Trop d’impôts tue impôt dit-on. Si l’Algérie est aujourd’hui parmi les pays confrontés à la prolifération de l’économie informelle, c’est en partie à cause de son système fiscal, estiment des économistes.
Un système qui tire le maximum de l’assiette existante sans chercher à élargir cette dernière pour renflouer les ressources publiques. Avec une vraie réforme fiscale, estime-t-on, le pays peut pourtant concilier les deux impératifs de renflouer ses caisses tout en réduisant la part de l’informel dans l’économie.
Alléger la fiscalité sur les entreprises
L’entreprise algérienne est parmi les plus imposées au monde. Elle met plus de la moitié de ses revenus dans les taxes et impôts, si l’on compte seulement l’IBS (impôt sur le bénéfice des sociétés 26%), la TVA (taxe sur la valeur ajoutée, 19%) et l’IRG (impôt sur le revenu global, 10%). On en est déjà à 55%. Et ce ne sont pas les seules taxes appliquées. Au total, environ 65% des revenus sont prélevés par le fisc.
Il s’agit d’un taux évidemment trop élevé qui explique en partie pourquoi une part importante des opérateurs préfère le confort de l’opacité dans le secteur informel.
Opaque par définition donc difficile à quantifier, l’unique certitude à propos de ce secteur est qu’il n’est pas marginal. En 2021, le président de la République Abdelmadjid Tebboune avait avancé le chiffre de 90 milliards de dollars circulant en dehors de la sphère légale.
La lutte contre le secteur informel est le leitmotiv de tous les gouvernements qui se sont succédé ces dernières décennies.
Des idées sont régulièrement suggérées par des économistes et des politiques, comme l’amnistie fiscale pour ceux qui se reconvertiraient dans le circuit légal ou encore la mesure extrême du remplacement des billets de banque en vigueur pour capter la masse conséquente d’argent qui circule en dehors des banques.
Dans son rapport 2023 sur l’économie algérienne, la Banque d’Algérie a évalué cette somme à 8.273 milliards DA sur une masse monétaire totale de 24.330 milliards de dinars.
Il y a pourtant plus souple et moins douloureux moyen pour venir à bout du phénomène. Une nouvelle stratégie fiscale axée sur l’allègement de la pression et la concrétisation véritable du principe de justice fiscale pourrait aider au moins à réduire la part de l’informel dans l’économie algérienne.
Il faut dire que c’est souvent à tort que l’on parle de « confort » de l’informel. Hormis les gains de l’évasion fiscale qu’il confère, ce genre d’activités n’est pas confortable. Il s’agit d’activités illégales qui tombent sous le coup de la loi avec le risque omniprésent de tout perdre.
Élargir l’assiette fiscale
Avec moins de pression fiscale, une partie des opérateurs informels reviendra volontairement dans la sphère légale. L’Etat a beaucoup à y gagner. Il s’agit de la voie la plus efficace pour élargir l’assiette fiscale, synonyme de hausse des recettes.
L’équation est bien simple : le Trésor public récupérera de l’informel devenu légal bien plus que ce qu’il perdra en baissant les impôts.
Il s’agit tout de même de l’équivalent de plusieurs milliards de dollars supplémentaires à imposer, sans compter l’impact sur l’environnement des affaires, avec une meilleure équité fiscale.
Par exemple, une baisse de la TVA de 19% à 8% et de l’IBS de 26% à 10% pourrait inciter de nombreux opérateurs qui activent dans l’informel ou font de l’optimisation fiscale en sous-déclarant leurs activités et les salaires de leurs collaborateurs pour réduire les charges fiscales et parafiscales à joindre le cercle formel.
Avec une baisse de la fiscalité, l’Etat pourrait ensuite criminaliser l’informel et lui appliquer les mêmes règles que la spéculation sur les produits de large consommation avec les résultats que l’on connait puisque cette dernière a été fortement réduite, sans prendre le risque de déstabiliser fortement l’économie.
Une fois la fiscalité allégée et que des opérateurs économiques auront intégrés le système formel, il sera indispensable de criminaliser la fraude fiscale en Algérie.
« À l’instar de la spéculation, la fraude fiscale devrait être sévèrement sanctionnée, afin d’assurer une véritable justice fiscale et de protéger les opérateurs respectueux des lois. Cela renforcera la crédibilité du système et encouragera les derniers réfractaires à se conformer », soutient un économiste.
Criminaliser l’informel
Aujourd’hui, les opérateurs qui travaillent au réel, paient leurs impôts et déclarent leurs salariés à la Sécurité sociale font face à une concurrence déloyale de la part de ceux qui activent dans l’informel. Ces derniers ne paient pas d’impôts, ou très peu, ne déclarent pas ou sous déclarent leurs salariés, et pratiquent l’évasion fiscale à grande échelle.
Ce qui se fait jusque-là relève de la facilité. Faute de pouvoir élargir l’assiette fiscale, en grignotant justement sur celle de l’informel, on presse à fond l’assiette existante, ce qui conduit mécaniquement à pousser les opérateurs formels à rejoindre l’informel.
Aussi, l’informel n’est pas toujours celui auquel on peut penser. Il est parfois présent même dans les activités légales par la faute d’une législation fiscale désuète. L’exemple le plus frappant est celui de l’IFU, ou l’impôt forfaitaire unique.
Ce régime, institué pour alléger la pression fiscale sur les petites entreprises et leur simplifier la procédure, n’offre toutefois pas la garantie de consacrer la « justice fiscale ». Il peut ainsi constituer une incitation à aller vers l’opacité.
Revoir l’IFU qui est devenu un refuge pour dissimuler les revenus
L’IFU englobe trois taxes et impôts majeurs, la Taxe sur l’activité professionnelle (TAP), la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et l’impôt sur le revenu global (IRG).
Comme son nom l’indique, il s’agit d’une redevance fiscale forfaitaire donc non calculée sur la base du chiffre d’affaires réel. L’unique condition pour y être soumis est de ne pas dépasser 8 millions de dinars de chiffre d’affaires par an. Au-delà de ce plafond, l’entreprise est imposée au prorata de son chiffre d’affaires déclaré.
L’article 282 du code des impôts directs et taxes assimilées (CIDTA) précise que ceux qui sont soumis au régime de l’IFU sont les personnes physiques et les sociétés civiles professionnelles exerçant une activité industrielle, commerciale, non commerciale ou artisanale, ainsi que les coopératives d‘art et d‘artisanat traditionnelles, dont le chiffre d‘affaires annuel n‘excède pas 8 millions de dinars".
Ces catégories peuvent donc payer un impôt forfaitaire sauf si elles choisissent délibérément d’être soumises au régime d’imposition normal.
Concrètement, cela signifie qu’une entreprise qui ne dépasse pas le plafond fixé paye un impôt dérisoire et une autre, plus performante, est taxée à hauteur des deux tiers de ses revenus.
Un opérateur qui fait rentrer 8 millions de dinars gagne in fine plus que celui qui produit 150 millions de dinars. Il ne faut dès lors pas s’étonner si des opérateurs légaux cachent au fisc une partie de leurs revenus pour déclarer moins de 8 millions de dinars, par exemple en évitant la facturation ou le paiement par des moyens bancaires, des pratiques hélas très répandues.
La loi de finances qui entre en vigueur le 1er janvier prochain a élargi la liste des activités exclues du régime de l’IFU, mais cela demeure insuffisant. L’Algérie a besoin d’une large réforme axée principalement sur l’allègement de la pression fiscale sur les entreprises.
Des pays comme le Mexique, le Rwanda, le Pérou, la Colombie et la Turquie ont réussi à réduire la part de l’informel dans leurs économies, avec des réformes fiscales basées sur la réduction des impôts et taxes.
Digitalisation des services fiscaux
Pour lutter contre l’informel, le gouvernement doit actionner un levier important, peu exploité jusque-là : la digitalisation des services fiscaux et de l’administration en générale.
Cheval de bataille du président Tebboune depuis son élection en décembre 2019, la numérisation de l’administration (impôts, douanes, Domaines, commerce, etc) est indispensable pour lutter contre l’informel. Avec le numérique, le gouvernement peut contrôler facilement l’activité économique.
Dans ce domaine, les avancées restent timides, alors qu’avec la simplification des démarches et la facilitation des paiements électroniques, le gouvernement pourrait rendre la formalisation plus accessible et moins contraignante pour les petites entreprises.