Bien qu’il ait tempéré ses propos et appelé à l’ « apaisement », Emmanuel Macron a soulevé par ses déclarations sur l’Algérie une véritable tempête qui peine à se calmer.
En Algérie, ces propos ont suscité une vague d’indignation unanime, dont la dernière en date est celle du ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra qui a dénoncé mardi à Bamako une « faillite mémorielle » du président français.
Outre le tollé provoqué en Algérie, les propos de Macron se sont invités dans le débat interne en France et beaucoup les mettent désormais dans leur véritable contexte, y voyant une sorte de positionnement par rapport au thème central de la présidentielle du printemps prochain, l’immigration et l’Islam.
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À sept mois du scrutin, les figures les plus en vue de l’extrême droite, notamment le polémiste Eric Zemmour, ont déjà réussi à imposer leurs préférences pour les débats.
« En dehors d’une colère par rapport à l’absence de retour en Algérie (sur la question de la mémoire, ndlr) il y a aussi un discours de politique intérieure de la part d’Emmanuel Macron. Les Arabes, les Algériens n’ont pas trop la cote, Zemmour monte en flèche, donc on vient un peu chasser sur le terrain de Zemmour et du Front national », tranche le géopolitologue Pascal Boniface.
Pour le fondateur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), Macron a le droit de penser ce qu’il a dit sur l’Algérie, mais « comme chef d’Etat il n’a pas à le dire sauf à savoir qu’il va déclencher une crise ».
« Les opposants algériens auraient peut-être été contents de voir mettre le régime en cause, mais que l’on dise l’idée que la nation algérienne n’existait pas avant la colonisation, c’est quand même très grave. Un président ne devrait pas dire ça », estime-t-il, paraphrasant le titre d’un livre sur le quinquennat de l’ancien président François Hollande (2012-2017).
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« Ce qui m’a choqué, c’est cette négation de la nation algérienne. C’est du négationnisme, une faute politique. Il y a peut-être un clin d’œil vers ce qui va nous arriver incessamment, c’est-à-dire une campagne électorale, on voit que beaucoup d’hommes politiques sont en train de courir derrière un polémiste qui va peut-être être candidat lui aussi, donc on est malgré tout, à mon avis, dans ce type de posture », analyse de son côté Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande mosquée de Paris.
« Il y a des forces occultent qui cherchent à faire en sorte que les peuples s’éloignent de plus en plus alors qu’il y a un rapprochement. (…) Il y a en effet une crise mémorielle parce qu’il y a encore des difficultés à regarder les choses en face de part et d’autre, et il faut le faire ce travail. Les deux présidents ont affirmé cette volonté, c’est pour cela que je suis particulièrement étonné parce que ce n’est pas le scénario auquel nous a habitués Emmanuel Macron », ajoute-t-il.
Jean-Luc Mélenchon a, lui, carrément accusé le président français d’avoir « encore jeté de l’huile sur le feu avec l’Algérie », lui proposant un débat sur sa politique étrangère.
« On va au Mali, on ne vote pas. On revient, on ne vote pas non plus. On s’engage ici, là, on fait une chose, une autre, on crée un état-major de l’espace: personne n’en parle, et ainsi de suite. Hier, il s’en est pris aux Algériens, la veille c’était je ne sais pas qui », a dénoncé le président de la France insoumise.
Zemmour devant Le Pen dans les sondages : la surenchère
Ceux qui mettent en cause la montée d’Eric Zemmour dans le repositionnement d’Emmanuel Macron sont confortés par de nouveaux sondages qui créditent le polémiste d’un score qui lui permettra d’affronter le président sortant au second tour de la présidentielle de 2022.
Un sondage réalisé par l’institut Harris Interactive et dévoilé ce mercredi 6 octobre dans la revue Challenges crédite Eric Zemmour de 17% d’intentions de vote au premier tour de la présidentielle, derrière Emmanuel Macron (entre 24 et 27%), mais pour la première fois devant la présidente du Front national, Marine Le Pen (entre 15 et 16%).
Signe de la « droitisation » continuelle de la société française, Eric Zemmour a boosté ces dernières années les audiences des télés sur lesquelles il développait ses idées anti-immigration et ouvertement anti-arabes et anti-Islam.
Le jour même de la divulgation des propos de Macron par le journal le Monde, soit samedi 2 octobre, un haut responsable algérien qui s’est exprimé sur TSA avait pointé « un opportunisme électoral » chez le président français.
« Il (Macron, ndlr) est littéralement obsédé par les prochaines échéances présidentielles et au lieu d’élever le débat, il se résigne à patauger dans la fange anti-algérienne pour ne pas se laisser distancer par les racistes du RN et de Génération Z. Il est pris dans la nasse de l’extrême droite », avait estimé le responsable algérien.
Loin de jubiler devant le tournant que marque Emmanuel Macron dans sa politique, l’extrême droite lui reproche au contraire de ne pas faire assez vis-à-vis de l’immigration et de l’Algérie dans la crise actuelle.
Marine Le Pen, qui sent le danger d’Eric Zemmour, verse dans la surenchère. La présidente du Front national (extrême droite) a appelé le président Macron à cesser carrément la délivrance de visas aux Algériens tant que l’Algérie refuse de reprendre ses ressortissants vivant illégalement sur le territoire français, et à bloquer les transferts d’argent des Algériens de France vers leur pays d’origine.
« C’est à la France de définir qui peut rentrer chez elle et qui doit en sortir. Fin des facilités de visas, blocage des transferts d’argent : nous avons les moyens d’agir face à l’Algérie et à son refus de récupérer ceux de ses ressortissants qui sont indésirables chez nous », a-t-elle écrit sur Twitter.