Trois personnalités nationales ont lancé, samedi 18 mai, un appel à un dialogue direct entre l’armée et le mouvement populaire. Il s’agit de Ahmed Taleb Ibrahimi, Ali Yahia Abdenour et Rachid Benyelles.
Leur appel est d’une limpide clarté tant dans sa teneur que sur la partie destinataire. Il s’adresse au commandement de l’armée auquel il est « instamment » demandé « de nouer un dialogue franc et honnête avec des figures représentatives du mouvement citoyen (hirak), des partis et des forces politiques et sociales qui le soutiennent, afin de trouver au plus vite une solution politique consensuelle en mesure de répondre aux aspirations populaires légitimes qui s’expriment quotidiennement depuis bientôt trois mois ».
La sortie des trois personnalités est motivée par la situation de blocage « porteuse de graves dangers », « à laquelle nous assistons par le maintien de la date du 4 juillet (pour l’élection présidentielle, NDLR)».
Taleb, Benyelles et Ali Yahia, après avoir rappelé les revendications des Algériens dont une transition « conduite par des hommes et des femmes n’ayant jamais appartenu au système profondément corrompu des vingt dernières années », estiment nécessaire une période de transition « de courte durée » « pour mettre en place les mécanismes et dispositions permettant au peuple souverain d’exprimer librement et démocratiquement son choix à travers les urnes… ». D’où la nécessité d’un dialogue préalable qui, ne pouvant se faire avec les institutions rejetées par le peuple, devra se faire directement avec l’armée qui, même si elle s’en défend, détient les clés de la décision depuis la démission du président Bouteflika.
Le commandement de l’ANP a, depuis le début de la crise, refusé de sortir du cadre constitutionnel et insisté sur la tenue de la présidentielle dans les délais, c’est-à-dire le 4 juillet. L’appel des trois personnalités nationales survient justement au moment où le scrutin est presque définitivement remis en cause. Il ne reste en tout cas que l’annonce officielle de son report ou de son annulation. Les délais de dépôt des dossiers de candidature expirent cette semaine et aucun candidat sérieux ou de poids ne s’est fait connaitre jusque-là.
Vendredi, le peuple a envahi les rues pour le treizième week-end de suite pour dire son rejet de l’élection. Avec l’annulation, ou même le report du scrutin, l’Algérie aura mis les deux pieds en dehors du cadre constitutionnel, en attendant le vide institutionnel qui sera effectif à l’issue de l’expiration de l’intérim de Abdelkader Bensalah, le 9 juillet.
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Un trio crédible et représentatif
Le pouvoir (armée et présidence) ainsi que la classe politique ont peut-être entrevu une telle situation puisque les appels au dialogue se sont multipliés de part et d’autre depuis au moins trois semaines. Le chef d’état-major de l’ANP avait appelé le 30 avril à un « dialogue constructif avec les institutions de l’État (…) pour présenter des propositions constructives, rapprocher les points de vue et atteindre un consensus autour des solutions disponibles ». Ce jour-là, le général de corps d’armée avait déjà laissé entendre que l’élection pouvait ne pas avoir lieu à sa date initiale, appelant à son organisation « le plus tôt possible ».
Depuis, Ahmed Gaïd Salah ne s’est plus exprimé directement sur la situation. Le 5 mai, le chef de l’Etat par intérim avait réitéré la même invitation au dialogue, mais il ne lui avait laissé aucune chance d’être acceptée en limitant son objet à la préparation de la présidentielle qui devra se tenir « dans les délais ».
Dans l’intervalle entre l’appel de Bensalah et le treizième vendredi, de nombreuses formations politiques et personnalités nationales ont fait des propositions de sortie de crise, incluant presque toutes une étape de dialogue sous une forme ou une autre. Mais celle de Taleb, Ali Yahia et Benyelles va droit au but en précisant que le dialogue doit se faire directement avec le commandement militaire. C’est, semble-t-il, l’unique issue pour sortir de l’impasse.
Contrairement à la classe politique, les trois personnages, qui ont leur carrière derrière eux, ne sont pas tétanisés par la crainte d’être vilipendés pour tout « contact » avec le pouvoir. Ils sont d’autant plus au-dessus de tout soupçon qu’en octobre 2017, ils avaient signé un réquisitoire contre le cinquième mandat, l’oligarchie, les affairistes… Un texte qui pourrait être considéré comme le premier appel au déclenchement du mouvement populaire actuel, écrivant avec une incroyable anticipation : « Pour éviter le naufrage et sauver ce qui peut l’être encore, nous devons taire nos divergences culturelles, linguistiques et politiques pour crier à l’unisson : ça suffit !»
A l’époque déjà, ils appelaient l’armée à se « démarquer de manière convaincante du groupe qui s’est emparé indûment du pouvoir et entend le conserver en laissant croire qu’il a le soutien de cette même institution », « à défaut d’accompagner le changement qui s’impose et de participer à l’édification d’une République véritablement démocratique ».
L’initiative de Taleb, Ali Yahia et Benyelles a de réelles chances d’être bien accueillie de part et d’autre. Les trois hommes, même s’ils ont eu à occuper de hautes fonctions à un moment donné de leur carrière, il n’en reste pas moins qu’ils ont su garder leur crédibilité. Même si telle n’est pas leur intention, ils pourraient même mettre tout le monde d’accord pour leur confier la période de transition dont on parle tant. Ils ont un double avantage pour cela : leur âge ne leur permet pas d’avoir encore de l’ambition et, à trois, ils représentent l’essentiel des mouvances qui traversent la société.
Le dialogue auquel ils appellent pourrait rapprocher la fin de la crise, pour peu que le pouvoir ait cette volonté politique nécessaire à toute dynamique de changement. Reste à savoir aussi si l’armée franchira le pas de s’impliquer directement et sans moyens détournés dans un processus politique, ce qui serait une première.
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