Près de trois ans après le départ officiel du général-major, Mohamed Mediène, dit Toufik, et la restructuration annoncée des services de renseignements algériens, les interrogations subsistent sur la dissolution réelle ou non du DRS.
Lors de l’examen du rapport présenté par l’Algérie sur les mesures prises pour l’application du pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP), mercredi et jeudi à Genève, le comité des droits de l’Homme de l’ONU a demandé à la délégation algérienne conduite par Lazhar Soualem, directeur des droits de l’Homme au ministère des affaires étrangères, si le « DRS a été dissout ».
« L’Algérie envisage-t-elle de réviser certaines dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale qui interdisent toute poursuite contre des éléments des forces de défense et de sécurité », a voulu savoir un expert, selon le compte rendu de la séance publié sur le site de l’organisme onusien.
« Il a demandé des précisions s’agissant d’informations selon lesquelles la torture et les mauvais traitements seraient encore pratiqués par des agents des forces de police et de sécurité. Il a par ailleurs souhaité savoir si le Département du renseignement et de la sécurité avait bien été dissout », note le texte. Cependant, le compte-rendu ne mentionne pas la réponse de la délégation algérienne.
La lutte contre le terrorisme ne doit pas tout justifier
Comme attendu, les experts du comité ont soulevé de nombreuses questions et observations. À commencer par l’ «’important retard » dans la présentation du rapport algérien, qui aurait dû être soumis en novembre 2011.
Un expert a relevé que le rapport contenait un grand nombre de références au terrorisme, apparaissant comme une « mélodie cachée » qui, selon lui, ne doit pas nécessairement justifier toutes les décisions prises par le pays en matière sécuritaire.
Il a demandé davantage d’informations sur le Plan national pour les droits de l’Homme et le calendrier de sa mise en œuvre. Il a, par ailleurs, souhaité savoir s’il existait une commission des droits de l’Homme au Parlement et quel était son rôle.
En plus de reproches d’absence de « coopération entre les autorités » et les mécanismes internationaux des droits de l’Homme, cet expert s’est interrogé quelle était la règle prévue en cas de conflit entre les dispositions du Pacte et la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, qui demeure aujourd’hui en vigueur malgré qu’elle ait été qualifiée à de nombreuses reprises par le Comité comme étant contraire aux dispositions du Pacte, rappelle-t-il.
Autre reproche : « Un système gouvernemental et juridictionnel « parallèle » est mis en place sur les camps de réfugiés de Tindouf par le Polisario ». Il a demandé, dans ce cadre, quelles mesures l’Algérie envisageait de prendre pour mettre fin à cette situation « contraire à ses obligations générales afin d’assurer le respect des droits garantis par le Pacte pour toute personne se trouvant sur son territoire et sa juridiction ».
Aussi a-t-il demandé à l’Algérie de préciser si elle entend prendre des mesures pour répondre aux allégations soumises par les auteurs de communications et de détailler les mesures prises pour mettre en œuvre les constatations finales adoptées dans le cadre des communications individuelles.
L’expert a rappelé que les obligations internationales imposent à l’Algérie de « protéger et de soutenir les victimes et témoins de violations des droits de l’Homme ». « L’État semble au contraire recourir à des représailles contre les auteurs de communications adressées au Comité », a-t-il regretté, selon le compte-rendu.
La charte critiquée
Une experte a demandé, pour sa part, à la délégation de réagir aux allégations selon lesquelles les membres du Conseil national des droits de l’Homme auraient été nommés par les autorités, et quelles mesures avaient été prises pour mettre fin à l’impunité que prévoit l’ordonnance portant la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et sur les allégations d’existence de fosses communes.
« Application abusive de la définition du terrorisme à des défenseurs des droits de l’Homme et des journalistes accusés d’apologie du terrorisme », « cas de privation arbitraire de liberté dans des centres de détention non reconnus et de détentions au secret s’agissant de personnes arrêtées par les services de sécurité aux fins de mener des interrogatoires », « discrimination », « violence contre les femmes », « mesures prises pour protéger les Amazighs », « l’IVG », « fermeture d’églises », « entraves à l’activité syndicale et associative », « restrictions à la liberté d’expression », « demandeurs d’asiles », « peine de mort », « torture » et « indépendance de la justice » sont autant d’autres interrogations soulevées par les experts.
Réponses de la délégation algérienne
Dans son exposé, le chef de la délégation algérienne, composée de représentants de plusieurs ministères, Lazhar Soualem a assuré que « le choix de la société algérienne vers plus de liberté était irréversible ».
« L’État algérien accompagne et matérialise cette dynamique en incorporant dans la législation interne les traités internationaux qui ont la primauté sur la loi nationale ».
Il a fait valoir que la démocratisation en Algérie se déclinait par la « diversité de la composition de l’Assemblée nationale où sont représentés plus de trente-cinq partis et vingt-huit listes indépendantes ».
Autres arguments : le pays comptait plus de cent mille organisations non gouvernementales, un « nombre qui a progressé avec la mise en œuvre des dispositions de deux nouvelles lois à partir de 2012, contrairement à ce qui est rapporté par une « littérature peu objective » au sujet de présumées entraves à l’agrément d’associations », et « les libertés syndicales sont exercées par soixante-cinq organisations et les libertés de réunion et de manifestation sont des activités régulières de la société algérienne reflétant la vitalité de la vie démocratique dans le pays », a-t-il dit.
Autorisation des manifestations à Alger
Concernant l’interdiction des manifestations à Alger, en vigueur depuis la marche historique des arouchs en 2001, le représentant du Gouvernement algérien a suggéré que la levée n’est pas pour demain.
La « mesure d’interdiction qui frappe la manifestation sur la voie publique à Alger est liée à des considérations propres à la capitale », a-t-il affirmé au comité.
« L’État ne peut se risquer à autoriser des manifestations lorsqu’il est avéré que les organisateurs ne remplissent pas les conditions qui concourent à ce qu’elles se déroulent pacifiquement », a-t-il justifié.
Quelles sont ces conditions ? Il ne le précise pas. Aussi, soutient-il qu’il « n’existe pas de censure, ni de monopole sur l’impression, ni de délit d’opinion, ni de peine privative de liberté pour les professionnels de l’information ».
Lazhar Soualem assure également « qu’il y a une tolérance zéro dans le domaine de la violence à l’égard des femmes » et qu’il n’y a aucune différence entre communautés dans le traitement de l’exercice des libertés religieuses, comme pour répondre sans doute sur la question des Ahmadis.
Sur la question migratoire, ou le gouvernement est très critiqué ces derniers temps, il rappelle que « l’Algérie est une terre d’hospitalité pour tous ceux qui ont un besoin légitime de protection ».
« Néanmoins, tous ceux qui abuseraient de cette hospitalité se voient appliquer la loi », martèle le responsable algérien.
Sur un autre registre, il a indiqué que l’Algérie avait lancé treize invitations ouvertes à des mécanismes du Conseil des droits de l’Homme.
« S’agissant de rapporteurs spéciaux dont les mandats portent sur les mauvais traitements ou la détention arbitraire, l’Algérie estime que le nombre de cas allégués n’est pas de nature à justifier la visite de tels mécanismes », a-t-il dit. Expliquant le choix du peuple algérien en faveur de la Charte, il soutient que son « amendement est à poser à la population algérienne ».
« La question amazighe a été manipulée dans l’histoire du pays »
Assurant que la législation algérienne sur le terrorisme ne contenait pas de dispositions qui puissent réduire l’exercice des libertés, Lazhar Soualem a estimé que la question de la définition du terrorisme est une question qui se pose à tous les États et aucun n’a trouvé un moyen de « concilier la jouissance totale de toutes les libertés et la lutte contre le terrorisme ».
Aussi, assure-t-il que « tous les agents publics qui auraient eu des agissements en dehors des missions constitutionnelles ont été punis ou devront l’être », a-t-il par ailleurs promis.
S’agissant des territoires administrés par le Front Polisario, la délégation algérienne a observé que dans l’ensemble des missions de maintien de la paix, la seule qui n’a pas un volet droits de l’Homme est la Minurso (Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental), en raison de l’opposition de certains pays.
« Seul un mécanisme impartial pourra établir les violations des droits de l’Homme dans les camps de Tindouf. Il n’appartient pas au pouvoir judiciaire algérien d’aller régir ce qui se passe entre les réfugiés temporaires dans le pays. Il faut se poser la question de savoir pourquoi ces personnes se retrouvent réfugiés dans un pays tiers », soutient la délégation algérienne.
Lazhar Soualem a également réfuté l’accusation de l’existence de lieux de détention secrets. Au sujet des Amazighs, il a indiqué que tout le monde en Algérie est Amazigh, déplorant que la question de l’identité ait été manipulée dans l’histoire du pays.
Merzoug Touati, « n’est pas journaliste qui veut »
Allusion sans doute à l’affaire de Merzoug Touati, condamné à sept ans de prison pour une interview avec un responsable israélien, une condamnation dénoncée par nombre d’ONG, la délégation algérienne a martelé que la profession de journaliste était réglementée en Algérie.
« N’est pas journaliste qui veut », a-t-elle précisé. « Il arrive que des journalistes soient poursuivis mais pas au motif qu’ils sont journalistes. Il ne faut pas faire des amalgames pour créer une catégorie qui viendrait à échapper à l’application des règles de droit », estime la délégation.
Concernant les avoirs des Algériens et Marocains expulsés des territoires des deux États, le chef de la délégation a affirmé que «le Maroc a torpillé le processus en prenant des mesures unilatérales ».
« Cependant, la partie algérienne est prête à continuer à faire des efforts dans ce domaine », a-t-il dit, en soulignant que la plupart des Marocains concernés n’avaient pas de titres de propriété.
Par ailleurs, il a indiqué que certaines ONG rencontraient certaines difficultés car elles n’avaient pas pu justifier l’usage de l’argent public. Aussi soutient-il que le Conseil supérieur de la magistrature était un organe « indépendant » formé principalement des magistrats.
« Il faut que les membres du Comité écoutent toutes les sources pour se faire une opinion, celles des organisations de la société civile comme celles des autorités », a conclu le responsable algérien. Les observations et recommandations du comité sont attendues pour après le 27 juillet prochain.