Il est tout de même insolite que l’actualité liée au baccalauréat en Algérie soit dominée par les mesures prises pour éviter les actes de fraude, notamment la coupure d’Internet pendant les épreuves.
Les véritables questions qui devaient occuper spécialistes, enseignants, élèves et parents, soit les conditions générales de déroulement de l’examen, les sujets des différentes épreuves ou les prévisions du taux de réussite, sont occultées au profit de ce fléau.
Et cela dure depuis au moins cinq ans. Le souci des autorités peut paraître légitime, sachant que des scandales retentissants avaient éclaté par le passé, notamment en 1992 et plus récemment en 2016 lorsque les sujets avaient été fuités à large échelle.
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La divulgation des sujets -et parfois des réponses– quelques heures avant le début des épreuves est la forme la plus redoutée de la triche. Il y a aussi l’utilisation des moyens modernes de communication, démocratisés et miniaturisés, qui permet à certains candidats indélicats de communiquer avec leurs proches pendant l’examen et recevoir les bonnes réponses.
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Le ministère de l’Education et tout l’Etat ne lésinent pas sur les moyens et les mesures, allant jusqu’à priver tout le pays d’Internet, dans un monde qui se numérise chaque jour davantage.
La démarche est vivement critiquée, d’autant plus que des alternatives moins coûteuses existent, comme l’interdiction des téléphones portable et autres gadgets pendant les épreuves ou le brouillage du réseau dans les zones des centres d’examen.
Même la justice et la police sont mises à contribution. Alors que les épreuves se déroulent toujours, le ministère de la Justice a annoncé mardi 22 juin l’incarcération de 18 personnes pour des faits de fraude au Bac, dont un candidat. Mettre un lycéen en prison, ce n’est jamais une bonne idée.
Le phénomène n’est-il pas donc marginal, pour susciter une telle fermeté ? A voir cette gestion sécuritaire à outrance, tout le tapage fait autour de la question et les mesures extrêmes prises chaque année, on est tenté de le penser et de déduire que la fraude et la triche ont gangrené l’institution éducative.
Ce qui est en soi un aveu d’échec de l’école, censée éduquer et former des citoyens honnêtes, pas des tricheurs. C’est en tout cas l’image que risque de renvoyer cette paranoïa collective, dans une large mesure injustifiée.
Ajournement ou abandon définitif ?
Pendant ce temps, les vraies questions sont mises de côté et les réformes promises jetées aux oubliettes. Celle du baccalauréat justement devait être entamée dès l’édition 2020 et définitivement actée cette année 2021.
Fin décembre 2018, un représentant de la direction de l’enseignement secondaire (DESGT) au ministère de l’Education nationale, Abdelhafid Hadj Sadouk, annonçait solennellement en conférence de presse le planning et la teneur de la réforme de l’examen le plus important du cursus scolaire.
Le département de l’Education, dirigé alors par Nouria Benghebrit, avait envisagé d’introduire l’évaluation continue, c’est-à-dire la prise en compte des résultats obtenus par l’élève pendant le cursus secondaire.
Une manière d’encourager l’assiduité des élèves et de réduire de l’importance des quelques jours d’épreuves, auxquels est suspendu l’avenir de toute une génération.
On s’était toujours soucié d’empêcher les cancres d’accéder indûment à l’université et il était temps de penser aux assidus qui pouvaient pour une raison ou une autre trébucher sur la marche finale.
Le Bac en Algérie est l’unique diplôme qui ouvre les portes de l’enseignement supérieur, ce qui n’est pas le cas dans la majeur partie des pays développés, mis à part en France, pays de naissance de ce diplôme, en 1808 sous Napoléon 1er.
La France justement avait annoncé une année auparavant, c’est-à-dire en 2017, sous l’impulsion du président Emmanuel Macron, une réforme similaire. A partir de cette année 2021, le contrôle continu compte dans ce pays pour 40 % de la note finale.
En Algérie, la réforme annoncée fin 2018 prévoyait une première évaluation continue avec l’introduction de la prise en compte des résultats des 2e et 3e années secondaires dès 2020, avant que le baccalauréat ne prenne sa forme finale, avec un autre changement de taille : la réduction du nombre de jours des épreuves de 5 à 3 jours.
Rien ne devait en principe entraver la mise en œuvre de la réorganisation, d’autant que les puissants syndicats du secteur n’avaient pas fait d’objection, contrairement aux précédentes tentatives de changement de Mme Benghebrit qui avaient à chaque fois soulevé un tollé, comme le projet de suppression de l’éducation islamique et de l’histoire-géographie des épreuves du Bac.
Deux ans et demi après l’annonce en grande pompe de la réforme, celle-ci se fait toujours attendre. Il y a eu certes entre-temps le soulèvement populaire de février 2019 et les bouleversements qu’il a induits au niveau politique, ainsi que la crise sanitaire de covid-19 qui a tétanisé le pays.
S’agit-il d’un ajournement dû à ces deux impondérables ou d’un abandon définitif du projet ? En tout cas, depuis cette conférence de fin 2018, on n’en parle presque plus.