En augmentant à distance l’autonomie de ses véhicules en Floride, pour mieux fuir la tempête Irma, le fabricant de voitures électriques Tesla a eu un geste généreux de relations publiques qui met aussi en lumière le pouvoir du constructeur américain sur ses automobilistes.
Tandis que des millions d’habitants de Floride avaient reçu l’ordre d’évacuer avant l’arrivée de l’ouragan, Tesla a facilité l’exode de certains d’entre eux le week-end dernier en déverrouillant à distance la capacité de la batterie des Model S, une berline, et Model X, un SUV.
Alors que ces batteries sont verrouillées à 60 kWh, le changement à distance a étendu leur capacité à 75 kWh, leur permettant de rouler plus longtemps sans avoir besoin d’être rechargées.
Un porte-parole de Tesla a confirmé ce geste lundi à l’AFP, d’abord révélé par le blog spécialisé Electrek.
Tesla a décidé d’offrir cette extension après qu’un propriétaire de ses véhicules en détresse en Floride a joint le constructeur pour lui demander d’optimiser sa batterie alors qu’il fuyait l’ouragan.
Ce déblocage à distance, qui normalement est offert commercialement pour la somme de 4.500 à 9.000 dollars suivant les modèles, n’est que temporaire. Le sésame s’éteindra le 16 septembre. Il offre quelque 30 miles (48 km) de circulation supplémentaire, donnant à la voiture une autonomie totale de quelque 230 miles (370 km).
Ce geste bénévole et bienveillant de Tesla a de nouveau montré la capacité du groupe du visionnaire sud-africain Elon Musk à réagir au quart de tour au témoignage d’un seul de ses utilisateurs pour étendre une initiative à un vaste groupe ciblé de ses utilisateurs.
La Bourse a salué l’intervention, le titre du constructeur –qui a aussi annoncé lundi un renforcement de son réseau de chargeurs électriques dans le pays– grimpant de plus de 5% à la Bourse de New York.
Théorie du complot
Il fait aussi réfléchir sur l’emprise qu’une entreprise peut désormais exercer à distance sur ses clients.
Comme le rapportait le blog automobile Jalopnik: « le geste est louable et approprié mais on peut aussi y voir une perspective terrifiante de notre avenir automobile ».
« Il n’est pas difficile d’imaginer un cas pire où une entreprise devient le décideur principal à un moment critique dans un scénario catastrophe (…) hors de tout contrôle de la part du consommateur ou du gouvernement », souligne l’auteur Justin Westbrook.
Pourquoi ne pas imaginer une migration massive en cas de crise, où voitures et infrastructures autonomes favoriseraient les propriétaires les plus riches ou ceux qui ont davantage accès à une technologie pour débloquer plus de fonctionnalités, affirme-t-il.
Sans tomber dans des théories du complot, plusieurs analystes interrogés par l’AFP reconnaissent les nouveaux pouvoirs des constructeurs.
Si Tesla est en avance dans sa faculté à manipuler ses véhicules à distance, la plupart des constructeurs ont maintenant le pouvoir d’agir sur ces voitures qui sont de plus en plus électroniques et connectées.
« Beaucoup de consommateurs ignorent que General Motors peut couper le moteur d’une voiture à distance. Ils sont capables de le faire (…) grâce au système de navigation OnStar », souligne Karl Brauer, directeur de l’éditeur d’Autotrader et du Kelley Blue Book.
« Si la police demandait à GM d’arrêter une voiture, ils pourraient le faire. Je ne pense pas que GM veuille nécessairement que tout le monde le sache, mais ils peuvent le faire depuis une dizaine d’années », ajoute cet expert.
Selon Ed Hellwig, rédacteur en chef au site d’information automobile Edmunds.com, les constructeurs en général n’ont peut-être pas encore le même niveau de contrôle que Tesla « mais à l’avenir, ils l’égaleront probablement dans leurs capacités à mettre à jour et contrôler des fonctionnalités ».
Ces véhicules connectés peuvent-ils être la proie de pirates? Ed Hellwig en doute, affirmant que « le consommateur moyen n’a pas de souci à se faire ». « C’est possible avec beaucoup de motivation, mais au quotidien il ne faut pas s’en inquiéter car ce sont des systèmes très sophistiqués », affirme-t-il.
A l’été 2015, deux chercheurs américains étaient parvenus à manipuler à distance une Jeep Cherokee dont ils avaient actionné les essuie-glaces, allumé la radio et même désactivé les freins.
En septembre 2016, Tesla lui-même avait été alerté par un cabinet de chercheurs en sécurité chinois qui avait révélé des vulnérabilités d’accès à distance sur le Model S.
Le groupe de Palo Alto (Californie) avait remédié aux défaillances par une mise à jour de ses logiciels… à distance.