TRIBUNE. L’œuvre d’Emmanuel Kant, le plus mathématicien des philosophes des lumières et l’un des plus marquants, et “L’horizon indépassable” selon Jean-Paul Sartre, représente un des efforts les plus éminents que l’intelligence humaine ait consenti pour élucider son propre mystère et celui de l’univers.
Aux yeux de beaucoup d’érudits, personne n’est allé aussi loin dans la dissection des mécanismes de jugement et d’accès à la connaissance.
Quand l’art couronne la manière
Le fond et la forme vont de pair mais quand l’art rayonne et fascine, la manière ne peut jamais paraître morose. Religieusement ponctuel et discipliné, et sans jamais quitter sa ville natale, Kant (1724-1804) a réussi à promouvoir la routine et la régularité au rang des beaux-arts.
Son surnom “L’horloge” n’était nullement usurpé. Il a enrôlé un officier retraité pour le réveiller, le faire sortir de la maison et y retourner, à des heures précises, quitte à faire usage de la force. Pendant des années, il a emprunté les mêmes itinéraires à des moments si précis que des personnes ont pris l’habitude de régler leurs montres à ses passages.
Riche et variée, son œuvre reste centrée sur trois critiques essentielles portant sur la raison et le jugement : Critique de la Raison Pure – Critique de la Raison Pratique – Critique de la Faculté de Juger.
Kant et l’a priori
Hume considérait l’esprit humain comme un tableau vierge se remplissant de connaissances livrées par l’expérience. En plus de ce savoir empirique a postériori, Kant distingue un autre type plus important, la connaissance a priori, indépendante de l’expérience et accessible par la seule raison humaine.
Il identifie la logique et les mathématiques comme les sciences véhiculant un savoir non spéculatif permettant de formuler des lois formelles. Il montre aussi que les sciences physiques régies par des lois invariantes suivent cette voie, même si ces lois sont préalablement inspirées par l’expérience.
L’a priori et la scientificité
L’intérêt du savoir a priori, c’est autant d’éviter l’expérimentation que de la mieux diriger, quand nécessaire. La raison doit alors s’adresser à l’expérience tel un juge instruisant un témoin de répondre aux questions pertinentes, et non comme un écolier réceptif de ce que veut bien lui inculquer le maître. C’est ainsi que la Physique a connu un développement rapide pour passer de l’empirisme au statut de science exacte.
La possibilité d’identifier des connaissances a priori est vitale pour toute discipline. On peut jauger et renforcer sa scientificité à travers la part d’a priori qui la gouverne, et promouvoir ainsi une vigilance capable de séparer le rationnel du spéculatif et circonscrire les préjugés.
Kant qualifie de “transcendantal” la faculté de produire des connaissances a priori. Et l’esprit transcendantal est celui dont ces facultés sont en éveil permanent dans l’appréhension des vérités, spéculations, et antagonismes.
Kant et la moralité rationnelle
L’objet initial de la dissection de Kant n’est autre que la raison elle-même. Cette merveilleuse grâce, capable de générer tant de connaissances a priori, ne peut être là pour le simple bonheur de l’être humain, un instinct aurait amplement suffi pour cela. Cette bénédiction est accordée pour une fin plus noble et plus exigeante.
C’est ainsi qu’il s’est attelé à élaborer une moralité rationnelle expurgée de tout empirisme anthropologique, où la raison doit contenir le penchant égoïste poussant les facultés humaines à chercher le bonheur personnel quitte à entrer en conflit avec celui d’autrui.
Le postulat de l’existence de Dieu, législateur tout-puissant, devient dès lors une nécessité absolue. “La morale conduit immanquablement à la religion et l’homme doit se dire que toute sa vie lui sera un jour placée sous les yeux. La justice suprême ne peut s’accommoder de l’impunité et doit impérativement être satisfaite”.
De la moralité à la foi religieuse
L’œuvre de Kant présente des affinités indéniables avec la philosophie islamique, et les musulmans ont beaucoup à apprendre du rationalisme de cet illustre penseur. Il n’est de moralité sans perspicacité et sans clairvoyance, et seule une rationalité aussi morale que scientifique peut déjouer les mauvais préjugés et les errements subsidiaires.
“Deux choses remplissent mon esprit d’admiration et de craintes incessantes, le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi”.
Cette sublime citation, choisie comme épitaphe de sa pierre tombale, rappelle deux merveilleux versets du Coran. Kant n’en donne pas la traduction mais semble décrire les fruits cueillis en s’y conformant : “En vérité, dans la création des cieux et de la terre, et dans l’alternance de la nuit et du jour, il y a des signes pour les doués d’intelligence” (3/190). “Nous leur montrerons nos signes dans l’univers et en eux-mêmes jusqu’à ce qu’il leur devienne évident que c’est cela la vérité” (41/53).
En 2004 le monde apprend avec stupeur que Kant a écrit à la main, tout au début de sa thèse de Doctorat, brillamment soutenue en 1755, en langue arabe : “Bismi Allahi Arrahmani Arraheem“. La révélation de ce secret, si bien gardé par une nation allemande chrétienne si jalousement attachée à son illustre fils, a été faite lors d’une manifestation scientifique commémorant le 200e anniversaire de sa mort.
La “Basmala“, que des élites musulmanes s’évertuent à évacuer du système éducatif, est une observation scrupuleuse de l’injonction du tout premier verset du Coran “Lis au nom de ton Seigneur”. Pour un croyant, il s’agit de la clé vers le savoir utile et un bouclier contre le futile et le préjudiciable, si pléthoriques de nos jours.
Kant a dû en surprendre plus d’un en affirmant: “J’ai dû écarter de la connaissance pour faire place à la croyance“. Cette noble et audacieuse déclaration n’est pas sans rappeler le célèbre hadith du Prophète (PSSL) où il invoque Dieu de le prémunir du savoir inutile. La présence de la basmala au début de la thèse ne paraît désormais plus fortuite.
Il est permis de penser que la relation de Kant avec l’Islam était bien plus profonde que ne le laissent transparaitre les diverses biographies occidentales.
*Professor, Civil Engineering
Ecole Nationale Polytechnique
Université de Batna
King Saud University
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