« Je n’ai pas dormi depuis hier tellement je suis heureuse. On attendait ça depuis des années »: comme beaucoup d’autres Saoudiennes, Noura ne cache pas sa joie de pouvoir bientôt se mettre au volant.
« J’ai 27 ans (…), ça a toujours été mon rêve et depuis que ce rêve est devenu réalité, je suis euphorique ».
« Je vais avoir du mal à attendre neuf mois » pour pouvoir conduire, insiste cette femme joviale rencontrée mercredi dans le centre de Ryad à un café fréquenté par des Saoudiennes professionnellement actives.
Au centre des discussions: la décision surprise du roi Salmane d’autoriser les Saoudiennes à conduire à partir de juin 2018, une mesure historique saluée en Occident où les critiques contre le déficit démocratique de l’Arabie sont fréquentes.
Ce pays ultraconservateur, régi par une version rigoriste de l’islam sunnite et le seul au monde à interdire le volant aux femmes, vient d’abattre un grand mur, de l’avis des analystes.
« C’est un droit civique. Les hommes et les femmes doivent avoir le droit (de conduire)(…). De plus en plus de choses positives sont en train de se passer, cela veut dire que mon pays se développe », renchérit Noura.
La question a longuement agité une société rétive à une autonomie réelle des femmes en raison de lourdeurs sociales et de l’opposition de la frange conservatrice des oulémas, sourde à une demande qui a conduit des Saoudiennes ayant bravé l’interdit du volant en prison.
Le décret royal de mardi soir prend soin de rappeler que « la majorité » des oulémas n’était pas contre l’autorisation des femmes à conduire et qu’il fallait encadrer cette nouvelle liberté de manière à respecter la loi islamique.
– ‘Pour plaire à Trump’ –
Les résistances à cette décision sont palpables sur la Toile où certains Saoudiens ont exprimé ouvertement leur mécontentement.
« C’est une décision qui fait plaisir (au président américain Donald) Trump et à sa fille et n’enthousiasme que la presse occidentale », a commenté un internaute.
La président américain a applaudi en personne la décision saoudienne.
Sous le hashtag « le peuple refuse de voir les femmes conduire », certains ont appelé les Saoudiennes à rejeter cette décision et d’autres y ont vu une incitation aux « déviations et à la perte de l’identité ».
Mais les commentaires enthousiastes sont écrasants. « C’est une bonne décision et un signe de confiance dans les Saoudiennes », a commenté un internaute sous le nom d’Abou Fahd.
« Ca va nous aider à compter sur nous-mêmes et à ne plus avoir besoin de qui que ce soit. Nous n’allons plus avoir besoin de chauffeurs, toutes les femmes seront libres et indépendantes », se réjouit Sara, employée dans un hôpital de Ryad.
Certains hommes y trouvent des avantages, comme Abdelaziz Ahmad, un jeune employé qui trouve préférable pour sa femme de conduire que d’être dans « un Uber et de se trouver seule avec un homme dans une voiture ».
« Certaines femmes en ont besoin, surtout les femmes âgées ou divorcées qui n’ont personne pour les aider. Donc c’est une bonne chose », commente pour sa part Amira, une autre Saoudienne de Ryad, en référence au système de tutelle masculine.
Khadija dit prudemment n’avoir pas l’intention de se mettre au volant immédiatement après la levée effective de l’interdiction. « Je préfère attendre un peu que les gens s’habituent à voir les femmes conduire », dit-elle.
Dans la sphère officielle, Latifah al-Shaalan, membre du Conseil consultatif (assemblée désignée), a évoqué sur Twitter « un jour glorieux » pour les Saoudiennes.
« Mettre les femmes au volant est le moyen le plus efficace d’annoncer au monde – et aux Saoudiens – que le royaume entre dans une nouvelle ère », déclare à l’AFP Kristin Diwan de l’Arab Gulf States Institute à Washington.