L’affaire du rappel à l’ordre de la télévision publique algérienne (ENTV) par l’ARAV, l’autorité de régulation de l’audiovisuel, défraie la chronique en Algérie.
Jeudi 30 mars, l’ARAV a adressé un rappel à l’ordre sans précédent à la Télévision algérienne à laquelle elle a demandé des explications sur une séquence contenue dans un feuilleton diffusé à l’occasion du mois de ramadan, intitulé Damma.
Ce qui n’est pas du goût du gendarme de l’audiovisuel algérien, c’est l’apparition sur un graffiti mural qui ressemble à l’acronyme d’un mouvement classé terroriste en Algérie, en l’occurrence le MAK (Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie). La scène a été tournée dans le quartier populaire de Bab El Oued.
L’affaire a même atterri dans l’hémicycle du Parlement où, interpellé par un député, le ministre de la Communication Mohamed Bouslimani a dit être d’accord pour « frapper d’une main de fer ».
Le débat sur l’apparition du sigle du mouvement interdit est vite dépassé, notamment après la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo dans laquelle le réalisateur du feuilleton, Yahia Mezahem, a mis le graffiti dans son contexte global, expliquant que son auteur devrait être un fan d’un célèbre film turc produit par une boîte dont le sigle est MRK.
Les autres dessins à côté évoquent tous en effet des séquences du film turc en question.
Si l’on peut admettre qu’il s’agit d’un malentendu, celui-ci a permis d’ouvrir un large débat sur d’autres aspects. Jamais un rappel à l’ordre de l’ARAV n’a fait autant réagir, même lorsque la chaîne privée El Adjwa a été fermée illico presto en novembre dernier pour la diffusion d’une séquence jugée attentatoire aux bonnes mœurs.
Si on en a autant parlé cette fois, c’est parce que la cible de la colère de l’ARAV c’est l’ENTV. C’est en effet une première.
L’autorité ne ciblait jusque-là que les chaînes privées qui, dans leur course effrénée à l’audience, oubliaient parfois les limites de la bienséance.
Feuilleton Damma : quand l’ENTV se met dans la course à l’audience
Si l’ENTV s’est retrouvée dans le viseur du régulateur du secteur, c’est parce que, elle aussi, s’est mise dans la course pour avoir sa part dans l’audience ramadanesque, enjeu crucial pour les chaînes algériennes.
La télévision publique qui court derrière l’audience comme le ferait une chaîne qui vit des annonces publicitaires, c’est une grosse anomalie.
L’ENTV dispose d’un budget colossal fourni par l’Etat. Dans le budget de l’Etat pour l’année 2022, la contribution en faveur de l’ENTV était de plus de 6 milliards de dinars. Cela, pour qu’elle puisse remplir sa mission de service public avant tout, sans se soucier des considérations liées au marché, dont l’audience.
Pour l’audience recherchée, c’est gagné puisque le feuilleton Damma a fait plusieurs millions de vues sur les réseaux sociaux. Mais pour le service public, il faudra repasser.
La teneur du feuilleton désormais controversé relève en effet du sensationnel, ne serait-ce que par sa thématique qui est le trafic des stupéfiants dans les quartiers populaires des villes algériennes.
Il y a d’autres écarts qui ont échappé à l’ARAV, comme le fait que le personnage central du feuilleton soit un trafiquant de drogue.
Il s’agit d’une maladresse car il est connu que le public s’attache très facilement au personnage principal d’un film ou d’un feuilleton. Le risque est de voir les plus jeunes être tentés de l’imiter. Il aurait été plus judicieux pour le scénariste de mettre en premier rôle un juge, un policier ou quelque autre personnage.
Montrer des mineurs en train de faire les dealers procède de la banalisation de l’activité et n’est pas sans risque de produire des effets pervers sur les enfants. De surcroît que le programme est diffusé à une heure de grande audience.
Certes Damma a révélé qu’une partie de la société, au vue des critiques dont le feuilleton fait l’objet sur les réseaux sociaux, refuse de voir la réalité en face, celle de l’ampleur prise par le trafic de drogue et la consommation de psychotropes en Algérie. Comme en témoignent les fréquentes saisies opérées par les services de sécurité nationale aux quatre coins du pays.
Mais le traitement d’un sujet aussi sensible que celui de la prolifération des psychotropes au sein de la société algérienne ne peut pas se faire avec légèreté au risque de produire le contraire de celui qui est attendu.
Dans un post sur les réseaux sociaux, un journaliste de l’ENTV a crié à la cabale, œuvre selon lui de personnes qui auraient perdu leurs « privilèges » maintenant que l’ENTV s’est mise à produire ses propres programmes, notamment les feuilletons ramadanesques, qu’elle sous-traitait par le passé avec des boîtes privées.
Or, tout le drame est là. Le feuilleton est produit dans toutes ses étapes par les créateurs, artistes et techniciens de la télévision publique qui ne peut, de ce fait, mettre en avant une simple défaillance de ses services de contrôle.