Djamel Allam s’est éteint, ce samedi 15 septembre, dans un hôpital parisien, à l’âge de 71 ans. L’artiste poursuivait depuis des mois des soins intensifs pour atténuer les effets d’une maladie lourde, un cancer.
« Les gens n’ont jamais cessé de m’appeler et de m’envoyer des messages pour avoir de mes nouvelles et de m’exprimer leur amour. L’art, c’est d’abord la communication », a-t-il confié à Radio Soummam de Béjaia, fin 2017.
Malgré l’âge, le chanteur, qui a grandement contribué à moderniser la chanson d’expression kabyle, aimait monter sur scène, partager des moments avec un public qui lui est resté fidèle.
Il préparait un Livre-album dans lequel il voulait rendre hommage, à travers des poèmes, à Assia Djebbar, Rachid Boudjedra, Kateb Yacine, Tahar Djaout, Malek Haddad, etc.
Les poèmes ont été illustrés par des peintures. L’artiste a sollicité le caricaturiste Slim pour cet album qu’il voulait particulier.
Il envisageait de faire sortir un coffret contenant une douzaine de CD et DVD avec textes et posters. Un projet que doit concrétiser l’Office national des droits d’auteurs (ONDA) qui a lui rendu un hommage à Béjaia, en novembre 2017, à travers un méga concert avec la participation d’une dizaine de chanteurs comme Brahim Tayeb et Boudjemâa Agraw.
Présent, Djamel Allam, coiffé de son célèbre chapeau blanc, n’a pas pu retenir ses larmes devant la salle en recevant le disque d’or pour les cinquante ans de sa carrière. Une carrière riche.
« Un défricheur de tons »
En mai dernier, Djamel Allam montait pour la dernière fois sur scène, à la faveur d’un concert-hommage au Cabaret sauvage, à Paris, organisé par Berbère Télévision.
D’une voix faible et emporté par l’émotion, il avait confié qu’il y a trop de gens à remercier. « Cela veut dire que pendant une cinquantaine d’années, j’ai beaucoup donné, pas par exhibitionnisme. Les artistes sont exhibitionnistes parfois, on a tous un égo. J’ai été partout dans le monde, surtout en Algérie et en France », a-t-il dit.
« Djamel était un boute-en-train, dans la vie de tous les jours comme sur scène. Sur le plan artistique, il était un défricheur de tons et de sons nouveaux, assumant toutes les étiquettes, voguant toujours sur son propre feeling. Il va nous manquer », a posté le journaliste et écrivain Nadjib Stambouli, sur son compte Facebook, après l’annonce du décès du chanteur.
Natif de Béjaia, Djamel Allam s’est initié à l’art musical au conservatoire de la ville, aux côtés notamment de Sadek Lebdjaoui, l’un des maîtres algériens du chant andalous.
Rassuré par sa formation artistique, Djamel Allam est parti en France, au début des années 1970, pour faire carrière.
Mélodie fraîche et texte dense
Il a commencé par la reprise de chansons françaises. Ce n’est qu’en 1974 que son talent est reconnu par le public grâce au soutien de l’homme de radio Claude Villers, connu par des émissions telles que « À plus d’un titre », « Pas de panique », « Marche ou rêve », diffusées par France Inter (Radio France), et par des essais comme « Ils nous ont fait rire aux larmes » et « Parole de rêveur : quarante ans de radio ».
« Arjouth », premier album de Djamel Allam, remporte du succès avec des titres tels que « Mara dyughal », « Ouretsrou » (une des premières ballades de la chanson kabyle), « Thella » (reprise plus tard en langue arabe) et « Thiziri ».
Après une tournée européenne et américaine, Djamel Allam, qui partageait l’époque musicale avec Iddir, Lounis Ait Menguellat et Chérif Kheddam, sortait un second album en 1978, « Argu » (Les rêves des vents).
Un album marqué par la fraîcheur mélodique et la densité du texte. Il n’a pas hésité à introduire des sons comme dans « Arac » (les enfants), ce qui était déjà novateur à la fin des années 1970, période durant laquelle le rock s’essoufflait et la disco s’installait avec ses sonorités emballantes.
Dans « Samarkande », un instrumental soigné de « Argu », Djamel Allam, qui maîtrisait le jeu de l’accordéon, de la guitare et du oud, a ajouté des parfums orientaux, comme pour dire que les passerelles de la musique sont toujours les plus libres d’accès.
« Gatlato », « Si Slimane », « Houria » et les autres
Avec « Si Slimane », en 1981, et « Salimo », en 1985, le chanteur et compositeur, fier de ses origines et de sa culture, s’adaptait avec finesse aux couleurs des eighties.
C’était l’époque de la funk et de la new wave. Il fallait accélérer le rythme, varier les mélodies, densifier les percussions et inviter de nouveaux instruments à l’orchestre.
Baignant dans une sauce châabie, « Gatlato », titre-phare de « Si Slimane », était un des tubes des années 1980 autant en Algérie qu’en France.
La chanson se voulait un hommage à Hadj M’Hamed El Anka et l’Alger d’une certaine joie de vivre. « Houria » et « Yasmina » (interprétée en français), chansons tirées des deux albums, était dédiées aux femmes et à leur combat pour la liberté et pour les droits. Les paroles choisies par l’artiste étaient juste ce qu’il faut, pas de grands discours ni de morale.
Avec « Mawlûd », en 1991, Djamel Allam dénonçait certains phénomènes comme le commerce informel dans « Trabendo », titre chanté en arabe, ou le chômage et l’oisiveté des jeunes dans « El Hit », chanson aux senteurs châabies aussi.
« Les youyous des anges »
« Les youyous des anges », sorti en 2008, se voulait un album-vaisseau traversant les âges et les vagues de l’harmonie et du rythme.
Dans « Taghit », titre sensuel de cet album, Djamel Allam revenait aux sources sahariennes de la musique en évoquant le fameux oasis de la Saoura.
Dans le même album, il a salué avec beaucoup de tendresse l’œuvre du chanteur châabi El Hachemi Guerrouabi, après son décès en 2006, et raconté le malheur des jeunes algériens qui « brûlent » la mer à travers l’instrumental mélancolique « Harragas ».
Djamel Allam a composé la musique de certains films comme « Prends 10.000 balles et casse-toi » de Mahmoud Zemmouri (1982).
Ne reculant devant rien, il a tenté l’expérience du cinéma en réalisant « Banc public », un court métrage, dédié à la femme, à travers l’histoire d’une jeune aveugle assise sur un banc en bord de mer. Il avait des idées plein tête pour le cinéma, lui qui considérait la poésie comme l’art premier.