Le phénomène de l’émigration clandestine a pris des proportions inquiétantes ces derniers mois en Algérie. Pas une semaine ne passe sans que de jeunes algériens ne perdent la vie, noyés en mer, dans leur tentative de rejoindre clandestinement les côtes européennes.
Pour le Pr Mustapha Khiati, président de la fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (Forem), ce phénomène est un “double suicide”.
Il revient dans cet entretien sur les raisons qui poussent les jeunes algériens à vouloir quitter leur pays, au péril de leur vie, et sur le silence des autorités face à cette hécatombe.
Le phénomène de l’émigration clandestine revient en force ces derniers mois en Algérie. Plus de 1700 migrants sont arrivés en deux week-ends sur les côtes espagnols. Des centaines d’autres sont interceptés chaque semaine par les garde-côtes algériens. D’autres décèdent en mer, après le naufrage de leur bateau. Malgré ces criques, comment expliquez-vous cette recrudescence des départs de migrants ?
Aujourd’hui, ce phénomène s’explique d’abord par la mal-vie, le chômage, la perte d’espoir chez les jeunes notamment. Il faut dire aussi que l’attraction de l’étranger est très importante à travers les réseaux sociaux et les paraboles.
Mais seulement, les jeunes ne mesurent pas les risques de l’aventure. Tout d’abord, c’est une aventure qui est très dangereuse parce qu’ils s’exposent à la mort.
On l’a vu, sur les milliers de personnes qui ont quitté l’Algérie depuis le mois de juin passé, un nombre effarant de décès et notamment chez les femmes et les enfants, a été enregistré.
Deuxièmement, ils ne mesurent pas ce qu’est la vie sur place. Beaucoup de pays européens sont frappés par le chômage, et ont de gros problèmes d’emploi aujourd’hui.
Ce n’est plus les années fastes où les gens trouvaient facilement un emploi. Autre chose, lorsque l’on part à l’étranger de cette façon, il faut avoir quelque chose, avoir une qualité, être un joueur par exemple, ou être un musicien chevronné. Il faut être professionnel, et maîtriser un métier.
Un plombier, un électricien, un tôlier, ces personnes-là (qui maitrisent un métier) peuvent trouver éventuellement un travail, mais au noir, parce que la législation des pays de destination ne leur permet pas de travailler.
Mais pour les autres, ils sont plus ou moins condamnés à brève échéance, au vol pour vivre, et ils s’exposent bien sûr après à des poursuites. On le voit d’ailleurs aujourd’hui, une partie des prisonniers dans les pays européens sont de jeunes algériens qui se sont fait arrêter, soit parce qu’ils ont été surpris sans papiers, soit parce que ils ont été arrêtés à la suite d’une erreur, d’un vol etc.
Comment expliquez-vous le silence des autorités algériennes sur ce phénomène qui endeuille les familles ?
Je pense que les autorités sont préoccupées par d’autres problèmes qu’elles considèrent comme prioritaires. De toute façon, ce problème existe depuis plusieurs années.
Le phénomène, qui a commencé pratiquement en 2001 – 2002, n’est pas nouveau, cela fait plus de vingt ans qu’il existe. Je pense que les autorités ont d’autres priorités, et que pour l’instant, le phénomène de la harraga (émigration clandestine), comme celui de la drogue d’ailleurs, ne paraissent pas être des priorités pour elles.
Que faut-il faire pour endiguer ce phénomène, et convaincre les Algériens de rester dans leur pays ?
Il faut tout d’abord sensibiliser et expliquer aux jeunes que le fait de partir en Europe, pour l’instant, ce n’est pas une sinécure, a moins d’avoir un métier et d’être sûr d’être recruté par la suite…
Mais partir comme ça à l’aventure, sans avoir rien à proposer, c’est vraiment un double suicide. Suicide qui peut être occasionné par le naufrage en mer.
Et par la suite, suicide plus lent, dans la pauvreté et la misère, parce que l’on ne trouve pas de boulot. L’esprit de chauffeur ou de gardien que l’on a en Algérie n’existe pas en Europe.
Il faut que les gens comprennent que ces pays ont besoin d’une main d’œuvre qualifiée.
Je pense que cela relève du rôle du ministère de la Jeunesse, et des autres ministères, que ce soit le ministère des Affaires religieuses, ou le ministère de l’Éducation, d’expliquer aux jeunes les risques de partir comme ça à l’aventure.
Il faut essayer de créer des emplois pour ces jeunes-là, créer des débouchées, et leur redonner de l’espoir. Tout est lié à cela. Si on arrive à donner de l’espoir aux jeunes, ils n’auront pas à partir.