Le tribunal de Sidi M’hamed a pris, jeudi 16 mai, les allures d’une scène théâtrale où les acteurs sont des personnages réels : anciens Premiers ministres, anciens ministres, préfets, hommes d’affaires se sont succédé devant les magistrats qui instruisent des dossiers de corruption.
D’habitude, la comparution d’un ministre pour de tels faits est extrêmement rare. Quant à un Premier ministre, c’est carrément du jamais vu en Algérie. L’affaire est exceptionnelle par son ampleur. Sans préjuger des suites et sans oublier le respect du principe de la présomption d’innocence, on est quand même saisi de vertige. Que les suspects soient entendus seulement comme témoins ne change pas à la puissance de la secousse qui ébranle le pays. Au point où l’on ne sait plus compter, que l’on ne distingue plus entre millions et milliards détournés.
C’est le résultat d’une incroyable aisance financière tombée entre les mains d’un régime politique incompétent qui a fait de la corruption son principal instrument de gestion. On a l’impression que le pays a échu à des dirigeants boulimiques, insatiables et pressés de siphonner ses ressources et se mettre en position de le transformer en propriété privée.
Tout le gratin qui a défilé aujourd’hui au tribunal a été convoqué en lien avec les dossiers de l’homme d’affaires Ali Haddad, président déchu du FCE. Il y a vingt ans, ce quinquagénaire était un modeste entrepreneur dont les activités étaient concentrées en Kabylie. Fils d’épicier, détenteur d’un diplôme de technicien en génie civil après son échec au bac, il a créé dans sa commune natale une entreprise en travaux publics. Tout à son mérite !
L’entrepreneur a été servi par la situation sécuritaire. Les groupes terroristes qui détruisaient les équipements des entreprises publics l’ont placé en situation de s’emparer de marchés de plus en plus importants. Et de grandir ! Quand est arrivée l’heure de la paix, il était en position de se désenclaver aidé par un ministre qui lui a donné une envergure nationale. L’homme d’affaires ne se donne plus de limites. Grâce aux relations politiques qu’il a continué de nouer, il a étendu son influence au point de devenir un membre influent du « clan » Bouteflika. Il est dans le cercle des décideurs, celui qui peut chuchoter dans l’oreille du roi le nom d’un Premier ministre, d’un ministre, d’un haut fonctionnaire, d’un wali, d’un juge. C’est d’autant plus facile que le président Bouteflika s’est donné tous les pouvoirs de nomination, qui s’étendent parfois jusqu’au secteur privé.
Dans un système où tous les instruments de contrôle politiques ont été neutralisés le clan ne refuse rien à un de ses membres. Dans l’escarcelle de la famille Haddad tombent crédits publics et marchés publics. Le « goudronnier » étend ses activités à tous les secteurs. Même à la radiothérapie avec la bénédiction d’un ministre qui fut chef de daïra dans la région d’Azeffoun.
Les enquêtes en cours vont certainement essayer de démontrer à quel point les complicités politiques ont aidé l’homme d’affaires à prendre une telle influence au point de se permettre de coûteux investissements à l’étranger. L’éphémère Premier ministre Tebboune s’est brisé en voulant s’en prendre à lui.
Dans ce système de corruption généralisée, l’affaire Chakib Khelil restera comme celle qui a ouvert la voie à toutes les turpitudes. Poursuivi et visé par un mandat international, il a été blanchi et réhabilité et s’est même vu ouvrir la voie vers un probable retour en politique. Pied de nez à l’opinion publique, c’est le Premier ministre Ouyahia qui avait annoncé son blanchiment par la justice sans qu’il n’y ait jamais une audience devant un tribunal.
L’affaire Khelil fut interprétée comme une prime à l’impunité. Comme le fut aussi celle de Amar Ghoul où toutes les pistes menaient vers lui lors du procès sur le scandale de « l’autoroute du siècle ». Il jouit aujourd’hui de son immunité de sénateur.