C’est dans un contexte particulier que le président de la République s’est de nouveau exprimé. La rencontre de Abdelmadjid Tebboune avec les représentants de deux quotidiens nationaux, diffusée lundi soir sur l’ENTV, est la première du genre depuis cinq mois et survient au lendemain du retour du Hirak dans la rue.
Ceux qui attendaient un discours qui prenne en compte cette donne centrale sont restés sur leur faim. Pour résumer, le chef de l’État est resté droit dans ses bottes concernant la crise politique. À travers ses propos, il est aisé de déduire que, retour du Hirak ou pas, le pouvoir tient plus que jamais à sa feuille de route politique et institutionnelle dont il ne reste quasiment que les ultimes étapes, soit l’organisation d’élections législatives et locales anticipées.
Mieux, Tebboune a révélé que ce qui reste à faire le sera plus vite que prévu, annonçant que les législatives pourraient se tenir dans les trois mois, les locales avec. Quant au taux de participation que certains prévoient déjà rachitique comme ceux de l’élection présidentielle et du référendum constitutionnel, il ne semble pas très important aux yeux du président qui rappelle qu’il n’y a pas de taux minimum pour la validité du scrutin. Cela, même s’il promet que les prochains scrutins n’auront rien à voir avec les précédents en termes de transparence.
Et qu’en est-il du retour en force de la contestation après près d’une année de trêve ? La réponse du président n’a rien de nouveau : ceux qui sont sortis le 22 février dernier l’avaient fait pour « rappeler » les revendications du « Hirak béni authentique » et une partie l’a fait pour « d’autres raisons ».
Le président se dit convaincu qu’une « contre-révolution financée par l’argent sale » est menée contre les « décisions de l’État ». Du reste, la plupart des revendications du Hirak sont satisfaites maintenant que la chambre basse du parlement est dissoute, selon M. Tebboune.
« Contre révolution financée par l’argent sale »
Autre promesse à noter : le futur gouvernement sera issu de la majorité qui sortira des urnes. La question du gouvernement ne pouvait pas être éludée au lendemain d’un remaniement qui a pris des allures de la montagne qui accouche d’une souris.
Déjà, le remaniement n’est pas si léger que ça, ayant touché « six ministères importants », et il est inapproprié de chambouler plus profondément l’exécutif à trois mois des élections législatives, selon lui. Certains changements ne pouvaient cependant pas attendre, comme pour ces cas de « manquement à la morale », a lâché le Président.
Allusion à Ferhat Aït Ali, le ministre de l’Industrie remplacé au lendemain d’accusations qui l’ont ciblé sur les réseaux sociaux ? On ne sait pas. Le président Tebboune n’a pas donné de noms.
Côté nominations, celle de Salah Goudjil, 91 ans, comme président de plein exercice du Sénat a du mal à passer. Tebboune s’en lave presque les mains, affirmant qu’il n’y est pour rien et que ce sont les sénateurs qui ont élu leur président conformément à la loi. « Si j’étais intervenu, cela signifierait que rien n’a changé », dit-il.
Une fois n’est pas coutume, un des journalistes présents est parfois sorti des sentiers battus des questions politiquement correctes. Le président a été interpellé sur les rumeurs de sa démission « refusée par l’armée ».
« Les histoires des Mille et une nuits ont plus de crédibilité », répond-il, assurant que l’ANP applique à la lettre ses instructions en sa qualité de président de la République, chef suprême des forces armées. Les rumeurs, Tebboune a l’habitude d’en faire l’objet et rappelle que pendant son hospitalisation en Allemagne, il a été annoncé « mort » pour « faire baisser le taux de participation au référendum sur la révision constitutionnelle ».
La preuve qu’il n’est pas en déphasage avec l’institution militaire ? Le jour même où celle-ci accuse le Maroc de faciliter le trafic de drogues vers l’Algérie, le chef de l’État émet un autre grief à l’égard du même pays, celui d’héberger des sites Internet hostiles à l’Algérie.
Sur le plan économique et social, une seule nouveauté : les réserves de change ont baissé à 42 milliards de dollars, révèle le premier responsable du pays. Pour le reste, même constat et mêmes assurances : le pays n’est pas dans l’opulence mais la situation est maîtrisée.
Il reste toutefois quelques questions auxquelles le président n’a pas répondu, faute d’avoir été posées : que compte faire le pouvoir pour faire taire la contestation sachant que le discours et l’attitude adoptés jusque-là vis-à-vis du Hirak ont montré leurs limites ? Le pays, qui n’est pas dans « l’opulence », et c’est un euphémisme, peut-il se permettre d’autres longs mois d’instabilité ?