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Décision de la CJUE contre le Maroc : 5 points pour comprendre

La jubilation marocaine suite à la reconnaissance par la France de sa ”souveraineté” sur le Sahara occidental aura été de courte durée.

Les jugements rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), annulant les accords agricole et de pêche entre l’Union européenne et le royaume et imposant l’étiquetage des produits issus du Sahara occidental, sont infiniment plus significatifs que l’alignement français, et avant lui espagnol, sur les thèses marocaines. 

·       Arrêt de la Cour de justice européenne contre le Maroc : impact économique et diplomatique

Vendredi 4 octobre, la Cour de justice européenne (CJUE) a rendu trois décisions aussi contraignantes qu’humiliantes pour le Maroc, offrant une grande victoire au front Polisario. 

En 2022, le Maroc a exporté vers l’UE 203.000 tonnes de produits issus de la pêche et de l’agriculture issus du Sahara occidental pour 590 millions d’euros. Le Maroc a conclu un accord de pêche avec l’UE durant la période 2019-2023 pour 208 millions d’euros, soit 50 millions d’euros par an, en échange de 128 licences.

En plus de l’impact économique dans un contexte de crise pour le Maroc, l’arrêt de la CJUE a une portée politique et diplomatique de grande importance.

En fait, ce que redoutaient le palais royal a fini par arriver. Le fait accompli colonial que tente d’imposer Rabat en prend un sacré coup, d’autant plus que l’arrêt de la plus haute juridiction européenne est définitif et sans appel.

Il s’agit d’une véritable humiliation pour le Maroc qui bombe le torse depuis que certaines puissances occidentales ont consenti à s’aligner sur ses thèses, foulant au pied les principales du droit international, les résolutions de l’ONU et le droit du peuple sahraoui à un référendum d’autodétermination.

Un soutien juridiquement inconsistant. C’est la première signification de la décision de la justice européenne. 

Cette douche froide pour le Maroc n’est pas tout à fait une surprise, tant les accords passés avec le Maroc piétinent de manière flagrante le droit européen.

Elle a été prévue il y a deux ans par le diplomate algérien Amar Belani, alors qu’il était Envoyé spécial pour le Maghreb et le Sahara occidental.

“Non seulement il n’y aura plus d’accords incluant le Sahara occidental, mais il sera encore plus difficile de persister, dans ces conditions, à soutenir la proposition marocaine d’autonomie au Sahara occidental”, avait analysé Belani en juin 2022 au journal espagnol El Confidencial.

Une année plus tôt, Amar Belani assurait à TSA que la CJUE “se prononcera très certainement en faveur de leur annulation (des accords). Ses prédictions ont fini par se réaliser.

·       Accords conclus sans le consentement du peuple du Sahara occidental

Dans les motivations de sa décision, la cour européenne a expliqué que les accords en question ont été conclus sans le consentement du peuple du Sahara occidental et en violation de son droit à l’autodétermination.  

Les accords ont été conclus en 2019 et ont été immédiatement contestés par le front Polisario qui a saisi le tribunal de l’Union européenne.

 Cette juridiction de première instance a invalidé les deux accords en septembre 2021. Une décision confirmée en appel ce vendredi 4 octobre, suite à un pourvoi interjeté par la Commission européenne. 

En 2016, la même juridiction avait statué que l’accord d’association signé avec le Maroc en 2000 ne s’appliquait pas au Sahara occidental. 

En incluant les produits du Sahara occidental dans ses échanges avec le Maroc, l’UE encourageait le pillage de ce territoire non autonome, notamment les phosphates, les fruits et légumes et les ressources halieutiques.

Un pillage qui devrait prendre fin, au moins en partie, à la faveur de ce jugement rendu par la justice européenne même si un délai de 12 mois est accordé à la Commission européenne pour son exécution. 

·       Très forte charge politique et symbolique

Outre ses retombées économiques et techniques, l’arrêt a une très forte charge symbolique et politique.

Il signifie que quels que soient les appuis que le Maroc peut engendrer, cela ne change rien à la nature du conflit qui demeure aux yeux du droit une question de décolonisation. L’analyse du ministre algérien des Affaires étrangères s’avère très pertinente.

Réagissant fin juillet dernier à la décision de la France de s’aligner complètement sur les thèses marocaines, Ahmed Attaf avait dénoncé une “transaction” qui ne pourra pas changer la donne juridique de la question sahraouie qui reste aux yeux du droit international une question de décolonisation enrôlée à la commission onusienne de décolonisation. 

En mars dernier, il avait indiqué que le Maroc marque peut-être des “petits points politiques”, mais “la vérité amère” pour ce pays, c’est que quel que soit ce qu’il “fait sur le terrain, le dossier demeure devant le comité des 24”, l’autre nom de la commission de décolonisation des Nations-Unies 

·       Impact sur les compagnies aériennes desservant le Sahara occidental

Le jugement définitif de la CJUE confirme celui du tribunal de l’UE qui reconnaît implicitement le front Polisario comme unique représentant légitime du Sahara occidental, réaffirme le caractère colonial de la présence marocaine sur le territoire et le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui.

Il balaie la nouvelle réalité que tente de créer le Maroc en changeant la configuration démographique des territoires occupés. 

Sur ce dernier point, la CJUE est explicite, soulignant que s’il y avait un processus de consultation avant la conclusion des accords, il n’a pas impliqué le peuple du Sahara occidental mais “les habitants qui sont actuellement présents sur ce territoire, qu’ils appartiennent ou non au peuple du Sahara occidental”.

Dans une autre décision simultanée, la même juridiction a donné raison au syndicat agricole français, la Confédération paysanne, qui avait demandé l’interdiction de melons et de tomates produits sur les territoires occupés du Sahara occidental.

La Cour a stipulé que l’étiquetage de ces deux produits devra désormais porter la mention “Sahara occidental” ou “Maroc”, selon le cas. 

Cette sentence est encore plus douloureuse pour le Maroc puisqu’il aura le choix entre reconnaître le Sahara occidental en l’inscrivant sur les étiquettes de ses produits, ou mettre fin au pillage et se résoudre à accepter la tenue d’un referendum d’autodétermination pour le peuple sahraoui, ce qui signifie l’abandon de son plan d’autonomie.

Giles Devers, avocat du Front Polisario, a expliqué que ce jugement est une “grande victoire” car il implique que même les avions devront obtenir l’autorisation de l’organisation sahraouie et lui payer les redevances pour atterrir à Laâyoune ou toute autre ville du Sahara occidental.

“Pour celles (les compagnies) qui ne sont pas d’accord, on va entrer sur des procédures juridiquement violentes”, a-t-il mis en garde. 

·       Maroc : la fuite en avant

L’avocat français Salim Djellab y voit “un tournant décisif pour la reconnaissance du Sahara occidental”.

 “Cette avancée juridique renforce le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui et souligne l’importance de respecter les ressources naturelles de ce territoire distinct du Maroc”, a écrit sur X le juriste et homme politique.

à chaque fois qu’il est mis au pilori, le Maroc a préféré la fuite en avant. Faute d’arguments juridiques et politiques, il a tout simplement demandé à l’UE de se mettre hors-la-loi en ne respectant pas des décisions de sa propre justice.

 Dans un communiqué diffusé par son ministère des Affaires étrangères, le gouvernement marocain s’est dit “aucunement concerné par la décision de la Cour de justice de l’Union européenne”. Mais ce n’est pas le cas de l’Europe, le plus grand débouché pour ses produits.

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