Pourtant véhément à l’égard du Qatar au début du blocus, le président américain veut désormais servir de médiateur pour solutionner cette crise qui s’enlise. Le rapprochement récent de l’émirat avec l’Iran a certainement dû alerter Washington, étant donné le rôle central de Doha dans la gestion des conflits dans la région.
La crise diplomatique entre le quartet emmené par l’Arabie saoudite et le Qatar dure depuis maintenant 100 jours, et les discussions sont au point au mort. En juillet, Riyad et ses alliés ont exigé de Doha qu’il accepte six principes pour redémarrer les négociations. Selon nos informations, le Qatar a donné sa réponse mi-août à l’émir du Koweït, médiateur dans cette crise. Pour l’instant le contenu de cette réponse demeure secret et ni Riyad, ni Abou Dhabi n’a formulé de retour.
Pour résoudre cette querelle inédite depuis des décennies dans la région, un homme d’Etat, et pas des moindres, a récemment proposé ses services de médiation : le président américain Donald Trump.
“Si je peux aider à servir de médiateur entre le Qatar et, en particulier, les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite, je suis disposé à le faire, et je pense qu’on aurait un arrangement négocié très rapidement”, a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse jeudi dernier en présence de l’émir du Koweït, qui joue les intermédiaires depuis le début de la crise.
La première médiation s’est soldée par un échec
Dès le lendemain, le locataire de la Maison-Blanche a fait sa première intervention en organisant un entretien téléphonique entre les deux parties. Donald Trump a discuté séparément avec le prince héritier saoudien, celui des Emirats arabes unis et l’émir du Qatar, a annoncé la Maison-Blanche. Le président américain a alors souligné la nécessité de l’unité entre les partenaires arabes de Washington en vue de promouvoir la stabilité de la région et de contrer la menace de l’Iran, précise le Bureau ovale dans un communiqué.
Selon l’agence de presse qatarie QNA, l’émir du Qatar et le prince héritier saoudien “ont souligné la nécessité de résoudre la crise en s’asseyant à la table du dialogue pour garantir l’unité et la stabilité des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG)”. Le cheikh Tamim ben Hamad al Thani a accueilli la proposition du prince Mohamed, de nommer “deux envoyés pour résoudre les questions litigieuses d’une manière qui n’affecte pas la souveraineté des Etats”, a ajouté l’agence qatarie.
L’Arabie saoudite a publié un communiqué relayé par l’agence de presse SPA démentant les informations de QNA, jugeant qu’elles représentaient une “poursuite de la distorsion des faits de l’autorité qatarie”. En conséquence, Riyad a annoncé “la suspension de tout dialogue ou communication avec les autorités du Qatar jusqu’à ce qu’une déclaration précise soit publiée pour clarifier sa position publique”.
Donald Trump avait initialement pris le partie de Riyad
Le locataire de la Maison-Blanche doit donc faire mieux s’il compte réconcilier les deux parties. En revanche, il semble avoir mis de l’eau dans son vin depuis le début de la crise, car Donald Trump n’a pas toujours eu ce discours neutre sur ce dossier. Lorsque le quartet – Arabie saoudite, Emirats arabes unis (EAU), Bahreïn et Egypte – ont annoncé le blocus le 5 juin, accusant le Qatar de financer le terrorisme et de complaisance avec l’Iran, Donald Trump a rapidement choisi d’accabler Doha.
“La Nation du Qatar a historiquement financé le terrorisme à un très haut niveau”, a-t-il accusé le 9 juin depuis la Maison-Blanche. “J’ai décidé avec le secrétaire d’Etat Rex Tillerson, nos grands généraux et militaires, que l’heure est venue de demander au Qatar d’en finir avec ses financements.”
Le président américain a même déclaré qu’il avait aidé Riyad et ses alliés à prendre la décision de rompre leurs relations avec le Qatar, durant son voyage en Arabie saoudite fin mai, rapporte CNN. “Les Nations sont venues ensemble et m’ont parlé de discuter ouvertement avec le Qatar de son comportement”, a-t-il confié. Bref, au premier abord, Donald Trump avait choisi de soutenir Riyad. Sans doute les accords commerciaux de 380 milliards de dollars signés par ce dernier le 20 mai avait incité le président américain, ancien homme d’affaires chevronné, à se ranger de son côté. Même si plusieurs de ces deals avaient déjà été conclus sous l’administration Obama, comme le détaille le Washington Post.
Le président américain Donald Trump (au centre à gauche) et le roi d’Arabie saoudite Salmane ben Abdelaziz Al Saoud (au centre à droite), à Riyad le 21 mai.
Doha et Washington ont signé un accord de lutte contre le terrorisme
Si le secrétaire d’Etat Rex Tillerson partageait cette position publiquement, il employait un ton bien plus mesuré que Donald Trump. Il faut dire que le Qatar abrite la plus grande base militaire aérienne américaine au Moyen-Orient, d’où sont lancées les opérations contre l’Etat islamique…
En tant qu’ancien patron du géant pétrolier et gazier américain ExxonMobil, Rex Tillerson a noué des liens étroits avec l’émir du deuxième fournisseur mondial de gaz. Début juillet, le secrétaire d’Etat s’est rendu à Doha et a signé un accord de lutte contre le terrorisme. Dans la foulée, l’émir cheickh Tamim ben Hamad al-Thani a amendé une loi anti-terroriste, premier signe de détente dans la crise. Rex Tillerson avait fait part de sa satisfaction et appelé le quartet à lever “le blocus terrestre” imposé au Qatar.
Le Qatar se rapproche de l’Iran, l’axe du “Mal” pour Trump
Cela n’a pas été jugé suffisant par Riyad et ses alliés. Ils ont transmis à Doha en juillet une liste de 13 conditions à une sortie de crise, incluant la fermeture de la chaîne de télévision qatarie Al-Jazeera, accusée de servir de propagande à des organisations considérées comme terroristes comme les Frères musulmans. Estimant que ces exigences relevaient d’une attaque à sa souveraineté, le Qatar les a rejetées. Le quartet a alors résumé ses conditions en six principes et depuis la situation n’a pas avancé comme indiqué plus haut.
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Face au statut quo, Doha a choisi d’avancer ses pions de son côté et de sortir de son isolement en se tournant vers l’Iran. L’émirat a annoncé, fin août, le retour de son ambassadeur à Téhéran, un premier pas dans l’objectif de “renforcer les relations bilatérales avec la République islamique dans tous les domaines”, selon les mots du ministère des Affaires étrangères. Cette annonce n’a pas dû ravir ses voisins, ni le président américain. Lors de sa tournée diplomatique au Moyen-Orient, Donald Trump avait défini un axe du “Mal”composé de l’Etat islamique… et de l’Iran.
Sans doute la Maison-Blanche, qui ne cesse d’accuser Téhéran de ne pas respecter les accords sur le nucléaire, a dû réagir face à la possibilité que l’un de ses alliés majeurs dans la région ne se lie de trop près avec son adversaire. Petite péninsule du Golfe persique, l’émirat s’est installé sur la scène internationale en jouant un rôle de médiation dans les conflits régionaux. Le Qatar accueille des représentants de groupes comme le Hamas et les Talibans notamment, permettant par exemple aux Etats-Unis de négocier avec ces derniers au sujet de la guerre en Afghanistan. De quoi expliquer en partie, la volonté de Washington de résoudre cette crise et vite.