Après Ahmed Benbitour et Abdelaziz Rahabi, Mouloud Hamrouche s’est lui aussi rendu, lundi 13 janvier, au siège de la présidence de la République pour discuter avec Adelmadjid Tebboune de la situation générale du pays. Le chef de l’État s’est également déplacé le même jour au domicile d’Ahmed Taleb Ibrahimi.
À chaque fois, la présidence précise dans ses communiqués que ces rencontres entraient dans le cadre de consultations que le président compte mener avec l’ensemble de la classe politique et la société civile.
Jusque-là, Tebboune a rencontré quatre personnalités qui ont comme point commun leur refus de cautionner toutes les démarches du pouvoir, déclinant ses offres répétées de dialogue. Les quatre personnalités partagent, en effet, la même intransigeance sur l’ouverture démocratique véritable.
Tebboune est-il en train de réussir là où ses prédécesseurs ont lamentablement échoué ? Il est sans doute trop tôt pour tirer quelque conclusion, mais après seulement trois semaines au pouvoir, il s’agit d’un petit exploit pour le chef de l’État, sachant que depuis leur départ des hautes fonctions qu’ils occupaient, Taleb, Hamrouche, Rahabi et Benbitour ont fait plus que garder leurs distances avec le pouvoir.
Il faut concéder que la démarche du nouveau président se distingue de celles auxquelles on a assisté jusque-là au moins par le fait qu’il mène lui-même les consultations. Sous Bouteflika, la seule personnalité qui pouvait être reçue directement par le président pour échanger sur la situation du pays, c’était son ami, le diplomate Lakhdar Brahimi. Les rencontres entre les deux hommes étaient néanmoins destinées plus à démentir les rumeurs sur la santé du président qu’à chercher réellement des solutions aux problèmes du pays.
Les consultations qui avaient précédé la révision constitutionnelle de 2016 avaient été confiées à Ahmed Ouhyahia, directeur de cabinet à la présidence, et avant lui, à Mohamed Touati et Abdelkader Bensalah. Dans la période où ce dernier a assuré les charges de chef de l’État par intérim (avril-décembre 2019), les multiples initiatives de dialogue avaient été menées également pas des intermédiaires.
D’abord la rencontre du 22 avril dirigée par le secrétaire général de la présidence, puis le dialogue mené pendant l’été par l’instance de Karim Younès et qui avait précédé l’organisation de la présidentielle du 12 décembre. Politiquement, ces initiatives avaient toutes débouché sur des fiascos puisqu’aucune personnalité de poids n’y avait pris part.
L’autre nouveauté avec Abdelmadjid Tebboune c’est le fait que les rencontres qu’il mène ne sont balisées par aucune échéance, ni aucun objet déterminé. Elles ne portent, contrairement aux précédentes, ni sur la révision de la Constitution ni sur la préparation d’une échéance électorale.
Des interrogations subsistent
Il n’y a aucune raison pour une personnalité nationale, fut-elle en désaccord permanent avec le pouvoir en place, de refuser une rencontre dès lors que son objet ne dépasse pas le cadre de l’expression du fond de sa pensée sur la crise en cours et les voies qui mènent vers une solution. Plus clairement, Taleb, Benbitour, Rahabi et Hamrouche ne sont pas allés négocier avec Abdelmadjid Tebboune, encore moins lui donner un blanc-seing.
Selon le communiqué de la présidence qui a suivi la rencontre entre Rahabi et Tebboune, celui-ci a expliqué à son vis-à-vis « les démarches politiques en cours et futures pour construire la confiance (…) et un État des institutions qui concrétise la démocratie afin d’éviter au pays toute dérive dictatoriale, pour permettre à tout le monde de jouir de la sécurité, de la prospérité, des libertés et de la stabilité ».
De son côté, l’ancien ambassadeur a révélé avoir proposé au président de décréter certaines mesures dans le cadre de ses prérogatives constitutionnelles, comme la libération des détenus, la levée des entraves sur la presse, la protection du hirak…
Quant à M. Hamrouche, il a présenté au président « sa vision sur les différentes questions posées sur la scène politique, et ce, à la lumière de sa longue expérience au service de l’État ainsi que son suivi des évènements nationaux en tant qu’acteur politique éminent ».
Un tel exercice d’explication, engageant de surcroît des personnalités jouissant de l’estime des manifestants du hirak, est de nature à faire avancer les choses, même si des interrogations subsistent concernant les raisons du choix d’une telle démarche alors que le président avait dans un premier temps appelé à un dialogue direct avec le mouvement populaire. C’était lors de sa première conférence de presse au lendemain de son élection. Depuis, il ne l’a pas réitéré, laissant croire que l’offre ne tient plus.
L’autre interrogation concerne les véritables intentions du pouvoir, plus clairement la disponibilité de ses représentants à prendre en compte les avis entendus. « Consacrer la démocratie dans le cadre d’un État de droit préservant les droits et les libertés des citoyens » est au centre de ces rencontres et les personnalités reçues jusque-là insistent sur l’impératif d’apaiser préalablement le climat général. Mais les mesures réclamées et qui vont dans le sens de l’ouverture tardent à se concrétiser sur le terrain.
On pense notamment à la libération de tous les détenus politiques, dont les figures de proue du hirak, et la levée des pressions qui entravent encore l’activité politique et le travail des médias.