Sans crier gare, le feu de la contestation politique a de nouveau pris en Egypte. Des appels lancés sur les réseaux sociaux à la mi-septembre par un homme d’affaires exilé, du nom de Mohamed Ali, ont convaincu les habitants de plusieurs villes dont le Caire de descendre dans la rue pour réclamer carrément la tête du président al-Sissi et de son régime qui dirige le pays d’une main de fer depuis six ans.
Des manifestations nocturnes ont eu lieu vendredi 20 septembre au Caire et dans de nombreuses autres villes, suscitant une réaction brutale des forces de l’ordre.
On parle de deux mille manifestants arrêtés, mais cela n’a pas dissuadé les Égyptiens de revenir à la charge ce week-end pour appeler au départ du chef de l’Etat, avec néanmoins cette fois des contre-manifestations qui lui sont favorables.
Lorsque le maréchal avait pris le pouvoir en 2013, c’était suite à des manifestations populaires qui avaient précédé le renversement de l’islamiste Mohamed Morsi, devenu une année plus tôt le premier président élu démocratiquement dans l’histoire de l’Égypte. Il était aussi le premier civil à gouverner le pays, dirigé depuis la révolution de 1952, qui avait mis fin à la monarchie, par des présidents issus de la très puissante institution militaire.
En juillet 2013 donc, l’armée a repris le pouvoir après une courte parenthèse démocratique, avec la bénédiction de quasiment toutes les grandes puissances ainsi que l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Seuls le Qatar et la Turquie avaient dénoncé un coup de force contre la volonté populaire et continuent aujourd’hui encore à entretenir des relations tendues avec le régime d’al-Sissi.
Sinon celui-ci a pu compter sur l’aide précieuse des autres monarchies du Golfe, notamment les Emirats et l’Arabie saoudite, sur les encouragements d’Israël qui ne pouvait s’accommoder d’un pouvoir islamiste à ses frontières et du silence des puissances occidentales devant ses exactions. Car les atteintes aux libertés et aux droits de l’Homme ont explosé depuis 2013.
A commencer par l’emprisonnement du président déchu, qui mourra en prison en 2019, la répression dans le sang de la contestation qui avait suivi sa déposition, la dissolution de la confrérie des Frères musulmans et, plus tard, la répression même des mouvements laïcs et progressistes qui avaient pourtant soutenu son coup de force.
Al-Sissi se fera élire président en 2014 et fera amender la constitution pour pouvoir garder son poste théoriquement jusqu’en 2030. Mais le monde a laissé faire, quand il n’a pas franchement applaudi. Au nom de la stabilité dans une région bouillonnante, on a sacrifié le reste.
Mais cette stabilisation par l’autoritarisme a fini par montrer ses limites, pour ne pas dire qu’elle n’a jamais fait ses preuves. Le pays est en effet entré dès le coup d’Etat de 2013 dans une spirale de violence terroriste que toute la puissance de feu de l’armée n’arrive pas à endiguer.
L’Égypte est devenue l’une des contrées les moins sûres au monde et pour un pays qui tire une partie non négligeable de ses recettes de l’activité touristique, les conséquences ne peuvent qu’être désastreuses pour l’économie et la stabilité sociale.
L’emprise de l’armée sur plusieurs secteurs d’activité s’est retrouvé renforcée et les chiffres des performances économiques de l’Égypte de ces dernières années sont peu flatteurs : des revenus touristiques divisés par deux par rapport à leur niveau de 2010, un taux d’inflation qui a atteint 34% en 2017 (ramené à 14% en 2019), dévaluation de la monnaie de la moitié de sa valeur…
Al-Sissi n’a pas tenu ses promesses de prospérité et de stabilité, encore moins celles de liberté et de démocratie. Et c’est logiquement que cet autoritarisme a fini par donner naissance à son corollaire, la corruption qui grève davantage la machine économique.
Si les appels aux manifestations du 20 septembre ont été suivis, c’est sans doute parce que leur auteur, entre autres griefs retenus contre al-Sissi, avait insisté sur ses extravagances.