Le président de l’Association nationale des commerçants et artisans algériens (ANCA) Hadj Tahar Boulenouar décortique les raisons de la tension sur l’huile de table, et avance des pistes pour régler définitivement les problèmes de l’absence de facturation chez les commerçants… Entretien.
Depuis quelques semaines, l’huile de table manque sur le marché. Quelles en sont les raisons ?
En ce qui concerne la crise de l’huile de table, les prémices ont commencé fin 2020 suite à la décision [du ministère du Commerce] de rendre obligatoire la facturation dans le circuit de distribution.
Beaucoup de distributeurs et de grossistes ont considéré que l’obligation de facturer va leur porter plus de charges et que par conséquent la marge bénéficiaire va être réduite carrément à néant.
Quel est l’opérateur qui va travailler sans bénéfice ? Résultat : l’huile de table est disponible en grandes quantités dans les usines et les espaces de stockage, mais elle est inexistante sur le marché du détail.
En réalité, il n’y a pas de pénurie. Le fait est que des opérateurs ne veulent pas s’en approvisionner. A côté de tout ça, l’obligation de facturer n’a pas plu également aux producteurs qui disposent de leurs propres réseaux de distribution.
Pourquoi dans ce cas ne procèdent-ils pas à la distribution de l’huile par leurs propres réseaux ? Entendons-nous sur le fait qu’avoir son propre réseau de distribution n’est pas propre aux producteurs d’huile de table, tous les autres fabricants dans d’autres domaines disposent de réseaux propres à eux. Un producteur peut même connaître la liste des commerçants du détail qui vendent son produit.
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Mais cette « crise » de l’huile de table pose un problème global, à savoir l’absence de facturation…
C’est pour cette raison que je dis que la responsabilité est partagée. Ce problème ne concerne pas uniquement les commerçants. Les producteurs dégagent toute responsabilité et pointent du doigt les commerçants de détail.
C’est faux. Si ça avait été le cas, le problème se serait également posé pour d’autres produits et pas que l’huile de table. Si vous le permettez, il y a lieu d’ajouter d’autres facteurs…
Allez-y…
Le premier est relatif à l’augmentation de la demande sur l’huile de table à l’approche du mois de Ramadan. Il y a en effet plusieurs activités qui utilisent l’huile de table comme les fabricants de zlabia.
Durant le mois de carême, il n’y a pas un quartier où il n’y a pas un artisan de zlabia. Faisons le compte : nous avons 1 541 communes sur tout le territoire national, si on calcule que dans chacune d’elles il y a 10 artisans-confiseurs on en sera à plus de 15 000 ! Si chacun d’entre eux achète 10 bidons d’huile de table (5L, NDLR), faites le compte.
Deux autres éléments sont également évoqués par les producteurs et concernent l’augmentation des prix des matières premières sur les marchés mondiaux et la dévaluation du dinar.
Ces deux derniers points soulèvent le problème de notre dépendance aux marchés extérieurs en matières premières. Il est temps de réfléchir sérieusement à les produire localement, de sorte qu’on sauvegarde nos réserves en devises et on ne sera plus confronté au renchérissement des prix sur les places mondiales.
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« Dans l’absolu, les commerçants ne sont pas contre la facturation »
Mais il faudra peut-être reconnaître que la majorité des commerçants préfèrent acheter sans factures. C’est devenu la norme. Pourquoi boudent-ils la facturation ?
La majorité des commerçants sont pénalisés par la facturation. Ils ne la fuient pas. Je donne un seul exemple : prenons un commerçant qui exerce son activité commerciale dans les règles de l’art et s’efforce à être « réglo », et juste en face de lui un marchand informel qui vend les mêmes produits que lui avec des prix cassés et bien entendu sans facturation et sans payer le moindre impôt.
Quelle serait votre réaction si vous étiez à la place de ce commerçant qui doit faire face à une concurrence déloyale ? Quand ce marchand informel vend sans facture, cela signifie qu’il ne paye pas de TVA et engrange une marge bénéficiaire supérieure à celle du commerçant « formel » qui, lui, a des charges et un loyer à payer, etc.
Dans l’absolu, les commerçants ne sont pas contre la facturation, mais ils veulent que l’informel soit éradiqué totalement et généraliser ce procédé, ou bien ils sont dans l’obligation de ne pas passer par la facturation.
« Il ne faut ni plafonner les prix ni subventionner les produits »
Périodiquement, on assiste à des crises et des tensions sur certains produits souvent de large consommation. Qu’y a-t-il lieu de faire pour sortir de ce cercle vicieux ?
Cette situation est le résultat de plusieurs raisons. D’emblée, la politique des subventions doit être revue. Subventionner un produit ne constitue pas une solution.
Il faut donner la subvention directement au citoyen. Libérer les prix des produits subventionnés et les aides peuvent être allouées sous forme d’argent liquide aux nécessiteux et au profit des employés aux bas salaires…
Il y a des expériences dans le monde dont l’État peut s’inspirer. Pourquoi abandonner les subventions ? Régulièrement, chaque année, chaque six ou trois mois survient un problème : une fois une crise du pain, une autre du lait ou de la farine, de l’huile, etc. Lever les subventions permettra de régler le problème définitivement. Il ne faut ni plafonner les prix, ni subventionner les produits.
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