L’Arabie saoudite a promis dimanche de riposter à d’éventuelles sanctions, au lendemain de la menace de « châtiment sévère » proférée par le président américain Donald Trump en cas d’implication avérée de Ryad dans la disparition du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.
Cette disparition au retentissement planétaire pourrait avoir un impact significatif sur le programme de réformes, notamment économiques, mises en avant par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Dimanche, la Bourse de Ryad a accusé une baisse de plus de 7%, sa plus grave dégringolade en trois ans, avant de clôturer à -3,5%.
Samedi, dans un entretien à la chaîne de télévision CBS, le président américain Donald Trump, grand allié de l’Arabie saoudite, a pour la première fois estimé possible l’implication de Ryad dans le sort de M. Khashoggi, entré le 2 octobre dans le consulat de son pays à Istanbul pour ne plus réapparaître depuis.
Si Ryad est responsable, il y aura « un châtiment sévère », a-t-il dit.
Son conseiller économique, Larry Kudlow, a souligné dimanche sur la chaîne Fox News que le président américain était « très, très sérieux ».
« Croyez-le sur parole, si les Saoudiens sont impliqués, si (Jamal) Khashoggi a été tué ou blessé ou qu’importe, les conséquences seront néfastes », a-t-il déclaré.
– « Fausses accusations » –
Ryad, qui dément catégoriquement toute implication dans l’éventuel meurtre du journaliste –exilé aux Etats-Unis depuis 2017–, a dit « rejeter entièrement toute menace ou tentative de l’affaiblir, que ce soit via des menaces d’imposer des sanctions économiques ou l’usage de pression politique ».
Si des sanctions sont appliquées, le royaume répondra avec « de plus grandes » sanctions, a prévenu un haut responsable saoudien, cité par l’agence officielle SPA, sous le couvert de l’anonymat. « L’économie du royaume a un rôle vital et d’influence pour l’économie mondiale », a-t-il déclaré.
La Bourse de Ryad a fortement dévissé dimanche, les investisseurs saoudiens réagissant principalement aux propos de M. Trump.
Peu après le début de sa première séance de la semaine, l’indice Tadawul All-Shares Index (Tasi) a plongé de plus de 7% avant de clôturer à -3,5%.
A 10H30 GMT, il frôlait le seuil symbolique des 7.000 points, effaçant tous les gains engrangés en 2018 et la hausse de 18% enregistrée depuis le début de l’année.
Samedi, plus de 10 jours après la disparition du journaliste, Ankara a reproché à Ryad de ne pas coopérer, et notamment de ne pas laisser les enquêteurs accéder au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul.
Des responsables turcs ont affirmé que le journaliste y avait été assassiné par des agents saoudiens. Ryad affirme qu’il a quitté le bâtiment.
Une délégation saoudienne devait s’entretenir à Ankara avec des responsables turcs dans le cadre de l’enquête, mais aucune information n’avait filtré à ce sujet dimanche.
Le ministre saoudien de l’Intérieur, Abdel Aziz ben Saoud ben Nayef, cité par l’agence SPA, a dénoncé samedi de « fausses accusations contre l’Arabie saoudite ».
– Investisseurs échaudés –
Alors que les investisseurs s’enthousiasmaient encore il y a quelques semaines des pharaoniques projets économiques du prince héritier Mohammed ben Salmane, dit « MBS », l’affaire Khashoggi semble en avoir refroidi certains.
« Il y a une sorte d’incertitude autour de la situation concernant la disparition de (Jamal) Khashoggi, qui provoque la chute du marché », a déclaré à l’AFP Mohammed Zidan, analyste en stratégie pour Thinkmarket à Dubaï.
Le milliardaire britannique Richard Branson a annoncé geler plusieurs projets dans le royaume.
Des partenaires prestigieux ont annoncé ne plus participer au « Davos du désert », la deuxième édition de la conférence « Future Investment Initiative », qui doit se tenir du 23 au 25 octobre à Ryad.
Cher à « MBS », l’événement est notamment boudé par des médias, comme le Financial Times, The New York Times et The Economist, mais aussi le patron d’Uber, une compagnie de VTC.
Pour beaucoup de multinationales, aller à cette conférence comprend des risques en termes de réputation « qui l’emportent sur les profits qu’elles auraient pu tirer de l’économie saoudienne », selon Michael Stephens, du centre de réflexion londonien Royal United Services Institute.
En réaction, un puissant hommes d’affaires émirati, Khalaf Al-Habtoor, a enjoint les pays du Golfe et les alliés de Ryad à boycotter les entreprises qui se désolidarisaient de ce rendez-vous.
« Le fait que des participants de premier plan (…) se retirent a aussi eu un impact négatif sur l’attitude des investisseurs », a ajouté l’analyste Mohammed Zidan.
Jeudi, l’index Tasi de la Bourse saoudienne avait déjà chuté de 3%, dans le sillage d’un vent de panique planétaire qui avait fait plonger Wall Street et les marchés asiatiques.
Depuis mercredi dernier, la Bourse de Ryad a ainsi perdu un total de 50 milliards de dollars de capitalisation.
Selon le cabinet d’analyses Eurasia, Ryad est désormais confronté à « une grave crise de relations publiques » et s’apprête à « se rendre compte qu’il va être particulièrement difficile de contenir la crise qui émerge ».