La pandémie du coronavirus Covid-19 ayant touché l’ensemble de la planète provoque des inquiétudes particulières quant à son impact économique et sanitaire dans la région du Moyen-Orient Afrique du Nord, où de nombreux pays sont dépendants des matières premières ayant connu une chute libre suite à l’arrêt de l’économie mondiale.
« La pandémie de Covid-19 et la chute des prix du pétrole provoquent des troubles économiques importants dans la région [et] l’impact pourrait être durable », a indiqué dans ce cadre le Fonds monétaire international (FMI) dans son rapport sur les perspectives économiques régionales pour le mois d’avril, cité par Zonebourse.
Presque tous les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord verront leurs économies se contracter, alors que « cette pandémie va aggraver le problème du chômage dans la région et celui de la dette publique et extérieure déjà élevée », prévient le FMI, anticipant une contraction de l’économie de la région de l’ordre de 3,3% en 2020, représentant le plus grand effondrement de la région Mena en quatre décennies.
L’institution monétaire internationale dresse dans l’ensemble un bilan sombre des perspectives économiques dans les pays de la région Mena, car au choc économique lié à la pandémie s’ajoute également le choc provoqué par un effondrement sans précédent de cours du pétrole, résultat également du coronavirus mais également à la guerre sans merci des prix de pétrole auquel s’est livrée l’Arabie saoudite et la Russie.
Les chocs combinés de la pandémie et de la chute des prix du pétrole devraient ainsi provoquer une chute du Produit intérieur brut (PIB) de l’ensemble des États arabes, soit une baisse totale de 323 milliards de dollars ou 12%, dont 259 milliards de dollars pour les seuls pays du Golfe, très dépendants du secteur des hydrocarbures.
Le FMI anticipe également que la dette des pays arabes augmentera de 15%, soit de 190 milliards de dollars, pour atteindre 1460 milliards de dollars, tandis que le déficit budgétaire de la région Mena devrait se détériorer fortement, passant de 2,8 % du PIB en 2019 à 10% en cette année 2020.
Pour faire face à cette crise inédite par sa forme, l’institution de Brettons Woods appelle les pays de la région dont fait partie l’Algérie à renforcer les filets de sécurité sociale et fournir des allégements fiscaux ainsi que des subventions temporaires et ciblées, appelant en outre les gouvernements à « réorienter les priorités en matière de dépenses », notamment en réduisant ou en reportant « les dépenses non essentielles ».
L’autre institution de Bretton Woods, la Banque Mondiale, a quant à elle appelé les pays de la région Mena à plus de transparence sur les questions économiques afin de stimuler la croissance et renforcer la confiance envers les institutions publiques dans la région.
« La transparence sur les questions économiques critiques – telles que la dette publique et l’emploi – sera la clé pour stimuler la croissance et renforcer la confiance dans le gouvernement dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) », indique la Banque Mondiale dans un rapport dédié à ce sujet.
« Le besoin d’une plus grande transparence survient alors que la région MENA est confrontée à un double choc sans précédent de la pandémie de COVID-19 (Coronavirus) et de l’effondrement des prix du pétrole », explique l’institution internationale, précisant que « les chocs ont exacerbé une croissance économique déjà lente dans la région, en partie à cause du manque de transparence des données ».
Le Banque Mondiale estime dans ce contexte que la pandémie COVID-19 affecte les économies de la région MENA à travers quatre canaux, à savoir la détérioration de la santé publique, la chute de la demande mondiale pour les biens et services de la région, les déclins dans l’offre et la demande interne de la région Mena à cause des mesures de distanciation sociale ainsi que, de manière importante, la chute des prix du pétrole.
« L’effondrement des prix du pétrole nuit directement aux exportateurs de pétrole et indirectement aux importateurs de pétrole, en raison de la baisse des envois de fonds régionaux, des investissements et des flux de capitaux », explique l’institution internationale.
Dans une tribune publiée sur l’Opinion, le cofondateur du Centre d’analyse et de prospective sur le Moyen-Orient et l’Afrique du nord, François-Aïssa Touazi, a quant à lui estimé que la crise sanitaire actuelle risque d’impacter fortement les économies de la région Mena et de fragiliser les réformes engagées par de nombreux pays.
« Cette crise fragilise ainsi des pans majeurs des économies du Golfe, en particulier les nouveaux secteurs de croissance sur lesquels s’appuient leurs diversifications », indique M. Touazi. « En définitive, la région MENA se voit prise en tenaille entre la gravité de cette crise qui nécessite des politiques d’austérité profondes dans des économies déjà fragiles et de l’autre côté une situation sociale inquiétante voire explosive dans certains pays », s’inquiète-t-il.
Pour lui, « cette crise est porteuse de lourdes menaces notamment sociales dans une région en proie aux crises et à l’instabilité ». « Aucun des pays de la région n’est épargné », prévient-il.
M. Touazi souligne aussi l’impact de la crise sanitaire sur la préparation de l’après pétrole. Il cite le cas de l’Arabie saoudite, première puissance économique du monde arabe, qui « redoute que cette crise menace son ambitieux plan de transformation nationale, Vision 2030, qui a pour ambition de préparer l’après pétrole par le développement de nouveaux secteurs de croissance (investissements, tourisme et loisirs, industries, notamment de l’armement, énergie solaire, etc…) dont les revenus devraient dépasser ceux du pétrole à l’horizon 2 030. »
« Le choc imposé par la crise actuelle qui touche davantage les plus fragiles pourrait accentuer les rancœurs déjà exprimées dans les mouvements de contestation. Cette crise peut être un test de crédibilité pour de nombreux régimes en place, fragilisés par leur incapacité à répondre aux attentes des populations de la région, rendant l’équation hautement plus épineuse », conclut François-Aïssa Touazi.
Impact sanitaire
L’impact économique n’est évidemment pas l’unique préoccupation causée par le coronavirus dans la région Mena, les conséquences sanitaires soulevant également des inquiétudes. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a dans ce contexte estimé ce vendredi qu’il est encore temps pour la région Moyen-Orient Afrique du Nord de « saisir l’opportunité » d’agir afin d’éviter le chaos qu’entraînerait une diffusion explosive de la pandémie de Covid-19 dans la région, rapporte la RTBF.
« On a vraiment une opportunité pour agir dans la région car l’ascension des cas n’a pas été rapide », a indiqué le Dr Yvan Hutin, directeur du département maladies transmissibles au bureau régional de l’OMS en Méditerranée orientale, basé au Caire.
Plus de 111 000 cas de nouveau coronavirus et plus de 5500 décès ont été enregistrés au vendredi 17 avril dans 22 pays de la région Mena, que l’OMS étend du Maroc au Pakistan en excluant l’Algérie, précise la même source.
« Ce n’est pas parce qu’on a évité une situation difficile la première fois, qu’on va éviter (cela) la deuxième fois », a estimé Yvan Hutin, qui préconise de mettre en place les « piliers de la réponse » au coronavirus, à savoir l’engagement de la population, la mobilisation des systèmes de santé ainsi que la préparation des hôpitaux pour l’arrivée de cas sévères.
S’il est « inévitable » de passer à côté de cas recensés, « plus on teste les personnes qui ont de la fièvre et de la toux, plus on va découvrir de cas », a fait savoir le responsable de l’OMS. « On sait qu’environ 1% des personnes infectées vont décéder, donc quand on a des pays qui rapportent que 5% des personnes infectées décèdent, ça suggère qu’on rate une partie des cas », a-t-il indiqué. Le taux de mortalité dans la région Mena se situe autour de 5%, est-il précisé par la même source.
Étant donné « la gravité potentielle et la capacité de ce virus à mettre à genoux le système de santé », la région Mena doit se préparer « à l’éventualité où les choses se passent mal », a mis en garde le Dr Yvan Hutin.