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Deux mois après le départ de Bouteflika : le pouvoir résiste, le peuple persiste

Deux mois après le départ de Bouteflika : le pouvoir résiste, le peuple persiste

Ce dimanche 2 juin, l’Algérie boucle son deuxième mois sans Bouteflika. Le président est parti après deux décennies d’un règne marqué par une dérive totalitaire et plus d’un mois d’une révolte populaire pacifique et joyeuse.

Mais si le président a été poussé vers la porte par la mobilisation populaire, son système persiste et se maintient. La protestation populaire aussi car cette démission n’a pas été perçue comme une victoire par la plupart des Algériens.

Des délestages pour sauver le système

Avec deux mois de recul, il s’est avéré que le départ de Bouteflika n’était qu’un délestage effectué par le système pour échapper à la pression populaire, une manœuvre parmi tant d’autres et qui avaient commencé déjà bien avant le 2 avril.

Malgré deux vendredis de mobilisation jamais vue en Algérie (le 22 février et le 1er mars), la candidature de Bouteflika est officialisée le dimanche 3 mars par le dépôt de son dossier au Conseil constitutionnel. De quoi agiter encore plus les Algériens qui sortiront très nombreux le soir-même et le vendredi suivant, pour dire leur colère.

Une lettre attribuée à Bouteflika est lue par le présentateur du journal télévisé de l’ENTV le soir-même. Une nouvelle manœuvre. Dans le texte, le président promet l’organisation d’une présidentielle anticipée et l’organisation d’une conférence nationale. En somme, une période de transition contrôlée par lui et son entourage. La proposition rejetée par le peuple, les manifestations se poursuivront, l’entêtement du pouvoir aussi.

Lâché, dès le début mars, par les organisations de masses (ONM), une partie du patronat et d’autres soutiens qui ont été la clientèle du système pendant des années, Bouteflika rentre à Alger le 10 mars de Genève où il était hospitalisé depuis le 24 février. Dès le lendemain, il annonce dans une lettre le report de la présidentielle du 18 avril et son renoncement à briguer un cinquième mandat.

Dans la foulée, Ahmed Ouyahia est reçu à la présidence où « il remet sa démission », disent les sources officielles, alors qu’il était évident qu’il a été sacrifié pour calmer la colère du peuple. Un limogeage qui ne dit pas son nom et une dernière manœuvre avant le sacrifice ultime que fera le système pour se préserver : celui du président lui-même, à qui nombre de parties du pouvoir, toujours en place aujourd’hui, avaient juré fidélité. Ce énième délestage fera gagner du temps au pouvoir et érigera Ahmed Gaid Salah, le chef d’état-major qui avait appelé à hâter l’application de l’article 102 de la Constitution, en héros ayant « dégagé » Bouteflika. Mais pas pour longtemps.

Le dernier départ d’une figure du système est celui de Tayeb Belaiz, président du Conseil constitutionnel qui a lui aussi juré fidélité à Bouteflika. Sa démission le 16 avril satisfait en partie – il a été remplacé par un magistrat proche du régime – une des revendications des manifestants qui demandent le départ des trois B, les deux autres étant Bensalah et Bedoui. Depuis, plus aucun départ, ni démission ni limogeage n’a eu lieu dans les hautes sphères de l’État et les manifestants continuent à réclamer, chaque semaine, le départ des deux B restant.

Gaid Salah, le chaud et le froid

Les mois de mars et d’avril seront caractérisés par des manifestations de plus en plus imposantes, dans toutes les villes algériennes et des slogans évoluant au fil des manœuvres et diversions du pouvoir.

Du « non au cinquième mandat », les algériens passeront unanimement au « yetnehaw gaâ » dès les premières semaines après le départ de Bouteflika. Ce dernier est remplacé par un Bensalah transparent et sans substance. Bedoui, qui succède à Ouyahia, restera le premier ministre d’un gouvernement composé du seul Ramtane Lamamra, vice-premier ministre et ministre des AE, jusqu’au 31 mars, date de la désignation d’un nouveau gouvernement pour la durée de transition de 90 jours prévue par la Constitution.

Le vide régné au sommet de l’Etat, plaçant l’omniprésent chef de l’armée au-devant de la scène politique comme seul interlocuteur du peuple. Le général Gaid Salah parlera alors, beaucoup, quasiment chaque semaine, à l’occasion de sorties sur le terrain où il supervise des exercices militaires.

Le ton des discours du chef de l’état-major passera à de multiples reprises du chaud au froid tout au long des deux mois qui ont suivi le départ de Boutefilka. Tantôt conciliant et rassurant, affirmant son positionnement « aux côtés du peuple » et appelant au dialogue, tantôt tranchant, menaçant, dénonçant les « complots », les « manipulations » et les « slogans irréalisables », alors qu’ils sont portés par la majorité des algériens.

Attaché à « rester dans le cadre constitutionnel », Gaid Salah insitera dans plusieurs de ses discours sur la tenue des élections « comme seule issue » à la crise. Lors de sa dernière sortie à Tamenrasset, le mardi 28 mai, Gaid Salah a prononcé un nouveau discours, de nouveau conciliant, dans lequel il a appelé au « dialogue ». Le lendemain, 29 mai, il prendra encore la parole pour réitérer son appel en invitant à en faire « un projet civilisationnel ».

Le vendredi suivant, soit le vendredi 24 mai, les Algériens sont sortis par centaines de milliers dans les rues pour répondre au chef de l’armée : « pas de dialogue avec la bande, pas de dialogue ni d’élection tant que Bensalah, Bedoui et d’autres figures du système sont encore au pouvoir ».

La justice se met en branle

Alors que les algériens continuaient, au fil des vendredis, à demander le départ de tout le système, Ahmed Gaid Salah multipliait les appels à poursuivre en justice les membre de « la bande » proche de Bouteflika. Il sera entendu, pour ne pas dire obéi, puisque, et lui et les magistrats insistent sur le fait que la justice « n’agit pas sur injonctions ».

Le premier membre de « la bande » à être arrêté est le patron du groupe ETRHB et président du FCE Ali Haddad. Il a été interpellé au poste-frontière Oum Tboul, dans la nuit du 30 au 31 mars, alors qu’il s’apprêtait à entrer en Tunisie. Dans un premier temps, il lui est reproché la non-déclaration de devises (5000 euros) qu’il transportait avec lui et la présentation de documents de voyages non-conformes. Par la suite, il sera entendu dans d’autres affaires.

Le 16 avril, Gaid Salah est en visite à Ouargla. Il y prononce un discours enflammé dans lequel il dit s’attendre à « ce que les instances judiciaires concernées accélèrent la cadence du traitement des différents dossiers concernant certaines personnes ayant bénéficié indûment de crédits estimés à des milliers de milliards ». Il s’en prend directement au général Toufik, ancien patron des renseignements, l’accusant d’être une des « parties » ayant pris part à des « réunions suspectes qui se tiennent dans l’ombre pour conspirer autour des revendications du peuple et afin d’entraver les solutions de l’Armée nationale populaire et les propositions de sortie de crise ».

Des paroles qui seront suivies d’effets. Une longue série d’interpellations d’hommes d’affaires, de hauts-responsables de l’État et de personnalités politiques sera entamée par la justice civile et la justice militaire peu de temps après ce discours. Le 1er avril, des interdictions de sortie du territoire nationale sont émises à l’encontre de 12 hommes d’affaires proches du clan Bouteflika, dont Mahieddine Tahkout et les frères Kouninef. Ces derniers seront arrêtés le 22 avril, le même jour que le PDG de Cevital Issad Rebrab. La veille, la cour militaire de Blida avait annoncé la mise sous mandat de dépôt du général-major Said Bey, ancien chef de la 2e région militaire et le lancement d’un mandat d’arrêt contre le général-major Habib Chentouf, ancien commandant de la 1ère région militaire.

Le samedi 4 mai, Said Bouteflika, frère et conseiller de l’ex-président, les généraux Tertag et Toufik sont arrêtés sur ordre d’un juge d’instruction du tribunal militaire de Blida. Ils sont accusés d' »atteinte à l’autorité de l’Armée » et « complot contre l’autorité de L’État », selon un communiqué et leurs images arrivant au tribunal diffusées par la télévision publique, puis en boucle par les télévisions privées marqueront les esprits pendant longtemps.

Le jeudi 9 mai, Louisa Hanoune se rend au même tribunal militaire pour répondre à une convocation « en tant que témoin », selon Ramdane Youcef Tazibt, cadre du Parti des Travailleurs. Elle sera placée sous mandat de dépôt le jour-même pour des faits liés à l’affaire concernant Said Bouteflika et les généraux Tartag et Toufik, selon les médias publics.

L’arrestation de Mme Hanoune est la dernière en date, depuis « lmendjel » ou la « faucille », comme l’appellent les partisans enthousiastes des poursuites judiciaires semble avoir été mis en pause. Ses prochaines cibles pourraient être de « gros poissons ». Les dossiers d’Abdelghani Zaalane, Amar Tou, Boudjemaa Talai, Karim Djoudi, Amara Beyounes, Abdelkader Bouazghi, Amar Ghoul, Abdeslam Bouchouareb, Abdelkader Zoukh, Mohamed Djamel Khenfar, Abelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia ont été transmis à la Cour suprême, a annoncé la Cour d’Alger le dimanche 26 mai. Ils sont visés par des « enquêtes préliminaires effectuées par la gendarmerie concernant des faits à caractère pénal ».

Depuis le départ de Bouteflika, un seul B est parti, Tayeb Belaiz. Les interpellations et poursuites judiciaires contre des hommes d’affaires et des politiciens se sont accélérées, surtout depuis le 16 avril et le discours enflammée de Gaid Salah, faisant tomber des personnalités que beaucoup croyaient, jusque-là intouchables. Une agitation inédite en Algérie, mais dont les citoyens semblent se préoccuper que très peu.

Les manifestations des derniers vendredis ont démontré que ces arrestations et autres départs de certaines figures ne suffisent pas à satisfaire, ni à convaincre la majorité d’Algériens impliqués dans la protesta à faire confiance au pouvoir en place, présenté comme « nouveau » par certains, pour gérer la transition.

Les nouveaux décideurs ont beau changer de ton d’une semaine à l’autre, s’entêter à imposer leur feuille de route ou prétendre « faire des concessions », les poursuites ont beau s’accélérer et s’élargir à plus de personnalités chaque semaine, la protesta garde sa vitesse de croisière et les manifestants ne perdent pas de vue leur objectif premier : le départ de tout le système. C’est dire si, deux mois après le départ de Bouteflika, le système résiste et le peuple persiste.

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