Mieux vaut tard que jamais. Les pouvoirs publics semblent avoir enfin saisi la gravité et le danger de la banalisation du discours de haine sur les réseaux sociaux.
Le président de la République vient d’instruire son Premier ministre d’élaborer un projet de loi criminalisant le racisme, le régionalisme et le discours de haine qui ont pris des proportions inquiétantes notamment depuis le début du mouvement populaire.
Le dérapage de trop qui a fait réagir la présidence semble être la sortie du directeur de la culture de la wilaya de M’sila qui a traité un héros de la guerre de Libération nationale, Abane Ramdane, de traitre. Le 27 décembre dernier, date anniversaire de sa mort, Abane avait été célébré par le hirak populaire à l’occasion du 45e vendredi.
Comme premières mesures, le fonctionnaire a été relevé de ses fonctions, présenté devant la justice et placé en détention. Par cette fermeté, les autorités veulent sans doute frapper les esprits. Il a aussi été décidé de durcir les dispositions de la législation pour mettre fin à ce genre de drapages.
La banalisation du discours de haine et des attaques racistes et régionalistes a pris des proportions alarmantes ces derniers mois, mais elle est antérieure au mouvement populaire. En février 2018, Naima Salhi, députée et présidente d’un parti politique, avait tenu des propos surréalistes.
« Si ma fille parle en kabyle, je la tuerais », lâchait-elle sur les réseaux sociaux, au moment où Tamazight était consacrée langue officielle et enseignée dans les écoles à travers tout le pays. En mai puis en novembre 2019, elle s’en prend aux habitants du sud, qu’elle qualifie de « vendeurs de thé ». Ses attaques racistes et régionalistes n’ont jamais cessé et au fil des mois, elle a fait des émules.
Le laxisme des autorités encouragera d’autres individus à suivre la même voie, inondant les réseaux sociaux de propos nauséabonds. Même les chouhada ne sont pas épargnés. Sur les réseaux sociaux, les échanges entre pro et anti-hirak ont souvent débordé sur un discours ouvertement raciste et régionaliste.
Définir la limite entre la liberté d’expression et l’invective raciste
L’absence de réaction des autorités algériennes est en effet énigmatique. Certains animateurs des pages appelant ouvertement à la haine raciale opéraient à visage découvert et aucun d’entre eux n’a été inquiété.
En septembre, c’est carrément la télévision publique qui se met de la partie en diffusant les propos d’un citoyen qui traite les manifestants de « zouaves ».
Il y a eu au plusieurs tentatives de dépôt de plainte contre la députée Naima Salhi, mais elles n’ont pas abouti. Devant une telle impunité, les premiers actes de violence a fini par atteindre la rue. « On a laissé tellement se banaliser les propos haineux à travers les réseaux sociaux, les chaînes publiques et mêmes les officiels qui se sont adonnés à des propos discriminatoires, haineux et violents. On ne s’étonne pas qu’il y ait des jeunes tentés par la violence et de telles dérives », réagissait l’avocat Saïd Salhi au lendemain de l’agression des manifestants dans plusieurs villes le 27 décembre.
L’annonce de l’élaboration d’un projet de loi visant à réprimer de tels comportements est louable, mais beaucoup ne comprennent pas ce qui a empêché les autorités à appliquer les dispositions de loi déjà existantes. Comme l’article 295 bis du Code pénal qui prévoit jusqu’à trois ans d’emprisonnement à l’encontre de « quiconque, publiquement, incite à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale ou ethnique ou organise, propage, encourage ou mène des actions de propagande aux mêmes fins ».
Comme quoi, le vide juridique ne peut être mis en avant pour expliquer le laxisme auquel on a assisté jusque-là. La promulgation d’une loi criminalisant ce genre de comportement est assurément une initiative louable, mais pour peu que ses dispositions ne soient ni ambigües ni élastiques et définissent avec précision la limite entre la liberté d’expression et l’invective raciste.