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Crise d’eau en Algérie : Tiaret sonne l’alarme

Crise d’eau en Algérie : Tiaret sonne l’alarme

Tiaret s’est réveillée cette semaine avec une grave pénurie d’eau. Chose rare, le problème a été traité au niveau du Conseil des ministres dimanche 2 juin, et qui risque de se poser dans d’autres régions d’Algérie pour plusieurs raisons. Que s’est-il passé et comment la wilaya de Tiaret s’est-elle retrouvée dans cette situation ?

Selon Ali Bouguerra, le wali de Tiaret, la wilaya devrait être, à l’avenir, approvisionnée en eau par la station de dessalement d’eau de mer de Mostaganem. Une alternative aux faibles capacités du barrage de Bekhedda qui ne suffit plus aux besoins d’une population locale inquiète du fait des coupures d’eau.

Le ministre de l’Hydraulique présente ses excuses

Cette annonce a été faite fin mai à l’occasion d’une rencontre avec la presse. Depuis, la situation s’est brutalement détériorée. Lors du Conseil des ministres tenu dimanche 2 juin, un plan d’urgence a été mis en œuvre afin de mettre fin à ces coupures d’eau et les ministres de l’Intérieur et de l’Hydraulique en eau se sont rendus lundi 3 juin à Tiaret.

Lors du Conseil des ministres, le président Tebboune a ordonné au gouvernement de régler le problème dans un « délai de 48 heures » et le ministre de l’Intérieur a déclaré le lendemain que l’eau coulera à flots à Tiaret avant l’Aïd-el-Kébir qui sera célébré dans 10 jours en Algérie.

Mercredi, le directeur de l’ADE et de l’Hydraulique de cette wilaya ont été limogés, selon plusieurs médias. Lors de sa visite à Tiaret, le ministre de l’Hydraulique, Taha Derbal a présenté ses excuses aux habitants de Tiaret.

« Je présente mes excuses, parce que cela ne fait pas partie de nos traditions […] Le président de la République a toujours donné des instructions fermes pour prendre en charge le service public », a-t-il déclaré, en reconnaissant des retards dans la réalisation de certains projets.

Depuis trois ans, la wilaya de Tiaret connaît une grave pénurie en eau qui affecte la plupart des communes. C’est traditionnellement le barrage de Bekhedda qui assure 80 % de l’approvisionnement en eau, le reste provenant de forages. Cependant, du fait de la sécheresse qui a frappé ces dernières années cette wilaya et de nombreuses régions d’Algérie, les faibles réserves en eau du barrage Bekhedda ne permettent plus aucun approvisionnement.

Depuis plusieurs mois, les services de l’hydraulique ont mené à bien des opérations de transfert d’eau et de citernage qui permettent de remplir des bâches à eau et des citernes situées sur les terrasses des immeubles et d’assurer l’approvisionnement des quartiers et communes les plus touchées.

Les habitants de certaines de ces communes n’ont plus accès à l’eau, si ce n’est qu’une fois toutes les semaines et dans les cas les plus graves, qu’une fois tous les quinze jours.

Crise de l’eau à Tiaret : de nouveaux projets sont en cours

Au niveau du Chott Chergui, les projets en cours de réalisation devraient permettre de transférer quotidiennement 10.000 m³ vers la ville de Tiaret. Ce sont 5 entreprises qui travaillent de concert pour poser une canalisation sur 42 km, dont 17 ont été déjà réalisés selon le quotidien El Watan. Le défi est de livrer cette réalisation avec 2 mois d’avance sur le calendrier initialement prévu.

À Adjarmaya, dans la commune de Zemala Abdelkader, une canalisation de 120 km devrait, à l’avenir, alimenter en eau les villes de Ksar Chellala, Aïn Dzarit, Mahdia et Tiaret grâce à 19 forages permettant de délivrer 30.000 m³ par jour. Déjà, les 4 forages de Mina et de Tousnina permettent la fourniture de 4.000 m³/jour.

Le recours au citernage, cet approvisionnement en eau des habitants par camion-citerne, devrait être développé, dans cette wilaya des hauts plateaux de l’Ouest algérien.

Fin mai, ce sont 82 camions en provenance de différentes wilayas qui ont été mobilisés, permettant un approvisionnement de 820 m³/jour. Début juin, suite au plan d’urgence gouvernemental, ce nombre de camions a été porté à 104, indique la presse locale, et les moyens pour le forage de 4.000 mètres linéaires ont été débloqués en faveur des communes de Rechaïga, Rahouia, Sidi Bakhti et Mechraa Safa.

La part de l’agriculture

En 2021, le ministère des Ressources en eau et de la Sécurité hydrique indiquait que sur les 11,2 milliards de m³ disponibles annuellement, 7,3 milliards de m³ sont consacrés à l’agriculture, soit plus de 70 %. Un pourcentage qui reste à moduler selon les localités.

En 2017, la commune de Hamadia et ses 30.000 habitants ont connu un manque sévère en eau. Pourtant, celle-ci se situe à proximité de Rechaïga, une région particulièrement riche en eau.

Ce paradoxe est expliqué par le directeur de wilaya des ressources en eau qui indiquait, en 2021 dans la presse locale, que le manque d’eau à Hamadia était dû « à la surexploitation de l’eau souterraine, vu le nombre très important de forages destinés à l’irrigation agricole ».

Outre la production de pomme de terre et d’oignon, des investisseurs de la région de Blida ont réalisé, au début des années 2000, des plantations fruitières au niveau du périmètre de Radjoul qui porte aujourd’hui le titre de « Mitidja des Hauts Plateaux ».

En janvier 2024, l’agence APS vantait l’engouement pour la plantation d’arbres fruitiers, dont 275 hectares de pêchers et 125 hectares de pommiers. Des arbres qui nécessitent annuellement 760 mm d’eau pour les premiers et jusqu’à 900 mm pour les seconds, soit des besoins en eau de 5.000 à 7.000 m³ par hectare. Situé en zone steppique, Rechaïga ne reçoit que 250 mm de pluie contre 600 mm à Mitidja, aussi le complément est-il puisé dans les nappes souterraines ?

À cela, s’ajoute le mode d’irrigation utilisé. Co-auteur d’une étude sur la région, Alaeddine Derderi de l’École nationale Supérieure Agronomique d’Alger indiquait en 2019 que « le plus répandu dans la commune de Rechaïga est l’aspersion ».

Il ajoutait : « Le recours au goutte-à-goutte concerne les cultures maraîchères, avec environ 13 % de la superficie totale irriguée ».

Or l’aspersion ne permet qu’une efficacité d’utilisation de l’eau de 80 % contre 95 % pour l’irrigation par goutte à goutte, selon les spécialistes. Et des études montrent qu’au Maghreb, ce mode d’irrigation est souvent accompagné de surdoses d’eau.

Rechaïga a vu l’arrivée d’investisseurs agricoles en provenance de Mascara qui ont développé la culture de la pastèque et du melon, deux fruits dont la culture nécessite beaucoup d’eau, surtout pour le premier.

« Deux à trois graines de pastèque ou de melon sont plantées par trou. Pour le melon, les pratiques de semis évoluent rapidement ; certains agriculteurs itinérants et propriétaires recourent à la technique de transplantation de plants préparés en pépinière », décrit Alaeddine Derderi.

Il s’alarmait que « dans le périmètre d’Elmechti, la profondeur des forages exploités à la fin des années 1990 était en moyenne de 60 mètres, aujourd’hui, elle est à 130 mètres ».

Pour contrer la baisse des débits en eau et l’assèchement des forages, de nombreux agriculteurs approfondissent leur forage, abandonnant pour cela la technique syrienne du battage pour celle du rotary qui permet d’aller au-delà de 100 mètres.

En hiver 2023, les services de wilaya de Tiaret ont attribué 1.367 autorisations de forages. Un « guichet unique » a été instauré afin de faciliter les démarches de l’administration qui avait décrété que tout dossier devait être traité dans les dix jours.

Cependant, suite au manque de pluie à la mi-mai, la plupart des autorisations situées dans la « zone rouge » définie par ces mêmes services, ont été gelées. Des services, qui selon la cellule de communication de la wilaya, indiquaient que les bénéficiaires d’autorisations de prélèvements pour 3 litres/seconde prélevaient en fait 10 à 15 L/seconde.

L’Algérie mise sur le dessalement de l’eau de mer

En mai 2023, Mohamed Deramchi, directeur général de l’Agence nationale de gestion intégrée des ressources en eau (Agire), a détaillé le programme de réalisation en matière de dessalement de l’eau de mer en Algérie.

« Le besoin national en eau potable est estimé à 3,4 milliards m³, qui est une quantité déjà assurée. Si l’on ajoute les 1,5 milliard m³ par jour produit par les 5 stations de dessalement d’eau de mer qui vont être lancées d’ici la fin de l’année 2024, nous allons pouvoir couvrir la totalité des besoins des citoyens en eau potable », a-t-il détaillé lors d’un entretien sur la Radio algérienne.

Il décrivait alors l’importance de ce programme en rappelant le déficit hydrique de l’Algérie : « Depuis quatre ans, nos barrages, qui ont une capacité entre 8 milliards  m³ et 10 milliards m³, n’ont pu cumuler que moins de la moitié ».

Le recours au dessalement devrait profondément modifier l’origine de l’eau mobilisée : « D’ici 2030, et avec la mise en service de six autres stations de dessalement, dont les travaux de réalisation seront lancés en 2025, le taux d’eau potable issu du dessalement couvrira 60 % des besoins nationaux », avait-il poursuivi.

En février 2023 lors d’un entretien télévisé, Amine Hamdane, directeur général adjoint de la SEAAL, pronostiquait que « 80 % des citoyens de la capitale seront alimentés à 100 % quotidiennement ». Actuellement, certains quartiers de la capitale ne sont alimentés que de 7 h 00 à 10 h 00.

Selon Amine Hamdane, la situation devrait s’améliorer « avec les programmes qui seront mis en application en coopération avec la Direction des ressources en eau de la capitale et l’usine de dessalement de Korso, la capacité de production passera de 900 à 950.000 mètres cubes par jour pour la wilaya d’Alger ».

La wilaya de Tiaret, qui est située à plus de 150 km des côtes de la Méditerranée, quant à elle, ne peut pas bénéficier immédiatement de l’apport du dessalement de l’eau de mer. Elle reste impactée par un fort déficit en pluies alors que de nombreuses nappes souterraines font l’objet d’un important rabattement, voire d’un assèchement.

Entre besoins de l’agriculture et adduction en eau potable, la solution pourrait venir de contrats de nappe. Une procédure qui permet de réunir dans chaque région l’ensemble des utilisateurs et de définir ainsi le niveau de prélèvement annuel possible dans une optique de durabilité.

L’exemple de Tiaret peut se produire dans d’autres régions d’Algérie si des mesures ne sont pas prises pour une gestion plus efficace des ressources en eau disponibles dans un contexte de sécheresse endémique.

En dépit du manque de pluies, les agriculteurs ont continué à planter, sans restrictions, des cultures consommatrices d’eau comme la pastèque, et aucun plan d’économie d’eau n’a été lancé pour réduire la consommation des ménages, des industriels et des agriculteurs.

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