Tribune. Kamal Eddine Fekhar est mort. Le militant politique, démocrate impénitent, défenseur des droits humains a perdu la vie en détention, alors que des terroristes islamistes et leurs commanditaires se pavanent en liberté.
De jure, il était sous la responsabilité de l’État et de son appareil judiciaire à qui incombait sa légale protection.
Sa mort est la résultante d’une grève de la faim entamée dans des geôles algériennes qui nous rappellent les tristement célèbres prisons coloniales. Une grève de la faim utilisée comme ultime méthode de lutte afin de dénoncer le caractère arbitraire de sa détention, sa privation de liberté étant la conséquence d’une inique décision politique.
Ces dernières années, compte-tenu de la pérennité de ses engagements politiques et démocratiques et de la constance de sa lutte pour la défense de la région du Mzab et de ses spécificités culturelles, identitaire et religieuse, il a eu à subir les affres de la répression du pouvoir à plusieurs reprises.
A chaque fois, le recours à la grève de la faim s’imposait derechef, vu la sourde oreille opposée à ses revendications. Cette fois-ci, elle lui fut fatale. Sa mort comme arme ultime contre le déni de justice.
En tant qu’avocats de la défense, constitués dans les précédents dossiers de Kamal Fekhar et ceux d’autres détenus politiques et d’opinion, notamment lors des sanglants événements du Printemps noir de Kabylie en 2001, nous avons eu à dénoncer, à maintes reprises, ces méthodes d’un autre temps qui déshumanisent les militants.
Ces méthodes portent atteinte à la dignité de la personne humaine, en bafouant les droits les plus élémentaires des détenus, en violation de toutes les normes universelles de protection des droits humains, ratifiées par l’Algérie et ce, pour un seul objectif : les faire renoncer à leurs engagements politiques et pacifiques.
Au-delà donc de la douleur et de l’affliction que nous ressentons, en cet inique et triste jour, nous dénonçons avec vigueur toutes les multiples décisions, judiciaires et extrajudiciaires, qui ont eu comme objectif la silencieuse mise à mort d’un homme politique, un humaniste et un démocrate qui rêvait, comme nous tous, d’une Algérie nouvelle, portée par une seconde république démocratique qui fera de la justice un réel pouvoir indépendant des roitelets du moment.
Dans un souci de vérité et de justice, nous demandons, de la manière la plus formelle, et sans préjuger de toute autre initiative politique, qu’une procédure judiciaire soit ouverte, pour homicide comme chef d’inculpation, conformément aux dispositions pénales, afin d’identifier les responsabilités des uns et des autres dans la mort du docteur Fekhar. Une telle procédure permettra à la défense et à sa famille d’avoir accès au dossier afin de défendre sa mémoire.
Que la mort de Kamal serve de déclencheur pour une refonte totale de la procédure pénale et de la pratique judiciaire, sous ses multiples formes, notamment dans son volet inhérent à la détention provisoire qui est érigée en règle absolue alors qu’elle est censée être l’exception. Cette fois-ci, elle est devenue morbide.
Dans une Algérie portée par le souffle de la protesta citoyenne du 22 février, il est inadmissible que l’appareil judiciaire continue à être utilisé comme arme pour justifier des détentions politiques arbitraires et pour bâillonner les voix libres de celles et de ceux qui militent pour une Algérie démocratique, plurielle, libre, moderne et laïque.
L’État de droit, l’espérance pour laquelle le Docteur Fekhar a sacrifié sa vie, est le seul recours contre cet infamant arbitraire d’État et contre lequel nous continuerons de lutter, vaille que vaille.
Faisons en sorte que la mort de notre ami Kamal ne soit pas vaine !
*Signataires :
Me. Salah HANNOUN
Me. Hakim SAHEB
Me. Amar ZAIDI
Me. Abdelkader HOUALI
Me. Sofiane DEKKAL
Avocats.
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