Société

Émigration clandestine : des bateaux ultra-rapides au prix d’or

Ils quittent par centaines les côtes algériennes sur des embarcations de fortune, en direction des côtes espagnoles. D’Oran, Arzew, Ghazaouet, Mostaganem, Dellys, Boumerdes, Bejaia, les candidats à la traversée clandestine n’hésitent pas à jouer leur vie à pile ou face, dans l’espoir d’atteindre ce qu’ils considèrent comme l’Eldorado.

Depuis quelques semaines, leur nombre est monté crescendo. Des vidéos relayées sur les réseaux sociaux témoignent de l’ampleur de ce phénomène. Si certains parviennent à atteindre l’autre côté de la méditerranée sains et saufs, d’autres périssent en mer, noyés.

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Autre nouveau phénomène qui fait couler beaucoup d’encre en ce moment : la présence sur ces embarcations de femmes enceintes, flanquées de leurs enfants en bas âge.

Familles endeuillées

Le phénomène de l’émigration illégale a pris des proportions alarmantes. Rien ne semble pouvoir stopper l’hémorragie. Même l’angoisse d’être bouffé par des poissons en haute mer n’entame pas la volonté des candidats à la « harga ».

Il y a quelques jours, les corps de plusieurs migrants algériens ont été repêchés sur les côtes d’Almeria (Andalousie). Un appel a été lancé samedi dernier par l’organisation non gouvernementale du Centre international  (CIPIMD) aux familles, pour l’identification de leurs cadavres rejetés par la mer.

Les malheureux étaient tous originaires de la wilaya de Bejaia. Même le passeur n’a pas échappé à la mort.

Même les femmes enceintes s’y mettent !

Des centaines d’Algériens auraient débarqué sur les côtes espagnoles entre le 1 et le  28 septembre, à la faveur d’une météo propice. L’information de cette femme enceinte de 8 mois, accompagnée de ses cinq enfants, qui a été secouru par la Guardian civile, a suscité une avalanche de réactions sur les réseaux sociaux. Au-delà des avis des uns et des autres, ces exemples de femmes qui se jettent à l’eau avec leurs enfants témoignent d’un profond désespoir.

« C’est à la racine qu’il faut chercher le mal. Le chômage, la cherté de la vie, l’absence de perspective et le manque de liberté poussent les Algériens à jouer leur vie à la roulette russe pour tenter de se trouver une meilleure terre d’accueil, par n’importe quel moyen », commente un citoyen. «  À présent même les femmes enceintes s’y mettent. On n’a jamais vu pareil phénomène. C’est le signe d’une profonde détresse qui ronge notre société ».

Le chômage et la précarité ne sont plus les seuls motifs à l’émigration illégale par traversée maritime. Ils sont des centaines de médecins, ingénieurs, fonctionnaires, professeurs et étudiants à tenter l’aventure.

Coup de pouce des  ONG

Une autre vidéo a défrayé la chronique sur la toile : celle de ce jeune homme en chaise roulante, pris en charge par la Croix rouge après son arrivée sur les côtes espagnoles.

Les informations sont relayées sur les réseaux sociaux pour tenir au courant les familles et proches sur le sort des migrants. Sur sa page Facebook, Francisco Jose Clemente Martin, un bénévole habitant à Almeria, publie en continu des informations  sur les migrants clandestins qui débarquent sains et saufs sur les côtes ibériques et des sauvetages en mer effectué par les ONG.

Tous les âges, tous les statuts

On  pourrait penser que l’émigration illégale via des embarcations de fortune n’attire qu’une frange de la population, celle des desperados, en difficulté économique. En réalité, des personnes aisées, ayant un travail stable et bien rémunéré prennent également contact avec des passeurs dans l’espoir d’atteindre l’Europe par voie maritime.

« Il y a quelques mois, mon cousin a pu gagner l’Italie, à partir de Annaba avec d’autres harraga. Il avait son propre commerce et ne manquait de rien. Dans l’embarcation, se trouvait des clandestins de tous âges, de toutes conditions sociales et même deux jeunes filles », témoigne Faycal.

Des personnes ayant des métiers recherchés en Europe n’hésitent pas à sauter le pas comme les coiffeurs et les coiffeuses par exemple qui peuvent travailler en toute discrétion.

Le business des passeurs

Les tarifs exigés par les passeurs et leurs complices ne constituent pas un frein pour ces candidats à une vie meilleurs. Il faut débourser environ entre 800.000 DA et 900.000 (4500 euros) pour mettre pied à bord, soit 45 fois le salaire minimum en Algérie. Pour réunir cette somme colossale, il faut travailler dur pendant de longs mois, ce qui signifie que les migrants ne partent pas sur un coup de tête.

Par ailleurs,  des « navettes de luxe », ultra- rapides et sûres, des embarcations semi- rigides dotées de puissants moteurs ont le vent en poupe actuellement, et sont en partie derrière la hausse des départs de migrants.

Elles permettant de rallier les côtes oranaises à Almeria (environ 200 km) en moins de 5 heures. Des traversées VIP ou Go Fast pour ceux qui sont pleins aux as : 4500 euros la place. Une promenade de santé, à condition de ne pas se faire intercepter par les garde- côtes ibériques ou algériens. Parfois, les migrants sont accompagnés d’un passeur qui parfois reste avec eux une fois arrivé en Espagne, ou revient en Algérie pour faire d’autres aller-retour.

Sinon, les migrants achètent leur propre bateau, apprennent à utiliser le GPS pour prendre la mer sans passeur. Les bateaux utilisés sont généralement dotés de moteurs puissants, capables de rallier rapidement la côte espagnole à partir d’Oran, ce qui réduit les risques d’être interceptés par les garde-côtes.

« Les embarcations artisanales sont lentes et exposent les migrants aux dangers de la mer. Les embarcations semi-rigides sont rapides et efficaces », témoigne un ancien migrant qui a pris deux fois la mer, sans réussir à atteindre les côtes espagnoles. « À chaque fois, le GPS tombait en panne, ce qui nous obligeait à revenir », explique-t-il.

La bonne étoile…parfois

Au milieu de ce cimetière maritime où sont précipités les cadavres des « boats » qui chavirent lorsqu’une avarie survient au milieu de la Méditerranée, certains échappent miraculeusement à la faucheuse.

Récemment, douze jeunes algériens partis d’Alger à destination des côtes espagnoles ont dérivé pendant 7 jours, avant d’être secourus. Ils ont posté une vidéo sur Internet témoignant de leur grande détresse devant une mort qu’il pensait imminente. « On a même bu de l’eau de mer tellement on avait soif », a déclaré l’un d’entre eux.

Le drame de l’émigration clandestine a encore de beaux jours devant lui. Il témoigne d’un profond malaise sociétal et d’une furieuse envie de trouver une vie meilleure sous des cieux plus cléments.

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