Deux semaines, vingt-cinq millions de vues. Ces chiffres vertigineux sont la preuve de la réussite du pari artistique qu’a tenté DJ Snake en offrant au monde son Disco Maghreb. L’artiste de renommée internationale qui est habitué aux succès musicaux n’aurait sans doute pas pensé déclencher un tel raz-de-marée en si peu de temps.
Sa chanson – d’ores et déjà un tube – résonne déjà dans le monde entier. Après avoir fait un teasing sur les réseaux sociaux en distillant quelques images de ses passages en Algérie, DJ Snake a livré une véritable déclaration d’amour au pays de sa mère.
Les sons inspirés des cultures régionales algériennes, des images à couper le souffle qui nous font traverser les territoires et les couches de la société algériennes, Disco Maghreb offre une percée dans une Algérie diverse et où la musique est intégrée au patrimoine culturel. Autant savouré que critiqué, son projet Disco Maghreb a eu le mérite de ramener la musique et la culture algérienne sur le devant de la scène mondiale.
DJ Snake fait ressusciter le raï algérien
L’artiste d’origine algérienne par sa mère déterre des trésors du patrimoine musical algérien. En nommant son titre en hommage à la célèbre maison de production oranaise Disco Maghreb, créée par Boualem Benhaoua que l’on voit dans son clip vidéo, DJ Snake offre une nouvelle vie au raï originel.
Son récent concert géant au Parc des Princes à Paris, samedi 11 juin, enfonce le clou. Il a non seulement enflammé le stade de football avec son récent tube, mais il a aussi convié Cheb Khaled sur scène pour interpréter plusieurs de ses tubes.
Cheb Khaled est l’un des symboles vivants du raï algérien et de la maison de disque Disco Maghreb. C’est même lui qui l’a baptisé ainsi par mégarde, en se trompant de nom au moment de citer la production lors d’un enregistrement. C’est l’anecdote très surprenante qu’a racontée Boualem Benhaoua au journal Le Monde.
On peut aussi y voir le besoin pour la musique d’emprunter des chemins de traverse. C’est sans doute ça qui a fait le succès de Disco Maghreb, DJ Snake est sorti du cadre en improvisant un tube qui plairait autant aux férus de raï qu’aux néophytes de la culture algérienne.
Certes le raï algérien est encore très prolifique et voit chaque année une nouvelle figure émerger. Musique très populaire en Algérie et au Maghreb, ce genre musical plaît toujours autant car il évolue en même temps que la société algérienne, il prend en compte les désirs et les complexités de la jeunesse algérienne. Mais son rayonnement à l’international est mis sur pause. DJ Snake a offert un passeport à ce répertoire mais aussi à la musique algérienne en général. Il aurait même donné envie au créateur du Disco Maghreb de relancer sa production d’artistes.
L’Algérie et ses percées cycliques dans l’art universel
La musique algérienne n’est pas à son premier succès dans le monde. DJ Snake fait renaître un héritage endormi. La culture algérienne a connu des périodes de renommée internationale notamment par le biais musical. Une attractivité qui a coïncidé avec des projets commerciaux et une bonne communication.
Le concert unique 1,2,3 soleil avec Rachid Taha, Cheb Khaled et Faudel qui a donné lieu à un album a fait cartonner le raï algérien en 1998. Non seulement en France, où le concert a eu lieu, mais aussi à l’étranger. En 2000 l’album du live d’1, 2, 3 soleil remporte le World Music Awards. L’album s’est vendu à plus de 2,5 millions d’exemplaires, soit l’album le plus vendu de la région MENA à cette période.
Le rap et le R’n’B ont aussi offert une vitrine à l’Algérie en la citant et utilisant ses sonorités ou encore ses décors. 113 et son Tonton du bled a mis en avant le concept « de vacances au bled », touchant directement les immigrés algériens et leurs enfants qui se sont toujours senti invisibilisés dans la culture algérienne.
La période raï’n’b fever qui a offert un mélange de raï, de r’n’b et de hip-hop en France a rencontré beaucoup de succès dans les discothèques. Ces chansons où artistes francophones et arabophones ont chanté sur des rythmes mixtes avaient créé un engouement dans les années 2000. Les grands de la chanson algérienne se sont amusés à revisiter leur répertoire pour l’offrir à un public plus large. La grande Cheikha Rimitti, Cheb Mami ou encore Idir avaient participé au projet.
L’Algérie vendeuse d’images et de sons
Et puis il y a eu comme une grande pause. Si de nombreux artistes d’origine algérienne ont percé dans le monde, ils ne faisaient qu’évoquer l’Algérie de loin. Comme un souvenir, mais le besoin de voir le pays, de ressentir ses vibrations et de connaître les histoires des gens qui le peuplent se faisait sentir.
Depuis quelques années, il semblerait qu’un nouveau cycle attend la culture algérienne. Une génération de producteurs de musique mais aussi de réalisateurs, de producteurs de vidéo et de cinéma tentent de donner à l’Algérie une nouvelle image. Plus tendance, intégrée aux cultures mondiales.
On le voit, l’Algérie attire de plus en plus le monde artistique venu de l’étranger. Le tube Disco Maghreb de DJ Snake est en quelque sorte l’apogée de ce récent rayonnement. Surtout il est l’un des rares à intégrer directement des sons algériens mais aussi maghrébins dans une musique moderne qui potentiellement peut toucher des milliards d’êtres humains.
Mais on se souvient du clip vidéo du groupe The Blaze pour sa chanson Territory. Ce son nous avait plongés au cœur de la Casbah algéroise et de retrouvailles familiales en 2017. Le clip a obtenu plus de 80 millions de vues mais a aussi été récompensé avec le Grand Prix du Film Craft au Cannes Lion Festival. Le clip produit par la société de production franco-algérienne 2 Horloges – qui a également produit le clip de DJ Snake – a séduit par cette immersion algérienne. On y découvre que l’Algérie actuelle a une beauté et une puissance particulière.
Le Groupe Bagarre sort en 2019 son tube Kabylifornie. Le titre est interprété par Mus, un membre du groupe qui revendique fièrement ses origines kabyles. Le clip nous emmène dans le dédale de rues algéroises et offre de nombreuses références à la culture kabyle. Le clip vidéo recueille plus de 700 000 vues sur Youtube. Sa musique psychédélique entre le Maghreb et l’Europe aura enchanté les Algériens durant l’été 2019.
D’autres arts au service du rayonnement algérien
La musique n’est pas la seule à mettre en avant la culture algérienne. La dernière décennie a vu le cinéma jouer un rôle sur l’imaginaire collectif. Des films comme En attendant les Hirondelles de Karim Moussaoui, Les Bienheureux de Sofia Djama, Abou Leila d’Amin Sidi-Boumediene ou des courts-métrages comme Fi rassi rond-point ou plus récemment 143 rue du Désert de Hassen Ferhani, ont également offert une nouvelle histoire à la culture algérienne. Une façon de nous habituer à poser un regard sur les Algériens et leur art de vivre.
DJ Snake, grâce à son impact international, permet de booster toute cette production. En réalité l’artiste n’a pas seulement utilisé l’Algérie comme d’un décor, mais il a valorisé ses origines algériennes. Il a offert aux Algériens du monde entier la possibilité d’être fiers de leur patrimoine. Avec ce titre qu’il a appelé « une lettre d’amour à mon peuple », DJ Snake met la culture algérienne et ses autres influences musicales sur un pied d’égalité. Cet élan de sincérité est sans doute la recette du succès de Disco Maghreb.
Il est certain que les paysages et les sons algériens vont faire danser le Maghreb et l’Europe cet été. Mais il pourrait aussi faire des émules. La musique algérienne pourrait inspirer d’autres artistes étrangers.
Il y a en tout cas un public pour ça. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes algériens demandent au DJ de réitérer son expérience algérienne mais cette fois dans leur région.
Merci car tu as su mettre en valeur l’authenticité de l’Algérie à travers ses traditions, coutumes et moeurs 🇩🇿👏 Maintenant il faut que tu explores tous les genres musicaux (kabyle, chaoui, algérois, touareg, mozabite etc), on compte sur toi😉
— Berri (@Berrii93) June 1, 2022
Quand je vois l’engouement et la joie que procure #DiscoMaghreb, je me dis vivement l’album rai/Allaoui/chaoui/gnaoua… on en veut encore @djsnake
— خديجة (@dija_bel) June 1, 2022