L’Algérie autorise les écoles privées, mais interdit l’importation des livres scolaires et parascolaires en langue étrangère. Une situation qui ouvre la porte au piratage des livres.
La scène se passe dans une librairie d’Alger aux rayons bien remplis. Une femme cherche des livres parascolaires de maths et de physique en français pour ses enfants scolarisés dans une école privée de la capitale.
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Après avoir fait le tour de la librairie, elle ne trouve presque rien. Elle pose la question à la libraire qui lui répond sans tarder que ce genre de livres n’est plus autorisé à l’importation. « Le gouvernement autorise l’importation de toutes sortes de quincailleries, mais interdit celle des livres parascolaires », déplore la libraire.
Dans les librairies algériennes, il y a très peu de livres parascolaires d’importation (en français ou en anglais), y compris les matières techniques. Le gouvernement algérien ne délivre plus de visa d’importation aux libraires, et la production locale est embryonnaire. La loi restrictive liée à l’importation des livres a également touché les manuels scolaires et parascolaires.
De nombreuses librairies qui avaient l’habitude de passer commande auprès de leurs fournisseurs à l’étranger, ne peuvent plus le faire depuis 2019. Véritable casse-tête pour les parents dont les enfants suivent le programme français dans les écoles privées ou qui cherchent tout simplement des manuels pour les enfants scolarisés dans les établissements publics.
Si certains parviennent à se faire livrer des colis de France de la part de leurs proches, à prix fort, d’autres ont recours au système D : échange de livre entre élèves, achat d’ouvrage d’occasion…
Dans les librairies où nous nous sommes rendus, les livres destinés au programme des établissements privés sont quasiment inexistants.
À la librairie du 88 rue Didouche Mourad, un mini rayon de livres scolaires destinés aux écoles privés est aménagé. Ce sont des ouvrages de seconde main. Les prix varient entre 1800 et 2000 DA.
À la librairie les Mots, rue Victor Hugo dans le centre d’Alger, pas de traces de manuels scolaires et parascolaires en français. « Juste quelques ouvrages pour la maternelle », nous informe la libraire. « Depuis l’arrêt des importations en 2019, nous n’avons plus ce genre de manuel » ajoute- t-elle.
Ancien stock
À deux pas de là, la Grande Surface du livre spécialisée dans les livres d’occasion offre très peu d’ouvrages du parascolaires : des cahiers de vacances, destinés aux élèves du primaire.
« C’est un ancien stock qui date de 2011 », révèle Zaki le libraire. « Les importations sont bloquées et le livre traverse une crise sans précédent. Beaucoup de parents d’enfants scolarisés dans les écoles privées (primaire, collège, lycée) sont en quête de livres en maths, physique, français… Ils repartent bredouilles. C’est un véritable problème qui se pose depuis l’arrêt de l’octroi des visas d’importation ».
Édition spéciale Algérie
À l’école privée El kandi (Telemly), on enseigne le double programme uniquement pour le palier du primaire. La directrice Hayet Assaous, nous assure avoir passé commande auprès d’un importateur et qu’elle recevra les manuels du primaire, au cours du mois de juillet.
« J’utilise l’édition spéciale Algérie, de la collection Bordas, des classes CP jusqu’au CM2. C’est le même programme que celui dispensé en France mais adapté à l’Algérie », explique-t-elle.
Hayet Assaous nous montre un exemplaire de ce livre scolaire frappé du drapeau algérien en haut de la une de couverture : « Regardez, c’est exactement le même contenu mais adapté à notre environnement par les personnages, les prénoms… ».
L’occasion fait le larron
La rareté des manuels scolaires et parascolaires destinés à l’enseignement dans les écoles privées a donné des idées à certains libraires qui ont saisi la balle au bond pour s’adonner au piratage.
C’est ce que tient à dénoncer une libraire qui a requis l’anonymat. « De nombreux libraires véreux impriment les livres scolaires en Algérie, et les proposent aux écoles privées, au même prix que si c’était les copies originales. Cela coûte l’équivalent de 40 à 50 euros pour les plus chers comme les manuels de maths ou de physique utilisés au lycée. Moi-même on m’en a proposé mais j’ai refusé. Comment peut-on accepter de commercialiser des livres piratés et de les vendre au prix du neuf ? Où sont l’éthique et la déontologie propres à ce métier ? »
Pour couper l’herbe à ses libraires peu scrupuleux, notre source encourage le troc entre élèves : « Cela se fait beaucoup déjà d’échanger des livres entre élèves qui passent au palier supérieur et ceux qui arrivent. Les revendre à des prix raisonnables, pour que tous les élèves puissent disposer de leurs livres. C’est le seul moyen d’éviter d’engraisser ces profiteurs d’un côté, et de contourner cette loi qui interdit l’importation des manuels scolaires et parascolaires ».
L’arrêt de l’importation des livres scolaires et parascolaires pénalise tout un secteur et complique la vie des parents qui ne savent plus à quel saint se vouer pour se procurer ces manuels, indispensables à la scolarité de leurs enfants dans un pays où de nombreux élèves rêvent de terminer leurs études à l’étranger.
Les pouvoirs publics devraient se pencher sur cette question épineuse et proposer des solutions idoines pour résoudre cet imbroglio qui encourage le piratage de ces ouvrages.