Comment appréciez-vous le rôle de l’Algérie dans les tentatives de règlement de la crise libyenne ?
Kedidir Mansour, politologue. Le moins qu’on puisse dire est que dans le conflit libyen comme au Sahel, la diplomatie algérienne hésite. Elle semble qu’elle a perdu le sens des réalités géopolitiques régionales depuis longtemps. Comment expliquer ce tâtonnement qu’on essaie de nous présenter comme un repli stratégique et une certaine prudence ? Au regard de son passé glorieux des premières décennies post-indépendance, où elle a pu, à la faveur d’un tiers-mondisme triomphant, se tailler une posture presque messianique, tout observateur avisé est frappé, actuellement, par l’absence de la Realpolitik et un manque de vision stratégique. Nous avançons les raisons suivantes.
En premier, la politique étrangère algérienne demeure encore prisonnière d’une approche warlikes qui signifie qu’elle conçoit encore le monde selon la logique nous/eux. La seconde a trait à l’esprit corporatiste et carriériste de la diplomatie qui fait qu’elle s’est éloignée des centres de recherche universitaire et académique dont les travaux peuvent nourrir son action. La troisième renvoie au rôle hégémonique de l’ancien président de la République. Bien avant que sa maladie ne l’empêchât d’exercer ses attributions constitutionnelles, – la politique étrangère étant son domaine réservé-, il avait rivé la diplomatie sur une époque révolue, préférant user de tactique face à des conjonctures qui demandent une approche stratégique. La quatrième raison se rapporte à l’ordre interne. Dès la fin des années quatre-vingt, fragilisé par des perturbations internes, l’Etat algérien n’a pas accordé d’intérêt aux bouleversements géopolitiques à l’échelle régionale.
Toutes ces raisons font que l’Algérie n’avait pas saisi l’importance de sa position d’Etat pivot dans la région qui l’aurait amené à s’impliquer davantage dans le règlement de la crise libyenne. A mon sens, les Libyens, des deux camps seront ravis et réconfortés que l’Algérie exprime sa volonté de jouer un rôle majeur dans le conflit. D’ailleurs, elle vient de proposer l’organisation d’une réunion entre les parties belligérantes, c’est un pas qu’elle devait consolider par des actions continues, son soutien à l’émissaire des Nations unies et des consultations avec les Etats voisins, l’Union européenne et la Turquie, puisque cette dernière s’est imposée, dans la question libyenne, dans des circonstances particulières. Je pense que le président de la République gagnerait à désigner un conseiller spécial qui sera chargé de ce dossier.
L’Algérie a de tout temps prôné le principe de non-ingérence dans les affaires internes des pays. Pensez-vous que cette position lui a été toujours profitable ?
Il s’agit d’une perception faussée. Dans le contexte géopolitique régional, caractérisé par une mondialisation à l’œuvre, le principe de non-ingérence passe par le prisme de la conception que se fait chaque Etat de sa sécurité nationale. Devant une instabilité endémique au Sahel et la guerre civile en Libye, – conflictualités qui risquent de se répandre par capillarité au Sud algérien, la politique étrangère nécessite une refondation en tenant compte de la profondeur stratégique de l’Etat algérien. Cette profondeur n’a jamais été, malheureusement, définie et élaborée.
Proposer une mission de bons offices et d’arbitrage aux Etats voisins qui risquent de s’effondrer alors qu’on les avait ignorés dans le passé, hypothèque l’action diplomatique en butte, déjà, à des problèmes structurels.
A juger la position actuelle de l’Algérie, je dirais que si elle a prémuni l’Etat d’un engagement diplomatique manifeste, elle l’a desservi en laissant le champ libre à d’autres puissances. Cette posture travaille en sa défaveur pour reconquérir son rang, du moins à l’échelle régionale. De par sa centralité dans la région, ses liens historiques, culturels et religieux avec ses voisins du Sud et du Maghreb, l’Algérie est appelée à reconstruire sa politique étrangère sur la base d’une démarche rationnelle qui tient compte de la nature instable de la région, de l’identification des risques majeurs, présents et futurs, et les différentes variables de la géopolitique.
Pensez-vous qu’une solution politique est encore possible en Libye ?
Clausewitz (général prussien, Ndlr) déclarait que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Cela signifie que tout conflit s’achève dans une solution politique. S’il est vrai que la complexité du conflit libyen est plus déterminée par la nature tribale de la société libyenne, encore non socialisée, il n’en reste pas moins qu’un règlement politique parait être la seule voie pour enterrer le conflit. Même si nous sommes devant des adversaires dont le mental a été forgé dans la rudesse bédouine, l’Algérie est plus apte à s’impliquer dans le règlement de cette crise.
Outre une frontière longue de 982 kilomètres, l’Algérie et la Libye partagent une histoire millénaire, une langue et une religion communes et leurs peuples, longtemps échaudés par des systèmes autoritaires, aspirent aux mêmes idéaux de liberté et de démocratie. En mobilisant toutes les ressources politiques possibles, l’Algérie montrera qu’elle est capable d’assumer pleinement sa posture d’Etat pivot.