Dans les rues d’Alger, il n’est pas rare d’entendre des jeunes filles et garçons échanger en anglais ! Yes, sir ! En Algérie, le français perd du terrain à la faveur de la langue de Shakespeare qui s’impose progressivement.
Si aucun sondage n’est disponible pour évaluer l’avancée de l’anglais et le recul du français, il est facile de constater que dans les librairies d’Algérie, les livres écrits dans la langue de Shakespeare occupent une bonne partie des espaces.
Deux facteurs expliquent ce retournement de situation dans ce qui est considéré comme l’un des plus importants pays francophones de la planète. Le premier est la décision du président Abdelmadjid Tebboune d’introduire l’enseignement de l’anglais dans le primaire à partir de la rentrée scolaire 2022-2023. Le second est lié aux possibilités offertes par la langue anglaise pour les études et l’emploi à l’étranger.
Salah Derradji, professeur des universités, spécialiste en didactique des langues, et ancien recteur, explique que cet « outil linguistique leur permet de s’ouvrir sur le monde et aussi augmenter leurs chances pour décrocher un emploi ! ».
Pour Naffa Zemmouri, IELTS examiner au British Council à Alger, la demande sur les cours d’anglais en Algérie est tirée vers le haut par « ceux qui préparent des tests d’anglais pour les études à l’étranger ou l’immigration ».
De plus en plus de bâtiments administratifs ou de structures sportives affichent leur signalétique en anglais à l’instar de « Ali Lapointe Stadium » de Douera dans l’ouest d’Alger, du nom du chahid Ali Ammar inauguré le 3 juillet dernier.
Dans les librairies, l’engouement des jeunes pour les romans, ouvrages scientifiques et autres grands classiques écrits dans la langue anglaise ne se dément pas.
Certaines enseignes se sont même spécialisées dans les ouvrages écrits en anglais, tellement la demande va crescendo. C’est le cas de Scarlet Letter House située au Bd Mohamed V, à Alger, qui arbore, dans sa vitrine, une cabine téléphonique rouge, emblématique des villes anglaises.
Les férus de la langue anglaise en Algérie
Il suffit de passer une dizaine de minutes dans une librairie de la capitale, pour voir débouler des clients à la recherche de livres en anglais. La librairie des Beaux-Arts, rue Didouche Mourad, ne déroge pas à la règle.
« C’est la tendance actuellement », confirme Zoubida Hanouchi, la libraire rencontrée sur place. « Les 15-25 ans achètent les romans classiques de la littérature anglaise mais également les livres spécialisés dans le développement personnel et la psychologie comme « Power » de Robert Green, et « Atomic Habits » de James Clear.
Les enfants ne sont pas en reste. Depuis que l’enseignement de la langue anglaise a été introduit à partir de la 3e année de l’école primaire durant l’année scolaire 2022-2023, la demande sur les manuels en anglais a pris son envol. « Les contes et les ouvrages de méthodologie pour les petits ont le vent en poupe », affirme à TSA Zoubida Hanouchi.
La nouvelle génération est résolument anglophone
Un peu plus haut, sur la même artère, on trouve la librairie du 88 rue Didouche Mourad. Malika Sadeg, la maîtresse des lieux, voit chaque jour des aficionados de littérature anglaise pousser la porte de sa boutique.
« À dire vrai, le lectorat anglophone ne fait que grandir », nous dit-elle. « Les classiques arrivent en tête de gondole comme les romans de Charles Dickens, Joseph Conrad, Emily Brontë, Jane Austen, George Orwel, Virginia Woolf, Scott Fitzgerald… Les jeunes filles sont aussi à la recherche des romans de l’écrivaine américaine Colleen Hoover, qui cartonne actuellement », ajoute-t-elle.
Si les lecteurs anglophones sont très nombreux, les amateurs de livre en langue italienne et espagnole ne manquent pas non plus, mais encore faut-il les dénicher.
« Malheureusement, ces ouvrages sont soumis à l’importation et ne sont pas toujours disponibles », déplore Malika Sadeg. « Toutefois certaines imprimeries en proposent des copies, en piratage, à moindre coût. Les clients y trouvent leur compte, notamment les étudiants puisqu’ils ont moins d’argent à débourser », assure-t-elle.
L’influence culturelle anglophone
Shahrazade Bouhadi a ouvert sa librairie, il y a deux ans, à Draria dans l’ouest d’Alger. « Tous contes lus » c’est son nom. Elle propose un large éventail de livres écrits dans la langue de Shakespeare.
« La disponibilité des livres en anglais a considérablement augmentée », note Shahrazade. « Notre librairie propose une importante variété de titres pour tous les âges et tous les goûts. Les jeunes lecteurs peuvent ainsi facilement trouver des livres qui les passionnent, que ce soit des aventures fantastiques, des thrillers captivants, des récits historiques ou des bandes dessinées amusantes », ajoute Shahrazade Bouhadi, en estimant que la globalisation et les écrans y sont pour beaucoup dans cet engouement pour l’anglais en Algérie.
« La mondialisation et l’influence culturelle anglophone, via les films, les séries et la musique ont joué un rôle crucial dans l’éveil de cet intérêt. Les jeunes Algériens sont constamment exposés à la langue anglaise dans leur quotidien, via les écrans et leurs tablettes, ce qui les poussent naturellement à s’y intéresser davantage à travers la lecture ».
Booster les compétences linguistiques dès l’enfance
Les parents encouragent leurs enfants à découvrir la langue anglaise à travers la lecture. Ils sont nombreux à venir acheter des ouvrages dans cette librairie.
« Les parents reconnaissent l’importance de maîtriser la langue de Shakespeare dans un monde de plus en plus globalisé. Beaucoup de formations universitaires et professionnelles, que ce soit en Algérie ou à l’étranger, sont dispensées en anglais. C’est pourquoi les parents voient dans la lecture un moyen efficace d’améliorer les compétences linguistiques de leurs enfants », explique Mme Bouhadi.
À noter que des ouvrages écrits en anglais par des auteurs algériens sont disponibles sur les rayons de cette librairie comme « The adventures of Little Tooth » (Les aventures de la petite dent) de Siad Yasmine, un livre destiné aux enfants de 4 à 6 ans et Sand Roses (Rose des sables) roman de Hamza Koudri.
Parallèlement à l’intérêt grandissant affiché par les Algériens pour l’anglais, le français continue de perdre du terrain en Algérie.
Signe des temps : la jeune génération regarde des films, écoute de la musique et lit des ouvrages en anglais. Les 15- 25 ans parlent couramment anglais et rêvent, pour certains, de s’établir à l’étranger plus tard.