Économie

Économie algérienne : la réalité derrière la polémique

L’Algérie a terminé l’année 2021 sur une vive polémique concernant sa situation économique, suscitée par un rapport de la Banque mondiale, et une promesse de faire de l’année 2022 celle du « décollage » économique, faite par le président Abdelmadjid Tebboune dans ses vœux aux Algériens.

« J’ai eu à affirmer lors de précédentes occasions que l’année 2022 sera celle du décollage économique dans une Algérie nouvelle qui recourt à ses capacités, ouverte à la coopération avec tous les partenaires sur la base des intérêts communs et attachée à s’acquitter de son rôle à garantir la sécurité et la stabilité de la région », a indiqué le président de la République vendredi 31 décembre.

| Lire aussi : Situation économique : les chiffres de la Banque d’Algérie

Le 4 décembre, à l’ouverture de la Conférence nationale sur la relance de l’industrie, le chef de l’État avait déjà fixé les priorités pour l’année 2022.

« Après le parachèvement de l’édifice constitutionnel et institutionnel, 2022 sera exclusivement consacrée à l’économie, et là nous verrons qui des responsables suivront notre démarche et ceux qui l’entraveront », a-t-il dit.

Dans le même discours, le président Tebboune avait mis le doigt sur les entraves bureaucratiques et les réticences de l’administration à accompagner l’effort de la relance de l’investissement productif.

Le 22 décembre, le gouverneur de la Banque d’Algérie a rendu publics des chiffres alarmants, faisant état notamment d’une inflation presque à deux chiffres (9,2 % en octobre), tirant encore plus vers le bas le pouvoir d’achat des ménages.

Dans la foulée, la Banque mondiale publie son rapport de suivi de la situation économique de l’Algérie dans lequel elle fait de sombres prévisions à terme à cause de la vulnérabilité des exportations (volatilité des cours de pétrole), et met en garde contre la lenteur des réformes envisagées par le gouvernement.

Le rapport a été très critiqué par l’agence officielle APS qui a accusé la Banque mondiale de sortir « de son cadre d’institution financière internationale pour se transformer en un outil de manipulation et de propagande ».

Il lui est notamment reproché d’avoir fait la prévision très pessimiste d’un « séisme économique » à venir et de situer la facture des importations en 2021 à 50 milliards de dollars, soit très au-delà de l’estimation faite par le président de la République en septembre (30/31 milliards).

« L’Algérie condamne et rejette dans le fond et dans la forme cette immixtion flagrante de la Banque mondiale », a écrit l’agence officielle dans un autre communiqué.

Le seul officiel algérien à s’exprimer sur le rapport c’est le Premier ministre Aïmene Benabderrahmane et il n’est pas tout à fait du même avis que l’APS.

« Même si on n’est pas d’accord sur certaines données, ce rapport regorge d’indicateurs positifs », déclare-t-il à la veille du Nouvel An.

De belles performances mais…

L’Algérie a enregistré pendant l’exercice 2021 une croissance de 4,1 % après une année de forte contraction due à la crise sanitaire, n’a pas eu recours à l’endettement extérieur ni à la planche à billets, a augmenté ses exportations hors hydrocarbures et réduit le déficit de la balance des paiements.

Pour les importations, elles se sont finalement situées à 33,8 milliards de dollars jusqu’à la première semaine de décembre dernier, selon M. Benabderrahmane. Le Premier ministre n’a pas inclus la facture des services qui avoisine annuellement les 10 milliards de dollars.

Dans les réactions au rapport de la BM, on a beaucoup cité celui du Fonds monétaire international (FMI), rendu public début décembre et dont l’évaluation de l’économie algérienne est jugée positive.

Néanmoins, les deux institutions de Bretton Woods ne divergent pas sur la vulnérabilité de l’économie algérienne, toujours fortement dépendante des exportations de pétrole et de gaz.

En octobre dernier, le FMI mettait en garde contre les conséquences de la « persistance » de déficits budgétaires élevés, tout en affichant son pessimisme pour le maintien de la croissance économique à moyen terme, du « fait de l’érosion probable de la capacité de production dans le secteur des hydrocarbures dans un contexte de réduction des projets d’investissements décidée en 2020, et des politiques actuelles qui limiteraient le crédit au secteur privé ».

En effet, la seule vraie croissance durable et susceptible d’engendrer l’amélioration pérenne de tous les autres indicateurs est celle générée par le secteur productif national hors hydrocarbures.

L’Algérie a fait un effort colossal en 2021 en portant ses exportations hors hydrocarbures à des niveaux jamais atteints (entre 4 et 5 milliards de dollars selon les estimations).  Ses indicateurs macroéconomiques sont relativement bons, à part le colossal déficit interne qui pèse sur les finances publiques.

Pour maintenir cette dynamique et aller réellement vers une économie de substitution aux hydrocarbures, elle gagnerait à prendre en compte cette remarque de la Banque mondiale sur la lenteur des réformes, qui doivent toucher sans tarder les secteurs névralgiques que sont les banques, la fiscalité, l’investissement… Elle est aussi appelée à régler une fois pour toutes cette histoire de l’administration qui agit en frein au développement.

C’est seulement à ce prix que « le décollage » promis pourrait avoir lieu. Continuer à compter uniquement sur le pétrole, c’est prendre le risque de compromettre l’avenir du pays, d’autant que des incertitudes demeurent quant à l’évolution du prix du brut en 2022 en raison de la pandémie de covid-19.

Même si des analystes du marché pétrolier n’excluent pas un baril à 100 dollars dès cette année 2022, l’Algérie doit profiter de la fenêtre de tir actuelle pour lancer de véritables réformes économiques afin de réduire sa dépendance du pays vis-à-vis des hydrocarbures et relancer l’investissement.

La polémique suscitée par le rapport de la Banque mondiale ne doit pas cacher la réalité de l’économie algérienne, trop dépendante des hydrocarbures et des importations de biens de consommation et de matières premières.

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