plateaux de l’Ouest algérien s’est retrouvée, début juin, sans eau après l’assèchement du barrage de Ben Khedda qui alimentait la wilaya.

Les autorités ont déployé un plan d’urgence pour remédier à la situation, mais la population mécontente, a mené de nombreuses actions de protestation pour exprimer sa colère et sa soif.

Deux importantes routes nationales reliant Tiaret à Oran et Mascara ont été barricadées par des manifestants durant l’Aïd-el-Kébir qui a été célébré dimanche 16 juin en Algérie.

Vendredi, la veille de cette fête religieuse, le ministre de l’Hydraulique, Taha Derbal s’est rendu une nouvelle fois dans cette wilaya où il a mis en service des installations de transfert d’eau depuis la zone de captage du Chott Chergui vers la ville de Tiaret. Un projet qui devrait réduire la tension en matière d’approvisionnement d’eau depuis l’assèchement du barrage de Bekhedda qui traditionnellement alimente la ville.

À cette occasion, le ministre de l’Hydraulique a annoncé le lancement d’un nouveau programme pour réduire la tension sur l’eau. Un type de programme où, à l’avenir, les agriculteurs pourraient avoir leur place.

Ce projet de transfert permettra d’approvisionner quotidiennement la ville de Tiaret avec 10.000 m³ d’eau, ce qui portera la capacité totale à 34.000 m³.

À cette occasion, le ministre a annoncé que « le 23 juin débuteront les travaux du projet d’approvisionnement en eau potable de 11 communes de la wilaya de Tiaret et la wilaya déléguée de Ksar Chellala, à partir du bassin de Djermaya », selon l’agence APS.

Pour faire face à la situation alors que d’autres régions du pays souffrent du manque d’eau, l’Algérie a dégagé une enveloppe de plus de 27 milliards de dinars algériens, soit un peu plus de 200 millions de dollars, pour mettre en œuvre des projets urgents au profit des zones exposées au stress hydrique dans le pays. Ce montant a été dévoilé lors de la même visite par Taha Derbal.

Gestion de l’eau en Algérie : la nécessité de changer d’approche

Lors d’un point de presse, le ministre a souligné que « les walis de la République ont reçu jeudi des correspondances pour contacter les gestionnaires des ressources en eau afin d’entamer, immédiatement, la mise en œuvre des projets soumis, qui comprennent des puits, des installations de stockage et d’autres pour mobiliser les ressources en eau, à condition que les délais de réalisation n’excèdent pas quatre mois ».

Ce programme s’apparente à des opérations de petite hydraulique à l’image de l’installation d’une station de pompage des eaux de l’oued Sebaou vers le barrage de Taksebt, dans la wilaya de Tizi-Ouzou.

En l’espace de quelques semaines en 2023, l’entreprise publique Cosider a installé plusieurs canalisations de gros diamètres et des pompes de forte puissance qui ont permis d’éviter que des dizaines de milliers de mètres cubes d’eau douce de l’oued Sebaou ne se jettent dans la mer.

L’hydrogéologue Malek Abdesselam de l’université de Tizi-Ouzou avait suggéré une telle opération et, à plusieurs reprises, s’était prononcé pour la construction de digues ou de stations de pompage.

Un autre exemple de réalisation concerne Mitidja avec une recharge artificielle de la nappe souterraine. Le creusement de bassins d’infiltration à proximité de l’oued El Hararch ont permis entre 2011 et 2014 une remontée du niveau de la nappe à la grande satisfaction des agriculteurs qui avaient vu leurs puits s’assécher. La chercheuse Djerad Hassiba de l’université de Blida a mesuré en 2015 « une augmentation du niveau piézométrique » de la nappe.

Il y a longtemps que les pratiques paysannes permettent de récolter l’eau des crues d’oueds. C’est le cas en milieu steppique où de simples retenues de terres et de cailloux permettent l’épandage des crues vers les champs.

Cette pratique requiert peu de moyens. De simples gabions ou des big bag remplis de gravier et de galets peuvent permettre de dévier les eaux et de contribuer à leur infiltration vers la nappe souterraine.

Le cas des agriculteurs du Mzab est connu mondialement comme un exemple de collecte des eaux de crues pour irriguer les palmeraies et recharger avec le surplus la nappe d’eau superficielle. Le cas des ghouts d’Oued Souf et des foggaras du Touat (Adrar) sont là également pour rappeler l’ingéniosité de la paysannerie algérienne à s’adapter à des environnements arides.

Cependant, le développement des forages a parfois relégué au second plan ces traditions ancestrales.

Défense et restauration des sols

De par les superficies occupées et les techniques employées, les agriculteurs ont une action directe sur les possibilités de mobilisation de l’eau des pluies.

C’est après la Seconde Guerre mondiale que l’administration coloniale a mis en œuvre des programmes de lutte contre l’érosion et de collecte des eaux en Algérie.

Dans le cadre de la défense et de la restauration des sols, des cordons de pierres et des banquettes de terre ont été installées avec l’emploi de bulldozers sur les sols en pente. Mais ces opérations, réalisées sans consultation des populations rurales, n’ont pas eu de succès.

Faute d’entretien, de nombreuses banquettes se sont effondrées et ont parfois accru le ravinement du sol. De 1985 à 1995, des chercheurs de l’Institut national de recherche forestière (Inrf) et de l’Institut français de recherche pour le développement (Ird) ont examiné l’état de plus de 300.000 hectares de banquettes en Algérie.

Il est apparu que « 20 % des banquettes ont été totalement effacées à la charrue par les paysans, tandis que 60 % n’ont jamais été entretenues et sont ravinées ou presque effacées ».

Plus grave, près de 70 % des paysans enquêtés se sont montrés hostiles aux banquettes installées sur leurs terres. « Elles entraînent une perte de surface cultivable », ont-ils déclaré.

Quant aux lacs collinaires, il est apparu que leur durée de vie n’était que de 4 à 10 ans contre 40 prévus. En cause, le fait que « les talus et exutoires ne sont pas entretenus régulièrement », une situation qui n’est pas sans conséquences sur l’envasement des barrages situés en aval.

Les images d’archives des années 1950 conservées par l’Institut français de l’audiovisuel (INA) montrant l’exportation de moutons vers la métropole témoignent de la surexploitation des pâturages naturels.

On y voit qu’une partie des bêtes exportées provenaient de troupeaux qui pâturaient la végétation des collines, ce qui a diminué le couvert végétal protégeant le sol contre l’érosion.

Dans de nombreuses régions d’Algérie, la multiplication des sentiers qui s’entrecroisent sur les pentes de ces collines témoignent de la perpétuation de cette pratique.

Si la présence d’animaux dans les sous-bois peut permettre un débroussaillage et contribuer à la réduction des incendies, la charge des animaux reste inadaptée pour permettre la régénération de la végétation.

Dès les années 1970, les coopératives d’élevage pastoral mises en place par les services agricoles dans le cadre de l’Association pour le Développement du Pastoralisme ont montré que, là où les parcours steppiques étaient protégés par des clôtures régulant la présence de moutons, la végétation était plus abondante.

Gestion de l’eau : ces techniques ancestrales qui ont fait leurs preuves

Progressivement, à partir du milieu des années 1980, une autre approche de la gestion des eaux de pluie a vu le jour en Algérie. C’est le cas à l’INRF où les chercheurs ont adopté une nouvelle approche visant à associer les agriculteurs et les populations rurales.

Cette approche est née de l’analyse critique des pratiques anciennes et de travaux expérimentaux. En 2012, un groupe international de chercheurs a établi le bilan de soixante années de recherches sur l’érosion hydrique et la lutte antiérosive au Maghreb.

Parmi leurs observations, il est apparu que pour réduire le ruissellement et l’érosion sur les sols en pente, le maintien d’une végétation herbacée était préférable aux seuls arbres.

Ainsi, en Tunisie, les oliviers sur sol nu ne réduisent l’érosion que de 10 % contre 80 % lorsque le sol est couvert à plus de 60 % par « une litière, un paillage ou des résidus de récolte ». Au Maroc, en présence de végétation naturelle, l’érosion ne dépasse pas 2 t/ha/an, mais dès que le sol est labouré, elle peut atteindre 20 t/ha/an.

Il a été observé qu’en remplaçant le semis direct au labour, l’infiltration de l’eau dans le sol était augmentée de 30 %. Or, en Algérie, le labour reste pratiqué sur 7 millions d’hectares de terres agricoles.

Dans les régions aux sols érodés, pour freiner l’écoulement de l’eau dans des ravins, les chercheurs de l’INRF et de l’IRD ont aménagé des seuils avec les moyens les plus divers : gabions, pierres sèches, grillage, pneus usagés, sacs d’engrais ; puis ils ont planté des arbres fruitiers et des fourrages.

Progressivement, ils ont noté que « la ravine s’est transformée en oasis linéaire où la biodiversité a été recréée, tandis que la dynamique de l’eau a été profondément améliorée ». Mieux, revenant dix années après sur les lieux, ils ont constaté que : « Ces aménagements sont encore efficaces ».

Ces « méthodes douces » contrairement aux anciennes banquettes aménagées à l’aide d’engins de chantier, sont gérées par les paysans et permettent de capter les eaux de surface.

C’est le cas avec l’installation de digues au fonds des ravins, de cordons de pierres sèches, de cultures en courbe de niveau, de paillage ou de bandes enherbées aboutissant progressivement à l’établissement de terrasses. En Tunisie, la réalisation de cordons de pierres a réduit les crues de l’oued Zioud.

Comme l’affirment les auteurs de ce bilan : « Cette approche de la gestion durable de l’eau et de la productivité des sols interpelle les paysans, car elle leur restitue leur liberté d’innover. Elle a permis de restituer les techniques traditionnelles de gestion de l’eau et de la fertilité des sols de montagne dans le cadre d’un développement rural rénové ».

Cette approche nouvelle est également prise en compte au niveau du Barrage vert, cette gigantesque ceinture verte conçue pour stopper l’avancée du désert en Algérie.

En août 2023, Saliha Fortas, directrice de la lutte contre la désertification et du barrage auprès de la Direction générale des forêts (DGF) vert, indiquait à propos de ce projet : « Sa réhabilitation et son extension, relancées actuellement dans le cadre d’une stratégie rénovée, vont contribuer davantage à la prospérité des populations vivant dans ses espaces ».

Une approche visible à travers les espèces choisies : « Parmi ces espèces, nous avons les arbres rustiques tels l’olivier, le pistachier, l’amandier et le caroubier », avait-elle confié à l’agence APS.

De son côté, l’association Torba pour le développement en Algérie de l’agro-écologie vulgarise l’installation de « swales » sur les sols en pente au niveau des petites exploitations agricoles dans les montagnes (Babors, Djurdjura, Tlemcen). Ces tranchées réalisées, selon les courbes de niveau, permettent de retenir l’eau des orages et assurent son infiltration.

Une gestion de l’eau par des structures peu complexes

La crise de l’eau qu’a connue la wilaya de Tiaret a servi de révélateur des effets du réchauffement climatique en Algérie.

L’expérience de ces 60 dernières années montre que la gestion de l’eau peut concerner le secteur agricole et passer par des structures peu complexes : haies en bordure de champs, murets de pierres, cuvettes en demi-lune autour des oliviers, cordons de pierres, terrasses progressives.

Il s’agit de techniques connues des paysans et qui n’exigent pas de moyens mécaniques lourds. Ces résultats ont souvent été obtenus à travers de petits financements et une coopération entre chercheurs maghrébins et européens.

Pour ces chercheurs, la rapidité de l’érosion pose un problème grave concernant « l’alimentation future d’une population en pleine croissance au Maghreb, puisqu’elle double tous les 25 ans ».

Aussi recommandent-ils de faire connaître les ouvrages traditionnels et d’encourager les pratiques vertueuses. Certains chercheurs se prononcent pour l’attribution de subventions aux agriculteurs adoptant ces pratiques au titre de services écologiques rendus à la société. La réduction du labour ou de la vaine pâture peut, en effet, contribuer à réduire l’envasement des barrages.

Ce sont là de nouveaux moyens dans la lutte contre le stress hydrique généralisé qui s’installe progressivement sur l’ensemble du Maghreb.

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