Très tendues depuis quelque temps, les relations algéro-françaises risquent de connaître une crise ouverte dans les prochaines semaines.
Les derniers propos tenus par Emmanuel Macron ne sont pas de nature à apaiser les choses.
Loin de là. En recevant jeudi 30 septembre des descendants d’acteurs de la guerre d’Algérie, de tous les bords, le président français entendait échanger « librement » sur le conflit et apaiser la « blessure mémorielle ».
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Mais la rhétorique qu’il a utilisée est très dure vis-à-vis de la classe dirigeante en Algérie, l’accusant de vivre de la « rente mémorielle » et assumant que la dernière restriction sur la visas la visait.
Des propos jamais entendus à ce niveau de responsabilité. Interrogé sur sa dernière décision de réduire drastiquement le nombre de visas accordés au Algériens, Macron a ouvertement assumé que les restrictions visent en premier lieu les responsables algériens.
« Il n’y aura pas d’impact sur ce qu’on évoque. On va s’attacher à ce que les étudiants et le monde économique puissent le garder. On va plutôt ennuyer les gens qui sont dans le milieu dirigeant, qui avaient l’habitude de demander des visas facilement », a-t-il répondu.
Ce qu’il convient d’appeler « la crise des visas » était jusque-là le dernier acte d’une longue série de tensions entre les deux pays.
Mardi 28 septembre, le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, a annoncé la décision des autorités de son pays de réduire à 31500 le quota de visas à accorder aux Algériens pendant les six prochains mois, soit la moitié du total délivré durant la même période de l’année 2020.
Le lendemain, mercredi 29 décembre, l’ambassadeur de France à Alger, François Gouyette, est convoqué au ministère des Affaires étrangères.
Dans les us diplomatiques, la convocation d’un ambassadeur n’est pas un fait anodin.
La crise ne devrait pas en rester là, car Macron n’a pas fait qu’enfoncer le clou sur la question des visas.
Il a aussi dénoncé une « histoire officielle, « totalement réécrite » » qui « ne s’appuie pas sur des vérités » mais sur « un discours qui repose sur une haine de la France ».
« Un égarement impardonnable qui ne restera pas sans conséquences »
Selon lui, la nation algérienne post-1962 s’est construite sur « une rente mémorielle » entretenue par « le système politico-militaire ».
Macron a exprimé son inquiétude de cette « réécriture » et dit craindre « un renfermement » de la mémoire et « un éloignement » avec le peuple algérien.
Aussi, il a affirmé souhaiter une production éditoriale portée par la France, en arabe et en berbère, pour contrer ce qu’il qualifie de « désinformation » et « une propagande » portées par les Turcs qui « réécrivent complètement l’histoire ».
La première réaction d’une source algérienne, contactée par TSA, qualifiant ces propos d’ « égarement impardonnable qui ne manquera pas de susciter une réaction officielle de vive condamnation au niveau approprié ».
« Se poser, ingénument, des questions sur l’existence de la Nation algérienne pour justifier l’amnésie mémorielle de la France officielle est un égarement impardonnable qui ne restera pas sans conséquences », indique la même source.
« Tout comme l’est, ajoute-t-elle, l’aveuglement qui consiste à imputer au système « politico=militaire» (sic) algérien une rente mémorielle pour mieux exonérer cette France officielle autiste, qui refuse de voir, en face, son terrible passé colonial, fait de meurtres, de viols et de spoliations, autant d’exactions qui relèvent de crimes contre l’humanité ».
Pour la même source, cette sortie n’est pas innocente et est motivée par des considérations électoralistes : « Cette sortie de route du président Macron, à propos de l’Algérie et de ses institutions, est lamentable et elle pue à plein nez l’opportunisme électoral ».
La même source estime que même les restrictions sur les visas obéissent au même objectif.
« Elle est, d’ailleurs, de la même veine que la décision injustifiée par laquelle ce président a décidé de réduire drastiquement les visas pour les ressortissants des pays du Maghreb. À défaut de nourrir sa réflexion pour ‘apaiser la blessure mémorielle’ comme il le prétend, Macron s’égare car il est littéralement obsédé par les prochaines échéances présidentielles et au lieu d’élever le débat, il se résigne à patauger dans la fange anti-algérienne pour ne pas se laisser distancer par les racistes du RN et de Génération Z. Il est pris dans la nasse de l’extrême droite », explique la source algérienne.
« La rente et le fonds de commerce anti-Algérie prospèrent, d’année en année, signe que c’est plutôt le système français qui est fatigué et qu’il est vain de chercher des justifications fumeuses de l’autre côté de la Méditerranée », conclut-il.
Macron-Algérie : une relation paradoxale
Tout au long de l’année 2020, le même François Gouyette est décrié par une partie de la classe politique et le gouvernement qui ne voyaient pas d’un bon œil ses activités, notamment ses rencontres avec des formations politiques et des acteurs de la société civile.
Le point culminant de cette désapprobation fut la déclaration de Amar Belhimer, alors porte-parole du gouvernement, en décembre 2020.
« Aucun diplomate, y compris l’actuel ambassadeur de France, ne peut ignorer ces règles de base dans la pratique diplomatique, sinon il sera soumis aux mesures souveraines en vigueur de pays hôte », avait menacé Belhimer, indiquant que « l’impérialisme est un mauvais élève », et que cela « s’applique parfaitement au comportement de la France vis-à-vis de l’Algérie ».
« Nous déplorons ces différentes déclarations, qui ne reflètent ni la qualité de nos relations bilatérales, ni la dynamique de leur renforcement, soutenue au plus haut niveau par les autorités de nos deux pays », avait répliqué la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères.
La « rente mémorielle », entretenue par « le système « politico-militaire » c’est assurément une expression au vitriol qui tranche avec la ligne adoptée par Emmanuel Macron concernant la question de la mémoire et qui risque de remettre les choses à la case départ.
La présidence Macron est marquée par un gros paradoxe dans la relation entre l’Algérie et la France. Le président Français a multiplié « les gestes » en faveur d’un apaisement sur la question mémorielle, reconnaissant notamment la responsabilité de la France dans l’assassinat des nationalistes algériens Maurice Audin et Ali Boumendjel, qualifiant le colonialisme de « crime contre l’humanité » et commandant un rapport sur la question à l’historien Benjamin Stora.
C’est aussi pendant cette période –particulièrement dans la seconde moitié du mandat de Macron- que de nombreuses entreprises françaises ont quitté l’Algérie et des crises sporadiques sont signalées. Outre les déboires de l’ambassadeur François Gouyette, un ministre algérien, Hachemi Djaboub, a qualifié en avril dernier, la France d’ « ennemi traditionnel et éternel » de l’Algérie. Les derniers propos de Macron risquent de donner lieu à la crise la plus grave entre les deux pays depuis plusieurs années.