L’actualité économique de cet été a encore été animée par les vicissitudes du marché parallèle de la devise. Comme souvent, on a d’abord assisté à une flambée des cours en début de saison avant un repli constaté ces dernières semaines.
Une actualité également rythmée par des saisies record de devises exportées illégalement comme ces 2 millions d’euros retrouvés à la frontière tunisienne dans les bagages d’un jeune homme d’une vingtaine d’années.
Voici quelques années, Dahou Ould Kablia, alors ministre de l’Intérieur, faisant une incursion inattendue dans le domaine de l’économie en résumant le sentiment général en soutenant que le marché parallèle du change ne doit pas être interdit car les « citoyens y trouvent leur compte ».
Par cette affirmation en forme d’aveu, ce ministre était même encore au-dessous de la vérité. Dans l’état de fonctionnement et d’organisation actuels du système financier algérien, on peut soutenir sans aucune exagération que le marché noir de la devise est aujourd’hui une activité de salubrité publique.
Le change au noir est aujourd’hui le seul moyen pour le simple citoyen, l’homme d’affaires ou le patron de PME, de voyager, d’acheter un médicament introuvable sur le marché national ou une pièce de rechange sans passer des mois à attendre un crédit documentaire. Le marché noir des devises est une soupape de sécurité pour tout le monde et sa disparition nous ramènerait dans beaucoup de domaines aux pires années de pénuries.
Un marché moderne, efficace et transparent
Le marché noir de la devise fonctionne très bien et possède toutes les caractéristiques d’un marché transparent, loyal, organisé et concurrentiel… voire moderne. Les cours de change sont uniques sur l’ensemble du marché et connus de tous. Ils sont révisés très régulièrement en fonction de l’état de l’offre et de la demande. Les commissions perçus par les intermédiaires sont relativement modestes. Le marché est bien approvisionné et les transactions s’y effectuent avec une rapidité et une facilité qui pourrait être citées en exemple. Il possède un autre atout indispensable dans le monde de la finance : la confiance. Pas ou très de faux billets ni d’arnaques.
Autant de caractéristiques et de performances dont le ministère des Finances et la Banque d’Algérie au moment de concevoir la future architecture du marché secondaire et officiel de la devise, s’il voit le jour, auraient tout intérêt à s’inspirer. Pour l’instant le marché noir de la devise a encore de beaux jours devant lui.
Le cours de l’euro se détend à la fin de l’été
Après avoir atteint un pic à près de 218 dinars au mois de juillet, la devise européenne est en repli à environ 210 dinars depuis une semaine.
Explications. Il y a d’abord la forte hausse du dollar par rapport à l’euro. Par effet mécanique, le dinar s’ajuste. Mais pas seulement : la traditionnelle « ruée vers l’euro » du début de l’été, stimulée par les départs en vacances à l’étranger, a été également alimentée cette année par la demande des hadjis qui est intervenue presqu’aux même dates. Elles ont provoqué une flambée de la demande qui est aujourd’hui retombée un peu.
Le même phénomène s’était d’ailleurs produit l’année dernière à peu près aux mêmes dates. Début août 2017, la valeur de l’euro avait franchi pour la première fois la barre symbolique des 200 dinars pour atteindre même, pendant quelques jours, un pic à 204 ou 205 dinars pour un euro.
Ahmed Ouyahia, qui venait de prendre ses fonctions s’était empressé à l’époque de dénoncer l’action des « spéculateurs du marché des changes ». Le cours de la devise européenne était ensuite revenu sagement à 196 dinars. Comme avant les vacances d’été.
Pas de quoi s’étonner vraiment. Entre les 210 dinars de la fin de cet été et les 196 dinars de l’année dernière à la même époque, l’écart est de 14 dinars soit environ 7% .Ce qui représente à peu près le différentiel d’inflation annuel entre notre pays et la zone euro.
Le FMI s’intéresse au marché noir de la devise
Autre événement intervenu cet été, le FMI, dans son dernier rapport sur l’Algérie, consacre pour la première fois des développement intéressants au marché noir de la devise.
On peut lire dans le document très touffu, publié en juillet, qu’en Algérie « un marché des changes parallèle et illégal s’est formé au fil des ans, qui semble gagner en ampleur et en sophistication. La prime appliquée sur le marché parallèle s’élève actuellement à environ 50% du taux de change officiel ».
Dans une démarche très classique, les experts du Fonds monétaire tentent de recenser les principales sources de l’offre de devises sur le marché parallèle. Elle provient selon eux et dans l’ordre : « du rapatriement des retraites d’anciens expatriés algériens, des envois de fonds d’expatriés algériens actuels, de la surfacturation des importations et enfin des recettes touristiques qui échappent au secteur bancaire ».
La demande, de son côté, serait alimentée par les principaux éléments suivants : « Les opérations de change en vue de l’achat d’importations faisant l’objet de restrictions, la fuite de capitaux pour investir à l’étranger ou échapper à l’impôt, ou comme réserve de valeur et la spéculation sur les fluctuations des taux de change officiel et parallèle ». Les experts de Washington ont curieusement oublié de mentionner la demande des touristes algériens à l’étranger et celle des hadjis (Hadj et Omra).
Pas d’unification des marchés en perspective
Les institutions financières internationales, comme on le sait, n’aiment pas beaucoup le marché noir de la devise et le FMI indique que « l’existence du marché parallèle complique la gestion macroéconomique car elle alimente les anticipations inflationnistes, fausse la formation des prix et affaiblit les canaux de transmission de la politique monétaire ».
Il ajoute de façon plus précise que, dans le contexte actuel de l’économie algérienne, « le recours au financement monétaire, qui risque d’exacerber les tensions inflationnistes, pourrait accroître la demande sur le marché parallèle, augmenter les primes appliquées au taux de change et encourager des comportements favorisant l’inflation (la surfacturation des importations, par exemple) ».
Comment sortir d’une situation à deux monnaies et deux économies ? Le FMI n’est pas très optimiste à court terme mais propose quand même quelques solutions. Il note que « l’ajustement progressif du taux de change officiel, le relèvement des plafonds indicatifs des montants de devises que les voyageurs peuvent emporter et l’assouplissement des restrictions aux importations pourraient réduire l’ampleur du marché parallèle, mais ne suffiraient pas à l’éliminer. L’unification des deux marchés ne sera possible qu’en libéralisant progressivement les transactions en capital, une mesure qui ne pourra être envisagée qu’une fois les conditions macroéconomiques devenues plus favorables ».