Me Noureddine Benissad est avocat et président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH). Dans cet entretien, il revient sur les déclarations du chef de l’état-major de l’ANP le général Ahmed Gaïd Salah concernant la lutte contre la corruption.
La Justice s’est-elle réellement « affranchie de toutes les contraintes, pressions et diktats » et travaille-t-elle maintenant « loin de toute démarche sélective et conjoncturelle » comme le dit Gaïd Salah ?
Dire que la justice s’est affranchie du jour au lendemain relève de la fiction politique. L’indépendance de la justice est un long processus et qui ne peut se concevoir que dans une société démocratique. Le système autoritaire est la négation même de la démocratie et de l’État de droit. C’est en fait, la séparation et l’équilibre effectifs des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire qui peuvent amener ce dernier à être précisément un rempart contre les abus des deux premiers et en particulier du pouvoir politique. C’est donc un État de droit qui peut garantir l’indépendance de la justice. Pour sortir de la mainmise du pouvoir politique et des puissances de l’argent sur la justice, il faut une constitution qui assure le principe évoqué, et procéder à de profondes réformes judiciaires compatibles avec les normes internationales en matière des droits civils et politiques. Pour l’instant, on n’est pas sortis de l’auberge.
Faut-il réformer la justice et amender les textes de loi avant d’entamer des poursuites contre ceux qui ont été impliqués dans les affaires de corruption ou faut-il plutôt aller vite comme le préconise le chef de l’armée?
Il faut savoir que le délit de corruption ou de prédation est imprescriptible au terme de la loi. Il est tout à fait normal que les autorités judiciaires prennent des mesures conservatoires pour préserver les biens publics face à l’impunité de la prédation qui a prévalu au moins depuis vingt ans.
Le peuple aujourd’hui réclame une justice impartiale, qu’elle soit la même pour les puissants et les pauvres. Partant de ce principe, je pense que cela n’est possible que dans un État respectueux de la présomption d’innocence, assurant les garanties d’un procès équitable et du respect des droits de la défense. On ne doit pas condamner les personnes avant qu’elles ne soient définitivement jugées avec toutes les garanties que je viens de citer.
La justice pour qu’elle se rende sereinement ne doit pas faire l’objet de pressions politiques, médiatiques ou de la vox populi.
Seuls donc des instruments démocratiques peuvent garantir réellement une justice indépendante, une justice juste de laquelle on a le droit de rêver.
Le chef de l’état-major parle depuis quelque temps et à chacune de ses interventions, des poursuites judiciaires lancées contre des hommes d’affaires et des figures politiques. Ce mardi, il a même cité en exemple des commandants de régions militaires et l’ancien chef de la Gendarmerie nationale. De tels discours ne représentent-ils pas des risques pour le bon fonctionnement de l’appareil judiciaire et n’enfreignent-ils pas le principe de la présomption d’innocence ?
Le principe du procès équitable commence dès la garde à vue, en passant par l’enquête préliminaire, l’instruction et enfin le procès en lui même. Pendant toutes ces étapes, il faut respecter la présomption d’innocence et éviter que le pouvoir exécutif ou politique n’interfère dans le cours des affaires. Il faut trouver aussi un juste équilibre entre la liberté d’informer et la présomption d’innocence. Le parquet doit communiquer sur toutes ces affaires en cours, sur les éléments objectifs de toutes ces affaires tout en respectant la présomption d’innocence et sans violer les secrets de l’enquête préliminaire ou de l’instruction. Ça peut paraître compliqué tout ça mais c’est le prix à payer pour que chacun de nous soit fier de notre justice.