L’Algérie multiplie les mesures susceptibles de sonner le glas pour le marché noir des devises. La dernière en date est l’augmentation substantielle du montant de l’allocation touristique.
L’existence d’un double taux de change est considérée par les économistes et les institutions internationales comme problématique pour l’économie algérienne.
Le marché noir est encouragé par deux types de demande, l’une légitime, celle des voyageurs pour couvrir leurs dépenses à l’étranger, est une autre qui l’est moins, celle des réseaux du commerce informel, de l’évasion des fonds et du blanchiment d’argent.
Dans sa stratégie, l’État algérien a entrepris de prendre en charge la demande légitime et de dissuader le reste. Les mesures successives décrétées produiront-elles des effets enfin significatifs ?
L’Algérie épinglée par le GAFI
En juin 2023, la Banque mondiale avait souligné l’urgence de prendre les choses en main dans 14 pays où le différentiel entre le taux officiel et le marché parallèle de la devise dépasse les 10 %.
L’Algérie y figurait, aux côtés d’autres pays comme l’Argentine, l’Éthiopie et le Nigéria. En Algérie, le différentiel atteint les 80 %. Alors que l’euro vaut 141 dinars au taux de change officiel de la Banque d’Algérie, il est échangé pour plus de 257 dinars au marché parallèle, ce mercredi 11 décembre.
Tous les acteurs du marché sont perturbés par l’existence d’un double taux qui a un “coût prohibitif” pour l’économie, avait souligné la Banque mondiale.
Il est en partie responsable de la hausse de l’inflation, entrave le développement du privé, décourage l’investissement étranger et freine la croissance.
Nonobstant la corruption générée par le fait que seuls des groupes privilégiés peuvent accéder à la devise subventionnée, ainsi que la facilitation des opérations de blanchiment d’argent.
En octobre dernier, l’Algérie a été ajoutée à la « liste grise » du Groupe d’action financière (GAFI), le réseau international qui lutte contre le blanchiment d’argent.
Les pays de la liste grise sont placés « sous surveillance renforcée ». L’Algérie a été ajoutée au même titre que la Côte d’Ivoire, le Liban et l’Angola à la liste qui contient désormais 24 pays. Seuls trois pays, l’Iran, la Birmanie et la Corée du Nord, figurent sur la liste noire du GAFI.
La mise sur la liste grise n’est pas une mesure « punitive », avait indiqué la présidente de l’organisme mondial, expliquant qu’il s’agit seulement d’orienter les pays concernés vers l’amélioration de leurs dispositifs.
Le marché noir des devises facilite évidemment le blanchiment d’argent et le transfert illégal de fonds vers l’étranger. S’il est difficile de quantifier les sommes qui y transitent chaque année, il reste que les transferts des expatriés algériens donnent une idée de l’ampleur du marché parallèle.
Alors que les Marocains de l’étranger rapatrient chaque année environ 11 milliards d’euros, les Algériens transfèrent moins de deux milliards (1,8 milliard en 2023).
Allocation touristique : assécher la demande sur le marché noir de la devise
Les Algériens ne sont pas moins nombreux que les Marocains à l’étranger. Le différentiel entre les transferts des deux communautés s’explique évidemment par le fait que la plus grande partie des transferts des Algériens se fait en dehors des circuits bancaires.
Il s’agit d’un grand manque à gagner pour les ressources en devises de l’État. À cela s’ajoutent les devises issues de la surfacturation des produits importés de l’étranger et celles qui sont obtenues légalement par des opérateurs pour importer des produits.
L’Algérie a pris plusieurs mesures dissuasives ces derniers mois pour assécher les sources du marché parallèle de devises. La première est la mise en place d’une nouvelle réglementation pour l’ouverture de bureaux de change officiels.
Le règlement de la Banque d’Algérie relatif aux conditions d’ouverture des bureaux de change et d’exercice de cette activité a été publié au Journal officiel en novembre 2023.
Toutefois, il ne suffit pas d’encadrer l’ouverture des bureaux pour capter les sommes de devises en circulation. Tant qu’il y a un double taux de change, de surcroît avec une différence importante, ceux qui ont des devises à vendre le feront évidemment au marché parallèle.
La preuve, aucun bureau de change officiel n’a vu le jour depuis la promulgation du nouveau règlement de la Banque d’Algérie il y a plus d’une année.
La mesure la plus importante prise pour réduire la demande sur le change parallèle et, partant, faire baisser les prix des monnaies étrangères, est l’augmentation de l’allocation touristique.
Le 8 décembre 2024, le président de la République a décrété en Conseil des ministres la hausse à 750 euros de la somme que les Algériens sont autorisés à obtenir auprès des banques pour leur voyage à l’étranger, une fois par année civile. L’allocation était limitée jusque-là à 15.000 dinars, soit l’équivalent d’un peu plus de 100 euros.
Beaucoup d’économistes estiment que la mesure va détruire le marché parallèle de la devise puisque ce sont les petits acheteurs (étudiants, touristes, malades, pèlerins…) qui boostent la demande.
Plafonnement de l’exportation des devises
« La décision d’augmentation de l’allocation touristique est optimale, car elle portera un coup de massue au marché informel des devises, source de blanchiment, d’évasion fiscale et de spéculation », assure l’économiste Chabane Assad, fondateur du cabinet de conseil Finabi.
D’autant plus que cette mesure n’est pas unique. Une autre l’a précédée et elle n’est pas moins importante. Il s’agit de la limitation du montant de devises que les voyageurs algériens sont autorisés à faire sortir du territoire national : 7.500 euros par voyageur et par année. Auparavant, le plafond était limité à 7.500 euros par voyage.
Un autre « coup de massue » pour le marché parallèle. Outre la demande des catégories de voyageurs citées, la demande sur la devise au marché noir est alimentée par les réseaux du « commerce du cabas” et du blanchiment d’argent.
La limitation de l’exportation des devises a donc le double objectif de contribuer à la lutte à la foi contre le marché parallèle de la devise et les circuits du commerce informel et du blanchiment.
Bien que multipliée par sept fois et demie, l’allocation touristique en Algérie reste très en deçà des montants alloués dans les pays voisins (elle est par exemple de 1.800 euros en Tunisie et de 10.000 euros en Égypte).
Les autorités algériennes ont opté pour 750 euros, soit juste ce qu’il faut pour financer un séjour de quelques jours à l’étranger, afin d’éviter de créer une nouvelle pratique qui déboucherait sur l’effet contraire : une allocation touristique trop importante fera que le surplus sera utilisé comme moyen de thésaurisation de l’argent, ce qui maintiendrait et encouragerait le marché parallèle.
Du moins en théorie, rien n’a donc été laissé au hasard dans la stratégie de l’Algérie pour venir à bout du marché noir de la devise. Cette fois sera-t-elle la bonne ?
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