A Jijel sur la côte Est de l’Algérie, dès 1986, des agriculteurs se sont lancés dans la production de la banane sous serre. Mais les importations massives de bananes des années 1990 ont ruiné leurs efforts. Des agriculteurs ont parfois dû jeter leur production du fait de la concurrence des bananes importées.
Aujourd’hui, l’engouement pour la culture de la banane est de retour en Algérie malgré la poursuite des importations de ce fruit ttropical.
Auparavant, ils étaient cantonnés aux serres tunnel de petite dimension et à des variétés comme la Petite naine, selon le témoignage de Baka Toufik le président de la Chambre d’agriculture locale.
L’apparition des serres multichapelles a changé la donne. Leur hauteur de 6,5 mètres permet de cultiver des variétés de plus grande taille aux régimes plus lourds.
Des variétés très productives qui viennent de Turquie et multipliées en laboratoire selon la technique in-vitro. Résultat, une production industrielle de jeunes plants indemnes de maladies qui s’exporte jusqu’en Algérie.
Des plants venus de Turquie
Avantage de la culture in vitro : tous les bananiers présentent les mêmes caractéristiques et notamment une fructification groupée.
Les rendements à l’hectare atteignent 600 à 800 quintaux. À Djimar dans la commune de Chekfa, les producteurs de bananes sont ravis de la disponibilité des plants en provenance de Turquie et du nouveau type de serres.
Celles-ci possèdent des ouvertures au niveau de leur toit ; ce qui permet de maîtriser la température et l’hygrométrie.
Le bananier est exigeant, confie le jeune agriculteur Yacine Boukabour à la chaîne Iktissadia 1 : « la température ne doit pas être inférieure à 12°C et ne doit pas dépasser les 45°C sous peine de voir les feuilles être grillées en été. Quant au taux d’hygrométrie, l’idéal est de 70 à 85%. Il nous arrive d’asperger les plants pour avoir plus d’humidité ».
Ce jeune producteur attend avec impatience le raccordement de l’exploitation au réseau électrique, ce qui lui permettrait, explique-t-il, « d’actionner l’aération et l’irrigation des serres depuis son téléphone ».
La banane, une culture que Yacine connaît bien. Il a bénéficié d’une formation professionnelle de trois mois et Boualem, son père, a été un des pionniers de cette culture, il y a une trentaine d’années, en Algérie.
Depuis octobre 2023, c’est au niveau de l’exploitation familiale de 3,5 ha que Yacine a installé sa serre sur 2 400 m2.
Ces traditions locales et différentes aides ont permis de revivifier la culture de la banane. Aujourd’hui dans la wilaya de Jijel, ce sont 30 projets qui sont prévus dont 18 sont déjà en cours.
Zahir Fatsi, le président de l’association locale des producteurs de bananes, explique la raison du renouveau de la banane après l’échec de 1986.
Cette explication tient en un mot : les prix. Il confie qu’en 2017 lorsque les prix du kilo de banane a atteint 800 à 900 DA. « On a pensé à en faire », explique l’investisseur.
Et dès 2019, portés par l’apparition des serres multichapelles, « beaucoup de jeunes algériens ont investi dans la culture de la banane », ajoute-t-il.
Les jeunes porteurs de projets peuvent bénéficier de l’aide financière de l’Agence nationale d’appui et de développement de l’entrepreneuriat (ANADE). Une aide indispensable pour réunir les 850 millions de DA nécessaires à l’achat d’une serre multichapelle de 2 400 m2.
Bananes : une culture gourmande en eau
La Chambre d’Agriculture de Jijel et la station locale de l’INRA apportent une aide technique à ces jeunes investisseurs. Des experts turcs sont même venus sur place et les laboratoires des universités ont permis la réalisation d’analyses de terre et de l’eau d’irrigation.
La banane pousse naturellement dans les zones tropicales. Elle demande beaucoup d’eau. Yacine utilise l’irrigation localisée par goutte à goutte pour « économiser l’eau » ?, confie-t-il à la même chaîne. « Une irrigation de 4 à 5 heures chaque semaine et plus en été », précise-t-il.
Un type d’explication qui ne satisfait pas Marcel Kuper co-auteur de l’étude au Maghreb : « Mener le goutte à goutte à l’économie d’eau : ambition réaliste ou poursuite d’une chimère ? ».
Il se trouve que l’économie d’eau réalisée par le passage à ce type d’irrigation est utilisée par les agriculteurs pour augmenter leurs surfaces irriguées. Une stratégie qui fait que malgré la modernisation de l’irrigation, le secteur agricole monopolise toujours 70% et plus des ressources en eau. Une eau qui fait défaut à l’adduction en eau potable des villes.
Comme pour les palmiers, les variétés utilisées produisent jusqu’à 12 rejets autour du pied mère. Chaque année, après la récolte, le tronc principal est coupé et un seul rejet âgé de 3 mois est conservé afin d’assurer la production suivante huit mois après.
Avec l’aide de la Chambre d’agriculture, les producteurs de bananes de Jijel ont créé une association professionnelle et dans la foulée une coopérative. Celle-ci a pour but d’aider à la commercialisation de la production.
La coopérative devrait également permettre la production de jeunes plants, les adhérents ambitionnent de les produire au niveau de leur propre laboratoire équipé pour la culture in vitro grâce à l’aide de l’université de Constantine. Les plants de banane reviennent à 1 200 DA l’unité, ce qui représente un coût non négligeable lorsqu’il faut en planter jusqu’à 2 400 par hectare.
Aujourd’hui, avec « Saphir d’or », les producteurs de Jijel possèdent leur propre marque dont le logo est visible sur les cartons contenant les bananes mûres ; une inscription qui en côtoie une autre : « Produit en Algérie ». Pour se démarquer plus nettement des bananes importées, l’emblème national y figure également.
« A 250 DA le kilo, nous sommes gagnants »
Interrogés sur les prix qu’il pratique, Yacine indique que les agriculteurs locaux font de telle sorte à se situer toujours « 100 à 150 DA le kilo en dessous du prix des bananes importées ». Le prix actuel de détail étant de 400 à 450 DA, lui et ses collègues vendent leur production entre 300 et 350 DA.
« Nous sommes gagnants à partir de 250 DA/kg », mais poursuit-il, « nous devons rembourser les prêts consentis pour l’achat des serres ».
Pour Yacine et son collègue Zahir, l’augmentation des surfaces pourrait permettre d’aller vers une autosuffisance et ainsi s’affranchir des dizaines millions de dollars annuels consacrés par l’Algérie en 2022 aux importations, voire d’exporter ce fruit.
Le président de l’association indique avoir reçu des demandes de l’étranger « dont celles de Dubaï, mais nous ne disposons pas des quantités suffisantes ».
Un retour sur investissement de 2 ans
Face à la caméra, un ouvrier explique comment planter des bananiers. Cette plante tropicale s’acclimate aisément sur les zones littorales. Des zones où il ne gèle jamais.
Très pédagogue, l’agriculteur détaille les étapes de la plantation : laisser un espacement d’un mètre et demi entre chaque plant et de trois mètres entre chaque rang.
Actuellement, la culture de la banane est très rentable en Algérie. Le retour sur investissement est de 2 ans selon Mostafa Mazouzi, un ingénieur agronome installé sur une exploitation agricole individuelle (EAI) à Sidi-Fredj suite à la loi 87-19 de restructuration des domaines agricoles d’Etat.
Spéculation sur la banane
Le prix des bananes suscitent régulièrement des polémiques en Algérie. Les prix ont connu une hausse durant le mois de Ramadan 2024 à 450 dinars le kilo contre 300 dinars en moyenne. En juillet 2022, la barre des 1.000 dinars le kilogramme a été atteinte.
« Ils l’importent à un demi-dollar le kilogramme. Nous avons calculé son prix de revient en Algérie. Il ne dépasse pas les 200 dinars le kilogramme, y compris les marges », a dévoilé en avril dernier Tayeb Zitouni le ministre du Commerce qui a ordonné la saisie des bananes dont le prix de gros est de 470 dinars le kg.
« En 2023, nous avons importé 320.000 tonnes de bananes. L’offre est disponible », a expliqué Tayeb Zitouni.
En mai dernier, un communiqué du procureur de la République près le tribunal d’El-Milia indiquait que « deux individus ont été placés en détention provisoire à Jijel pour spéculation illicite sur la banane ».
Algérie : une autosuffisance en bananes ?
Mustapha Mazouzi est passionné par la culture de la banane. Président du conseil national de la filière tomate, cet agriculteur produit également des bananes et entrevoit un bel avenir à la filière banane en Algérie.
Dès 2022, il suggérait la plantation de bananiers au niveau des 14 wilayas du littoral algérien.
A raison de 50 hectares par wilaya et avec 500 quintaux par hectare, selon ce professionnel, il devrait être possible de produire de quoi répondre à la demande locale et économiser les millions de dollars que l’Algérie dépense pour importer des bananes. Une projection séduisante.
Cependant, récemment sur la Radio Algérienne, l’agro-économiste Ali Daoudi soulignait l’inquiétante stagnation des superficies consacrées aux cultures maraichères en Algérie. Celles-ci ont progressé jusqu’à une moyenne de 450 000 hectares, mais n’évoluent plus. En cause, selon l’expert, l’extension des surfaces consacrées aux cultures d’arbres fruitiers.
Si la culture de la banane permet de créer des emplois et de répondre à une certaine demande des consommateurs, cette culture tropicale transposée en milieu méditerranéen n’en demeure pas moins exigeante en eau.
Le bananier a besoin de 2 200 mm de pluie par an alors qu’à Jijel et Sidi Fredj, la moyenne annuelle est de 800 mm. La différence doit être comblée en puisant l’eau des nappes souterraines. Problème, la surexploitation de ces nappes fait que l’eau douce est aujourd’hui contaminée par le sel du fait de l’intrusion de l’eau de mer.
De son côté, en novembre dernier, Mustafa Mazouzi réclamait aux pouvoirs publics un soutien de 20 à 25% à la filière banane et promettait d’arriver en 5 ans à l’autosuffisance en ce fruit de large consommation.
Entre bananes et cultures stratégiques : céréales, maïs, légumes secs, et oléagineux, l’Algérie doit trancher.