« Cercles prédateurs », « cellules dormantes », « aventuristes », « faucilles du massacre »… Le discours du président de la République, lu ce mercredi 28 novembre en son nom devant les walis, est une succession de charges et de mises en garde d’une rare brusquerie.
Un texte qui, au moins, tranche avec les habituels longs discours de circonstance ressassant les réalisations socioéconomiques de ces vingt dernières années et vantant les bienfaits de la paix retrouvée.
Une fois n’est pas coutume, le chef de l’État a à peine résumé en quelques lignes « les réalisations accomplies par le peuple ces deux dernières décennies » pour ensuite passer à l’essentiel, au plus urgent.
Cette fois, il est question d’avenir, et surtout de présent. Un avenir imminent, soit le rendez-vous électoral du printemps prochain, et un présent marqué par une foule d’incertitudes et de supputations en lien avec la même échéance.
À propos de l’élection présidentielle et de ses intentions, Bouteflika n’a clairement rien dit. Mais entre les lignes, il a peut-être tout révélé. Le discours présidentiel de ce mercredi 28 novembre ressemble à une complainte, celle d’un homme qui estime avoir tout donné, qui souhaite encore servir malgré son état de santé, mais que des parties, externes et internes, « des cercles de prédateurs » et « ceux qui se positionnent en spectateur guetteur ou en conspirateur», veulent l’empêcher de poursuivre son œuvre.
Plus clairement, Bouteflika a peut-être confirmé qu’il a bien l’intention de briguer un cinquième mandat et que des résistances se dressent devant le projet. D’où émanent ces résistances ? Mystère. Mais, la rhétorique utilisée par Bouteflika, qui ne désigne jamais ses cibles, laisse penser qu’il vise des parties internes et externes.
À ceux qui appellent au changement à l’occasion de la prochaine présidentielle, Bouteflika rappelle d’emblée que ce n’est pas là le plus important.
« Si certains réduisent les enjeux du présent et de l’avenir au changement et à la succession des responsables et des personnes, et entreprennent, pour des raisons obscures, de propager cette idée, vous savez, vous qui êtes sur le terrain, à relever au quotidien les défis sécuritaires et socioéconomiques, que l’enjeu est beaucoup plus grand. Il y va de la protection des réalisations accomplies par le peuple ces deux dernières décennies et de leur préservation et valorisation à son profit « , dit-il à l’adresse des walis.
La salve présidentielle est bien destinée aux partisans de l’alternance ou de quelque plan qui ne cadrerait pas avec ceux du président et de son cercle immédiat. Il parle de « cercles de prédateurs et de cellules dormantes » et de « manœuvres politiciennes que nous observons à l’approche de chaque échéance cruciale pour le peuple algérien ».
Aussi, enjoint-il aux walis et aux élus, de « faire montre de vigilance » pour « permettre au peuple d’exercer sa souveraineté et de poursuivre son œuvre ». Quelle autre partie, dans cette conjoncture précise, peut être soupçonnée de vouloir à l’encontre de la volonté populaire et susciter un tel courroux ? En filigrane, il apparait clairement qu’il y a une opposition frontale à l’option du cinquième mandat, du moins une volonté de peser sur la succession.
La sortie présidentielle intervient au lendemain de la publication quasi-simultanée par des médias et organismes internationaux de prévisions sombres sur les perspectives économiques et politiques du pays. Les plus notables sont le rapport d’International Crisis Group et l’éditorial au vitriol du Financial Times qui a clairement pris position contre le cinquième mandat. Elle survient surtout au moment où l’ambassade d’une grande puissance, celle des États-Unis pour ne pas la nommer, a entrepris des consultations publiques avec les partis de l’opposition avec comme seule thématique la prochaine élection présidentielle.
Connaissant l’hypersensibilité des autorités algériennes à toute critique émanant de l’étranger, on peut se contenter de parler de réaction appropriée pour remettre à leur place des voix qui se mêlent de ce qui ne les regardent pas.
Sauf que le président va plus loin et lâche d’autres flèches qui laissent deviner que ceux qui sont visés par son réquisitoire sont aussi à l’intérieur. Il les qualifie d’« aventuristes qui font dans la promotion de la culture de l’oubli, du déni et de la négation » et assure qu’ils « ne sauront jamais être des forces de construction et d’édification ». « Bien au contraire, assène Bouteflika, ils dissimulent les faucilles du massacre, qu’ils n’hésiteront pas à utiliser pour faire basculer le pays dans l’inconnu ».
« Toute atteinte à la stabilité des institutions de l’État est une atteinte à la Constitution et à l’un des piliers de ce pays inexpugnable », prévient-il avant de vilipender ceux qui, dans cette conjoncture incertaine, versent dans la manigance ou, dans le meilleur des cas, préfèrent tenir le bâton par le milieu.
« Nos concitoyens ne sont découragés ni par les défis ni par les enjeux auxquels ils sont confrontés, mais par les manœuvres infâmes et les manigances dans lesquels certains se positionnent en spectateur guetteur ou en conspirateur, malgré qu’elles ciblent notre peuple et pays (…) Face à ces attitudes inacceptables, il incombe à chacun d’assumer sa responsabilité et de s’engager pleinement dans les options politique et économique nationales ou d’en sortir définitivement. L’ère des demi-mesures est révolue », décrète le président.
L’allusion à des parties internes est on ne peut plus claire. Reste à savoir qui sont-elles et dans quelle mesure elles pourront peser sur le cours des événements.
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