Les gravures rupestres préhistoriques de Zaouia Tahtania, à 18 km au sud de Taghit, dans la région de Béchar, dans le sud-ouest algérien, ont été gravement dégradées par les touristes de passage. Ces gravures, qui datent de plus de 5000 ans, ont été souillées à la peinture ou avec une intervention directe sur la roche. Des graffitis ont été ainsi « gravés » à côté ou sur les gravures dénaturant irréversiblement des dessins qui remontent à l’âge néolithique.
À la station de Zaouia Tahtania on peut voir des gravures représentant des antilopes, des chevaux, des éléphants, des gazelles, des girafes, des dromadaires, des autruches, des figures géométriques et des formes humaines, témoins d’une vie intense dans les anciens temps grâce notamment à la présence de l’eau dans la vallée de Zousfana.
La station est aujourd’hui livrée aux quatre vents et aux actes de vandalisme. Il n’y a ni clôture ni gardiens. Seules restent les traces de marchands occasionnels de produits d’artisanat : des barres de fer, des sachets et des bouteilles en plastique et des morceaux de bois brûlé. L’endroit n’est pas nettoyé.
Une route goudronnée a été construite pour mener vers un site supposé être à haute valeur touristique et culturelle. À la détérioration d’origine humaine, s’ajoute les aléas du climat (la grande différence de température entre le jour et la nuit fait éclater à terme les roches).
« J’aurai bien aimé qu’il n’y ait pas cette route. Cela a facilité l’accès et a donc accéléré la dégradation des gravures », a regretté Abdelali Allali, guide touristique. « Par le passé, on y accédait à bord de chameaux ou de 4X4 puissantes. Seuls les gens intéressés par le patrimoine se déplaçaient à Zaouia Tahtania. On a dégagé 65 milliards de centimes pour construire une route et pour finalement constaté les dégâts aujourd’hui », s’est lamenté Tayeb Mebarki, guide touristique.
Réda Hamouya, président de l’Association de l’écotourisme de Taghit, va dans le même sens que Abdelali Allali et Tayeb Mebarki. « Dès qu’on a ouvert une route vers le site, des visiteurs sont venus de partout et ont contribué à détériorer les gravures. À mon avis, on aurait dû laisser une piste. De cette manière, seuls ceux qui connaissent la valeur historique des gravures peuvent s’y rendre. Sur place, il n’existe aucune protection », a dénoncé Réda Hamouya, président de l’Association de l’écotourisme de Taghit.
« Créer un parc national à Taghit »
Ahmed Taghiti, président de l’APC de Taghit, a parlé, lui, de situation catastrophique. « Chaque visiteur veut marquer son passage en écrivant sur les pierres avec de la peinture. Si la situation continue, ces gravures vont disparaître à tous jamais », s’est alarmé Ahmed Taghiti.
Protéger le site est, selon lui, de la responsabilité de la direction de la Culture de Béchar. « Ils sont bien au courant de la situation mais ils n’ont rien fait jusqu’à maintenant », a-t-il dit.
Abdelkader Sahli, doyen des guides de Taghit surnommé « le PDG du désert », a soutenu que l’usage de la peinture est moins grave que de graver des dessins sur la roche. « La solution est de créer un parc national à Taghit ou de doter l’APC en argent pour pouvoir recruter de jeunes gardiens qui veillent sur les lieux et assurent leur nettoyage à longueur d’année et 24 h sur 24. Sinon, je conseille les directions de la culture et du tourisme de la wilaya de Béchar de fermer leurs portes et de nous laisser tranquilles ! Lorsqu’elle était ministre de la Culture, Khalida Toumi a constaté de visu la dégradation des lieux. Elle aurait pu trouver une solution plus rapidement. Nous voulons sauvegarder cette richesse qui nous permet de vivre avec, de gagner notre vie », a confié Abdelkader Sahli.
Selon lui, une étude a été faite sur la création d’un parc national à Taghit depuis plus de vingt ans. « Mais rien n’a été fait depuis. Créer un parc national peut être une solution. Il y a des sites ici que nous ne voulons pas montrer aux touristes. Vous pouvez y trouver des gravures rupestres, du bois pétrifié et d’autres trésors. Mais, nous préférons garder leurs emplacement pour nous. C’est notre façon de les protéger », a-t-il dit. En ces temps d’incertitudes, la protection par le silence peut être efficace !
Un centre d’information sur l’art rupestre en projet
« En 2015, nous avons proposé en tant qu’association à la direction de la culture de Béchar d’installer une clôture autour du site et assurer le gardiennage. Notre demande a été refusée. Cette direction nous a dit qu’elle s’occupait elle même du projet. Or, rien n’a été fait à ce jour. Ni projet ni protection ! », a dénoncé Réda Hamouya.
En septembre 2017, la direction de la culture de Béchar a annoncé la préparation d’un plan de protection, de sauvegarde et de mise en valeur des trois stations rupestres de Taghit. En plus de Zaouia Tahtania, il y a deux autres stations à Barrebi et Hassi Laouedj.
Les gravures de Hassi Laoudj ont été également atteintes de dégradation avancée. Le plan de protection a été approuvé par l’APW de Béchar en juin 2016 mais n’a toujours pas été mis à exécution alors que chaque minute qui passe peut être fatale pour un patrimoine qui date de milliers d’années. En fait, le plan d’urgence a été annoncé par Khalida Toumi, ministre de la Culture, en avril 2013. Le décret portant création du plan a été publié en octobre 2013 (décret numéro 03/323).
Cinq ans après, il n’a toujours pas été mis en pratique sur le terrain. Un responsable de la direction de la culture de Béchar a précisé à l’agence APS que la zone à protéger s’étale sur 500 hectares. Il s’agit d’élaborer un inventaire des gravures de toute la région de Taghit.
« Ce plan, qui s’inscrit au titre de la législation nationale en matière d’élaboration de schémas de protection des sites patrimoniaux et des zones protégées, devra constituer un moyen efficace pour la protection des stations de gravures de la région de Taghit », a-t-il précisé. Un projet de création d’un centre d’information sur l’art rupestre à Taghit est à l’étude. Autant que celui de l’ouverture d’un musée de préhistoire dans la même ville.