C’est un classique de ces dernières années : les bénéficiaires du dispositif Ansej, qui nourrissaient l’espoir de voir l’État passer l’éponge sur leur dette à l’égard des banques, seront certainement déçus par les derniers propos du ministre du Travail.
En visite hier dans la wilaya de Boumerdès, Mourad Zemali, lui-même ancien DG de l’Ansej, a prévenu : « Je le dis clairement, l’effacement de cette dette n’est pas à l’ordre du jour, car c’est une opération contraire à l’esprit de l’entrepreneuriat, d’autant plus que nous voulons former une génération responsable, ayant cet esprit ».
M. Zemali a rappelé en outre qu’il existe des mesures d’accompagnement au profit des jeunes entrepreneurs qui ont rencontré des difficultés qui consistent notamment dans le « rééchelonnement de la dette et l’annulation des pénalités de retard », soulignant que « cela ne signifie pas l’effacement des dettes ».
Des déclarations qui faisaient certainement écho à des manifestations récentes. À la fin de la semaine dernière, des promoteurs ayant bénéficié de crédits dans le cadre des dispositifs Ansej, Cnac et Angem ont marché à Tizi Ouzou en réponse à un appel lancé par le Collectif d’appui à la micro-entreprise (Came). Les initiateurs de ce mouvement de protestation ont évoqué « l’échec de la politique de l’emploi en Algérie » et réclamé l’effacement pur et simple des dettes contractées dans le cadre des dispositifs publics.
Un chômage des jeunes qui reste élevé
Selon les derniers chiffres de l’ONS diffusés en début de semaine, le taux de chômage des jeunes de 16-24 ans est en diminution depuis une année mais reste élevé à 26,9% en avril dernier. L’enquête de l’ONS fait également ressortir une forte diminution du volume de l’auto-emploi (les employeurs et les indépendants) par rapport à septembre 2017, avec un solde négatif de 70.000. Elle relevait en revanche une forte croissance du nombre des salariés non permanents ( plus 180.000) ainsi que, dans une moindre mesure, des salariés permanents (plus 50.000) au cours de la même période .
Des chiffres qui traduisent la persistance d’un chômage élevé parmi les jeunes algériens mais qui sont cependant très inférieurs aux taux enregistrés au cours des années 1990 qui atteignaient à cette époque couramment des niveaux proches de 50% .
Entre ces deux périodes, l’État a mis en œuvre des dispositifs souvent qualifiés, en Algérie comme à l’étranger, de « puissants » et « onéreux », mais qui ont eu un impact significatif sur la situation de l’emploi des jeunes en particulier. Dans la période la plus récente, marquée par d’importantes difficultés budgétaires, c’est cependant à une réduction de la taille et du coût de ces dispositifs publics d’aide à l’emploi que l’on semble assister.
La micro-entreprise à la recherche d’une évolution « qualitative ».
Le volet le plus connu de la politique de l’emploi en faveur des jeunes mise en œuvre depuis environ deux décennies concerne la micro entreprise et s’est exercé par le biais de l’Ansej. Depuis en particulier le début de la décennie en cours, l’État n’a pas lésiné sur les moyens , surtout financiers, pour favoriser la création d’entreprise par les jeunes porteurs de projets.
Les derniers chiffres communiqués par le ministre du Travail évoquaient plus de 375.000 petites entreprises ayant généré 800.000 postes d’emploi qui ont été créées jusqu’à fin 2017. À Boumerdés, hier, Mourad Zemali a rappelé l’objectif de la création de près de 24.000 micro-entreprises durant l’année 2018.
Les déclarations des responsables gouvernementaux insistent désormais sur la nécessaire évolution « qualitative » de ce dispositif. La plus importante des évolutions récentes concerne les effectifs des bénéficiaires. Après un pic de plus de 60.000 dossiers agréés en 2012, ce sont 41.000 micro entreprises Ansej qui ont été créées en 2014 et seulement un peu moins de 24.000 en 2015 selon les chiffres communiqués à la presse par le DG de l’Agence.
Selon des informations non confirmées le nombre ce ces projets seraient descendus en dessous de 20.000 en 2016 et 2017.
Les objectifs chiffrés et très précis annoncés par le plan d’action du gouvernement Ouyahia et confirmés hier par M. Zemali sont à cet égard très significatifs dans la mesure où ils entérinent les évolutions à la baisse du nombre de nouveaux projets agréés tout en fixant un plancher qui vise à enrayer la baisse tendancielle de l’impact de ces dispositifs sur la création d’entreprises et la réduction du chômage sans revenir cependant aux chiffres très élevés du début de la décennie.
Le problème du traitement des impayés
Une autre évolution toute récente vise à s’attaquer spécifiquement aux problèmes de remboursement rencontrés par les bénéficiaires. Avec l’arrivée à échéance dès 2015 et 2016 du remboursement des gros contingents de prêts accordés au début de la décennie, le problème des impayés sur les prêts Ansej a pris des proportions alarmantes que certaines sources n’hésitent pas à évaluer à plus de 50%.
La somme des crédits octroyés à des jeunes dans le cadre de l’Ansej, depuis sa création en 1996 jusqu’à fin septembre 2017, c’est-à-dire en 21 ans, s’élèverait à plus de 1000 milliards de dinars (9 milliards de dollars environ) selon , le ministre du Travail. Mourad Zemali qui a également relevé récemment une « amélioration » du taux de remboursement des emprunts qui aurait atteint 70% en 2017 .
En se gardant bien de ne révéler aucun chiffre sur la taille du problème auquel font face les banques publiques algériennes qui sont en première ligne dans ce domaine, le ministère des Finances avait annoncé pour la première fois en février 2017, que les jeunes porteurs des projets en difficulté financière, relevant de l’ Ansej, pourront désormais bénéficier d’un rééchelonnement de leur dette bancaire.
Des décisions récentes du gouvernement confirment également cette évolution. C’est ainsi qu’« une convention de retraitement des créances ainsi que des agios nés des crédits accordés aux promoteurs Ansej antérieurement au mois de mars 2011, a été signée en septembre 2017, entre les banques publiques, l’ Ansej et la Cnac.
« Cette convention va permettre d’effacer les agios qui sont les intérêts en retard et va permettre aussi un rééchelonnement de la dette bancaire », a indiqué le ministre des Finances ,M. Raouia. Elle va permettre aux micro-entreprises d’avoir une « deuxième chance et redémarrer leur activité « , a ajouté M. Zemali.
Il ne s’agit en réalité que d’une première étape puisque le rééchelonnement ne concerne pour l’instant que les crédits antérieurs à février 2011 soit justement la date à partir de laquelle est intervenue le boom des crédits Ansej.
Le bilan mitigé des « emplois d’attente »
Même s’ils sont loin de faire l’unanimité, les dispositifs liés à la micro entreprise paraissent donner des résultats économiques -sous réserve d’un inventaire et d’un diagnostic plus approfondi que ceux qui ont été menés pour l’instant- non négligeables. Il n’en est pas de même du reste des mesures adoptées par le gouvernement depuis près de trios décennies dans le domaine de l’emploi des jeunes, qui relève plus d’un « traitement social du chômage » que d’une véritable politique de l’emploi.
Ces dispositifs, assez peu connus et peu médiatisés, concernent pourtant un nombre très important de jeunes algériens, et restent pour l’instant la principale parade au chômage de masse mise en œuvre par les autorités. Plusieurs générations de dispositifs de « renforcement d’emploi » se sont succédé depuis la fin des années 80 avec des noms très pittoresques comme l’emploi saisonnier d’intérêt local (Esil), les travaux d’utilité publique à haute intensité de main-d’œuvre (Tup-himo) et l’indemnité pour activités d’intérêt général (Iaig). Ils ont permis , au cours des dernières années, de faire bénéficier les 200.000 jeunes employés chaque année dans le cadre de ces dispositifs d’une rémunération mensuelle en général largement inférieure au salaire minimum.
Les décisions adoptées à l’occasion du boom de ces dispositifs après février 2011 portaient sur l’extension de 9 à 12 mois des contrats de travail relatifs à ces « emplois d’attente ». Combien sont-ils aujourd’hui ces jeunes, en général diplômés, qui doivent se contenter de ces emplois précaires et sous rémunérés ?
Ce qui est clair c’est que dans ce domaine aussi la crise financière est passée par là. Le ministre du Travail l’a encore confirmé hier à Boumerdès : ce sont « seulement » 100.000 postes d’emploi qui seront crées cette année dans le cadre du dispositif d’aide à l’insertion professionnelle (DAIP), dont 65.000 dans le cadre des contrats d’insertion professionnelle et 35.000 dans le cadre des contrats de travail aidé (CTA).
Le pré-emploi : un « cadeau » au secteur privé ?
Une exception et une mention particulière pour la création des contrats de pré-emploi qui s’appelle désormais « contrats de travail aidés » et qui ont des objectifs plus ambitieux que les emplois d’attente créés dans l’administration.
Située entre le traitement social et le traitement économique, cette mesure, mise en place depuis quelques années, prend partiellement en charge les salaires des jeunes primo demandeurs d’emplois pendant une période pouvant aller jusqu’à trios ans. Un dispositif bien assimilé par les employeurs du secteur privé, qui avaient recruté dans ce cadre plus de 20.000 jeunes diplômés depuis 2010.Le succès semble se confirmer puisque ce sont désormais 35.000 contrats de ce type qui sont annoncés cette année .
Un bémol : le dispositif ne fait pas non plus l’unanimité et reste critiqué par ceux qui le considèrent comme un simple « cadeau » aux entreprises privées qui pour la plupart d’entre elles ne confirmeraient pas les emplois en question au terme de leur prise en charge par les deniers publics .