On l’attendait sur le front interne où le mouvement populaire lui donnait –et lui donne encore- du fil à retordre, mais c’est sur la scène internationale que le nouveau président algérien, Abdelmadjid Tebboune, marque ses premiers points pour les débuts de son mandat.
Ce dimanche 19 janvier, il participe à la conférence de Berlin sur la crise libyenne, à l’invitation de l’Allemagne. La présence de l’Algérie à ce conclave est d’autant plus significative que les autres pays du Maghreb n’y ont pas été conviés. On pense notamment au Maroc, sous les auspices duquel avaient pourtant été signés en 2015 les accords de Skhirat ayant donné naissance au gouvernement d’entente nationale (GNA), et surtout, à la Tunisie, le pays le plus exposé de par sa position aux périls qui découleraient d’une éventuelle dégradation de la situation en Libye.
Avant de se retrouver autour d’une table avec les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU, du pays hôte, de l’Italie, de l’Égypte, des Émirats arabes unis, de la Turquie et des deux belligérants libyens, il faut dire que l’Algérie a frôlé l’humiliation, la pire peut-être de l’histoire de sa diplomatie.
L’issue de la crise libyenne qui se joue à ses frontières allait se décider sans elle, l’Allemagne n’ayant pas jugé utile de la convier à la conférence prévue initialement en octobre dernier avant d’être reportée. Même le président turc qui a fait une intrusion spectaculaire dans le dossier en décidant d’y intervenir militairement, avait choisi de se rendre à Tunis plutôt qu’à Alger pour tenter d’obtenir le ralliement des pays de la région à sa position favorable pour une des parties en conflit.
On peut penser que l’imminence d’une guerre ouverte sur le territoire libyen et cette visite de Recep Erdogan chez le voisin de l’Est, au cours de laquelle il a appelé à « impliquer » les pays de la région, dont l’Algérie, dans le règlement de la crise, furent les déclencheurs du réveil brutal de la diplomatie algérienne dans ce dossier.
Mais il y a aussi, et surtout, le changement survenu en interne avec l’élection présidentielle du 12 décembre qui a, du moins officiellement, fermé la parenthèse de la transition ouverte en avril. L’investiture de Abdelmadjid Tebboune a eu lieu le 19 décembre et Erdogan a lancé son appel à impliquer l’Algérie moins d’une semaine plus tard, le 25.
La suite sera un ballet diplomatique à Alger comme le pays n’en a pas connu depuis l’âge d’or de sa diplomatie dans les années 1970-80. Les ministres des Affaires étrangères turc et égyptien, le chef du GNA libyen, des émissaires du maréchal Khalifa Haftar puis le chef du gouvernement italien ont défilé tour à tour dans la capitale algérienne en seulement quelques jours.
L’éclipse des dernières années du règne de Bouteflika
Dans le même temps, la chancelière allemande appelle le chef de l’État et l’invite officiellement pour prendre part à la conférence de Berlin et à effectuer une visite ultérieure en Allemagne. Le chef de la diplomatie égyptienne est aussi venu avec dans sa mallette une invitation similaire du président Al-Sissi pour son homologue algérien. Pour sa part, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, est attendu en milieu de semaine prochaine à Alger.
Le retour de la diplomatie algérienne pourrait donc être plus que conjoncturel et ne pas se limiter à quelque rôle dans le règlement de la crise libyenne. Cela fait près d’une décennie que le président algérien ne se déplace à l’étranger que pour se soigner. Le niveau de sa représentation aux différents sommets – ministre des Affaires étrangères, Premier ministre ou président du Sénat dans le meilleur des cas- ne pouvait permettre à l’Algérie de prétendre à mieux que des strapontins dans les conclaves ou des positions en arrière-plan sur les photos de famille.
Le paradoxe de la politique étrangère de Bouteflika, est qu’il en avait fait l’une de ses priorités durant les premières années de sa présidence avant de la paralyser presque entièrement durant ses deux derniers mandats. « Les changements survenus récemment en Algérie pourraient avoir des répercussions positives sur le rôle de la diplomatie algérienne à l’avenir. Il faut reconnaître que la maladie de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika avait tétanisé la diplomatie algérienne, sachant qu’il ne pouvait plus se déplacer ou recevoir les hôtes étrangers, alors qu’il avait concentré à son niveau toute la politique étrangère », analysait début janvier le diplomate et ancien ministre Abdelaziz Rahabi.
L’élection d’un président -nonobstant les conditions de la tenue du scrutin et le faible taux de participation- était donc primordiale pour la revitalisation du rôle de l’Algérie sur la scène internationale.
Des principes immuables
Le reste ne pouvait pas être compliqué outre mesure pour une diplomatie qui garde encore ses atouts en dépit de la longue éclipse des dernières années du règne de Bouteflika : un personnel diplomatique chevronné, l’aura de son âge d’or et des dogmes dont l’immuabilité impose le respect, tout au moins la compréhension.
« Nous avons défendu le principe d’autodétermination pour Belize, pour Brunei, pour Timor. Je ne peux pas imaginer que l’Algérie puisse défendre un principe là-bas au sud de l’Indonésie et fermer les yeux à ses frontières. Nous défendons un principe, nous le défendrons jusqu’au bout », disait Bouteflika en juillet 1999 à propos de la question du Sahara occidental.
Dans la crise libyenne, c’est un autre principe tout aussi immuable que l’Algérie met en avant, celui du refus de toute ingérence dans les affaires internes des États, de surcroît une intervention militaire de forces étrangères. Elle l’a fait pour la Syrie, personne ne comprendrait qu’elle ne le fasse pas pour un pays avec lequel elle partage plus de 1000 kilomètres de frontières.
Sans anticiper sur l’issue de la conférence de Belin, c’est peut-être la concrétisation de ce principe qui rendrait possible un règlement définitif du conflit puisque même les diplomates les plus prudents n’hésitent pas à le qualifier de « guerre par procuration » entre puissances mondiales et régionales.
Ce qui pourrait aussi faire jouer à l’Algérie un rôle déterminant dans ce dossier précisément, c’est la distance qu’elle a pu garder avec toutes les parties, en dépit de l’incompréhension née de son refus de l’intervention de l’OTAN pour déloger Kadhafi en 2011 et des attaques verbales répétées du maréchal Haftar ces dernières années.
Au-delà, la résolution de la crise libyenne pourrait bien signifier le début d’une nouvelle ère pour la diplomatie algérienne qui semble toujours tenir les atouts pour retrouver son rôle agissant, même loin de ses frontières. Pour peu que la stabilité politique interne soit définitivement assise.