Les Algériens s’apprêtent à marcher pour le dixième vendredi de suite. Dix vendredis, cela commence à faire un peu long, même si l’idéal d’une nouvelle République qui romprait avec des pratiques vieilles de plus d’un demi-siècle nécessite un peu de patience.
Du reste, le peuple qui a entrepris de dégager jusqu’au dernier tous les visages du système devait s’attendre au moins à de la résistance. En dix journées de grande mobilisation, le pouvoir a reculé, cédé, mais jamais sur l’essentiel. Bouteflika n’est plus président – même s’il est toujours soigné aux frais de l’État à la résidence médicalisée de Zeralda – et beaucoup de ses proches collaborateurs ou soutiens ne sont plus en poste.
Certains croupissent même en prison et on promet que d’autres suivront, que personne ne sera oublié et que l’argent détourné sera récupéré. Les gyrophares ont disparu des routes, les responsables se faisant plus discrets dans un contexte de colère populaire.
Mais sur l’enjeu capital que constitue la transition, on ne prend aucun risque. Le pouvoir veut la contrôler et le dit chaque mardi par la voix de celui qui l’incarne d’une manière de plus en plus assumée. Si les marches précédentes constituaient à chaque fois un référendum populaire sur les propositions faites par le pouvoir dans la semaine, celles de ce 26 avril se présentent comme une invitation au peuple à se prononcer sur cette sorte de vente concomitante : le jugement des corrompus contre l’abandon des « positions préétablies » pour reprendre la formule d’Ahmed Gaïd Salah.
Plus clairement, on saura si les gros poissons qui tombent chaque jour dans les filets de la justice feront perdre de vue aux Algériens leur revendication première qui est la mise en place d’une instance de transition et la révocation des « 3 B », qui ne sont désormais que deux. Une autre très forte mobilisation n’est pas à exclure.
Le mouvement n’a montré aucun signe d’essoufflement jusque-là et toutes les tentatives de lui tordre le cou ont buté sur la détermination des manifestants qui, en marchant en masse le 19 avril, une semaine après les désolantes scènes de répression qu’on a vues au centre d’Alger, ont signifié définitivement que rien ne les fera reculer.
L’autre défi qui se posera à la rue c’est celui de déjouer le piège de la division. Beaucoup a été dit pendant la semaine sur l’arrestation d’Issad Rebrab et certains l’ont mise à profit pour déclencher un début de polémique aux desseins douteux sur les réseaux sociaux.
Cela dit, sur le plan politique, une autre forte mobilisation pourrait signifier la mort définitive du projet du pouvoir d’imposer la solution constitutionnelle à travers l’élection du 4 juillet. Même le chef d’état-major de l’ANP, qui s’est fait depuis le début l’avocat d’une telle option, semble s’y préparer. Mardi, quelques heures après avoir fustigé ceux qui appellent à maintenir les positions préétablies, il s’est spectaculairement rétracté en se disant prêt à « (approuver) toute proposition constructive et initiative utile allant dans le sens du dénouement de la crise et menant le pays vers la paix ».