Samedi 26 octobre 2019, dernier délai pour le dépôt des dossiers de candidatures pour l’élection présidentielle du 12 décembre. Pour la première fois, la formalité se fait au niveau de l’Autorité d’organisation des élections, nouvellement créée, et non au siège du Conseil constitutionnel. Celui-ci se contentera désormais du rôle d’arbitre suprême qui se prononcera sur d’éventuels recours.
Le siège de l’Autorité est implanté à Club des Pins. Il est pris d’assaut par les journalistes dès la matinée. Et pour cause, la majorité des candidats, enfin ceux qui seraient parvenus à passer l’écueil de la collecte des signatures, a préféré attendre la dernière minute pour le dépôt du dossier qui fait acte de candidature officielle.
Le show durera toute la journée, jusqu’à minuit avec le dépôt du dossier de Fares Mesdour. Des 147 personnalités qui ont retiré les formulaires, vingt-deux ont déposé leurs dossiers de candidature.
Un parti de l’ex-alliance présidentielle ouvre le bal
Le bal a commencé mercredi 23 octobre. Azzedine Mihoubi, ex-ministre de Bouteflika et successeur d’Ahmed Ouyahia à la tête du RND, a déposé « beaucoup plus » que le quota de 50 000 signatures de citoyens exigées par la loi. Plus de cent mille, indiquent certaines sources, 160 000 précisent d’autres. Une grosse performance quand on sait tout le rejet qui frappe le parti depuis la chute du président qu’il a soutenu pendant vingt ans.
Pour les manifestants du hirak, le RND, première puis deuxième force politique en termes de représentation dans les assemblées ces vingt-cinq dernières années, est tout aussi responsable que le FLN dans la consolidation du système Bouteflika et de la corruption généralisée qu’il a générée.
Les deux partis et les autres membres de l’ex-alliance présidentielle ont d’ailleurs été exclus, comme l’avait exigé le reste de la classe politique, du dialogue qui a précédé le lancement du processus électoral. Paradoxalement, c’est à l’un d’entre eux qu’a échu l’honneur d’ouvrir le bal des candidatures. Avec, sans doute, la meilleure performance concernant la collecte des parrainages.
Le RND peut bien avoir été aidé par ses nombreux maires et élus locaux, même si le chiffre avancé parait incompatible avec la défiance ambiante vis-à-vis du scrutin. Mais qu’en est-il des autres candidats ? Comment ont-ils pu passer l’étape des signatures sans, visiblement, trop de difficultés ?
Ce samedi matin, c’est Abdelmadjid Tebboune, le candidat auquel sont prêtés des soutiens en haut lieu, qui arrive en premier. Son staff décharge des piles de formulaires. Plus de 50 000, évidemment. Idem pour Ali Benflis, qui déposera son dossier dans l’après-midi. Entre les deux candidats crédités de sérieuses chances de passer, défilent des poids plume, des nouveaux venus en politique et des illustres inconnus.
Des prouesses difficiles à expliquer
Ali Zeghdoud, l’homme qui a été de tous les scrutins ces vingt dernières années sans jamais rien peser, aurait déposé des formulaires vierges, c’est-à-dire non signés. Mais les autres assurent qu’ils ont pu collecter au moins 50 000 signatures en bonne et due forme.
Parmi eux, le président du Front de l’avenir Abdelaziz Belaïd, et le président de l’ANR Belkacem Sahli, l’un des plus fervents défenseurs de Bouteflika et de son cinquième mandat. Sans parti ni troupes, le journaliste Slimane Bakhlili, l’ex-haut fonctionnaire Naoui Kherchi ou encore Fares Mesdour, « l’économiste » aux chiffres stratosphériques, sont aussi venus les bras chargés.
50 000 signatures dans au moins vingt-cinq wilayas en quelques jours, cela ressemble à une prouesse pour des candidats sortis de nulle part. Une prouesse qui, à défaut de renforcer l’illusion d’un engouement populaire autour du scrutin, jette au contraire davantage de discrédit sur cette première étape.
Outre la célérité avec laquelle l’opération a été menée et le nombre impressionnant de signatures collectées – on parle de plus d’un million pour l’ensemble des candidats -, les observateurs relèvent surtout qu’elle a eu lieu sans images. Ce qui est incompréhensible. Ni les télévisions publiques et privées ni les staffs des candidats n’ont pensé à filmer le déroulement de l’opération pour les besoins de la propagande en faveur du vote pour la première et de la pré-campagne pour les seconds.
Sauver les formes…
Sur les réseaux sociaux, on avait prêté aux autorités l’intention de destiner à l’opération de collecte des signatures les pièces que les citoyens ont été priés de fournir pour des prestations qui ne surviendront que dans plusieurs mois, comme l’aide sociale du mois du ramadan.
La semaine passée, huit fonctionnaires de la mairie de Souk Ahras ont été surpris par la police en flagrant délit de remplissage illégal des formulaires. L’affaire est entre les mains de la justice et le sort des « vraies » signatures entre celles de l’Autorité électorale. C’est elle en effet qui décidera lesquels des 22 dossiers réceptionnés seront en lice le 12 décembre prochain.
Néanmoins, un éventuel criblage sauvera à la limite les formes, sans plus. Car sur le fond, quels que soient les candidats qui seront retenus, l’opinion est déjà assurée de devoir choisir entre les soutiens et proches collaborateurs de Bouteflika. Surtout, entre des candidats qui ont tourné le dos au hirak populaire, pas seulement en acceptant de participer au scrutin contre l’avis de la rue.
Tout au long de ces dernières semaines, tous les candidats déclarés se sont montrés très peu loquaces sur des questions brûlantes de l’actualité, comme les lois controversées que le gouvernement compte faire adopter avant l’élection ou les multiples atteintes aux libertés.
Abdelmadjid Tebboune a par exemple refusé, au nom de la souveraineté de la justice, de répondre à une question d’une journaliste étrangère relative au calvaire des détenus d’opinion. Quant à Ali Benflis, il a certes appelé à surseoir à l’adoption de la loi sur les hydrocarbures, mais concernant les détenus, il a laissé à sa représentante Sabria Dehiles le soin de dire tout le bien que pense le parti des avant-gardes des libertés de ceux qui ont été privés de leur liberté pour avoir manifesté, brandi un drapeau prohibé ou simplement exprimé une opinion.