Économie

Crise ukrainienne : quelles répercussions sur l’Algérie ?

La crise ukrainienne tient en haleine la communauté internationale. En plus de l’éventualité d’une confrontation armée, des perturbations sont redoutées sur le marché mondial de certaines matières premières, notamment le gaz et le blé. L’Algérie est de ce fait directement concernée par les répercussions du bras de fer en cours entre Russes et Occidentaux.

Des craintes sont particulièrement exprimées sur la poursuite des livraisons de gaz russe vers l’Europe qui transite en grande partie par l’Ukraine. Comme carte de pression, les États-Unis ont aussi menacé de sanctionner le consortium chargé de l’exploitation du méga gazoduc russe Nord Stream 2, dont la construction a été décidée pour contourner justement l’Ukraine et pour doubler les livraisons notamment à l’Allemagne. Son coût est de 11 milliards de dollars.

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Même s’il est difficile pour les Russes de prendre l’initiative de couper les livraisons au vu de l’importance pour leur économie des recettes du gaz fourni à l’Europe et de la difficulté de trouver un nouveau marché de cette taille, cet épisode montre l’intérêt stratégique pour les Européens de diversifier davantage leurs fournisseurs en gaz.

La Russie est en effet le premier fournisseur de l’Europe avec 41% des parts de marché. Elle est suivie de la Norvège avec 16%. Les autres fournisseurs sont l’Algérie, le Qatar, le Nigeria et les Etats-Unis, notamment.

Les Européens achètent à l’Algérie les 2/3 de ses exportations de gaz, mais la part de l’Algérie dans ce marché n’est que de 6%. La conjoncture est plus que favorable pour relever ce quota, d’autant qu’en comparaison avec les autres producteurs prétendants à reprendre les parts que laissera éventuellement la Russie, l’Algérie dispose d’un atout de taille, sa proximité géographique qui permet le transport par canalisations, donc des livraisons sûres, rapides et moins coûteuses.

Des experts commencent à identifier les alternatives pour au moins réduire la dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Russie en matière de gaz. Il y a bien sûr le schiste américain, que l’ancien président Donald Trump a tenté de substituer au gaz russe, en vain devant les réticences de certains grands pays de l’Union européenne, dont l’Allemagne. Une aubaine donc pour les Américains. Le président Joe Biden aurait d’ores et déjà prévu de consacrer 80 méthanier pour l’acheminement de gaz vers certains pays européens.

 L’Algérie, une option sérieuse

Mais le gaz américain présente un double inconvénient. Son acheminement se fait exclusivement par méthaniers, ce qui influe sur son coût. Les fournisseurs américains ne sont en outre fiables que dans cette conjoncture de hausse des prix de l’énergie. Leur gaz de schiste n’est rentable qu’à partir d’un certain niveau des cours (plus de 60 dollars pour le pétrole américain WTI), ce qui est le cas actuellement où le Brent est autour de 90 dollars le baril et le WTI à plus de 87 dollars le baril, et les baisses entraînent souvent la fermeture des puits.

D’autres alternatives sont avancées, mais ont toutes leurs inconvénients : le Nigeria, l’Azerbaïdjan et le Qatar sont trop loin, l’Egypte pourrait redevenir importateur dès 2023 et la Libye est instable.

L’Algérie demeure l’option la plus sérieuse, pas pour remplacer la Russie sur le marché européen du gaz, mais pour prendre une part plus conséquente que les 6% qu’elle assure actuellement.

L’Algérie est classée à la 11e place mondiale des réserves prouvées (plus de 4 000 milliards de mètres cubes) en plus de 150 ans de consommation en gaz non conventionnel, et n’est qu’à 200 kilomètres des côtes espagnoles.

Cette proximité lui a permis de disposer de gazoducs ralliant la péninsule ibérique mais aussi l’Italie. Elle a en outre prouvé pendant des décennies sa fiabilité en assurant ses engagements en toutes circonstances.

Au plus fort de la crise sécuritaire des années 1990, les installations pétrolières et gazières ont été sécurisées et les exportations n’ont jamais été affectées. De même que le pays a continué à respecter ses engagements envers l’Espagne après la fermeture du gazoduc Maghreb Europe (GME) qui traverse le Maroc, en novembre dernier.

La marge de manœuvre de l’Algérie est néanmoins réduite en l’état actuel des choses, à cause d’une production limitée en raison des difficultés à attirer les investisseurs étrangers et des besoins internes croissants d’année en année.

« La conjoncture devrait inciter les responsables algériens à attirer plus d’investissements étrangers dans le secteur des hydrocarbures, en particulier dans celui du gaz », estime un expert algérien, rappelant que, contrairement au pétrole, le gaz, énergie également fossile mais moins polluante, aura encore sa place dans les économies avancées résolument tournées vers des politiques écologiques.

Une nouvelle loi sur les hydrocarbures a été adoptée dans l’urgence durant la période de transition entre le début du Hirak en février 2019 et l’élection présidentielle de la même année. Jugé plus souple, le texte a pour objectif d’attirer plus de capitaux étrangers pour booster une production déclinante. Mais son entrée en vigueur est tributaire de l’élaboration de textes d’application.

L’autre répercussion de la crise ukrainienne pour l’Algérie concerne le blé. L’Algérie est l’un des plus gros importateurs mondiaux de cette céréale et il se trouve que depuis l’année passée, elle a commencé à se tourner vers le blé russe.

De plus, la Russie et l’Ukraine sont parmi les principaux fournisseurs du marché mondial et une éventuelle aggravation de la crise pourrait se répercuter sur les approvisionnements, donc sur les prix, déjà très élevés.

Les livraisons russes ont déjà baissé de 20% et des hausses des cours en lien direct avec le bras de fer sont signalées.

Pour l’Algérie, c’est assurément une mauvaise nouvelle mais qui pourrait aussi servir d’opportunité pour développer sa filière céréalière qui dispose d’une marge de progression immense que ce soit en termes de rendement ou de surfaces à exploiter. C’est d’ailleurs l’un des points abordés cette semaine lors de la réunion du conseil des ministres. Lors de cette réunion, le président Abdelmadjid Tebboune a qualifié la production agricole d’« enjeu crucial pour la nation ».

C’est une « question de dignité nationale, et que nous avons toutes les potentialités nous permettant de relever le défi, soulignant une baisse des chiffres de la production céréalière », a-t-il dit, selon le communiqué de la présidence de la République.

L’Algérie a vu sa production céréalière chuter lourdement durant la saison 2020-2021 à 13 millions de quintaux contre 39 millions la campagne précédente.

Pour réduire la dépendance de l’Algérie vis-à-vis des importations, le président Tebboune a demandé au gouvernement de « multiplier la production céréalière en réorientant les efforts dans le secteur agricole, notamment dans le Sud. »

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