Société

Emploi et taux de chômage : les chiffres officiels sont-ils sincères ?

Le taux de chômage en Algérie a été estimé, en avril 2018, à 11,1% contre 11,7% en septembre 2017, soit une baisse de 0,6 point entre les deux périodes. Peut-on croire ces chiffres officiels ?

Farhat Ait Ali, économiste. Pour commencer, il faudrait peut-être se mettre d’accord sur ce qu’est un emploi, un chômeur au sens local du terme, et sur la méthodologie suivie pour calculer les différents agrégats d’estimation du marché de l’emploi en Algérie.

Ainsi, le premier paramètre est la population active du moment, qui consiste en une estimation de toute la population en âge de travailler, soit entre 16 et 60 ans, n’ayant pas statut d’étudiant, d’appelé du service national et ne souffrant pas de handicap majeur empêchant l’exercice de toute activité lucrative.  À cet effet, la pyramide des âges, les statistiques scolaires et universitaires ainsi que celles du MDN et de la solidarité nationale permettent d’avoir un chiffe sensé englobant les deux sexes et représentant la population théoriquement demandeuse d’emploi.

La population occupée du moment représente l’intégralité de ceux ayant déclaré avoir une occupation rémunérée ou lucrative au moment de l’enquête statistique couvrant la période ciblée, et, à cet effet, la qualité d’assuré social du salarié permanent déclaré ou de profession libérale.

Ceci dit, ces chiffres ne confortent pas ceux des organismes de sécurité sociale qui n’affichent pas plus de 7 millions d’affiliés pour 11 millions d’occupés ou supposés tels. Dans les 7 millions, il y a un million entre stagiaires et étudiants qui sont affiliés de par leur statut. Cela ne laisse que six millions d’affiliés avec une occupation légale, connue et déclarée, soit la moitié de la population active dans laquelle bizarrement les femmes ne sont pas comptabilisées comme de potentielles chômeuses ou actives dans les mêmes proportions que les hommes.

Les chiffres de l’emploi en Algérie ne reflètent, de ce fait, aucune plateforme d’analyse fiable en dehors bien sûr de la reconnaissance de facto comme occupation et emploi créés de toute activité même non déclarée officiellement, mais effectuée par une personne déclarant aux enquêteurs ne pas être à la recherche d’un emploi.

Peut-on dire, à la lumière de ces données, que la méthodologie de l’ONS est contraire à celle prônée par le Bureau international du travail (BIT) ?

Au contraire, elle s’y conforme, mais elle est appliquée telle quelle dans un environnement qui ne se prête pas aux mêmes lectures.

Pour le BIT, tout demandeur d’emploi recensé sans emploi occupé est censé être un chômeur et toute personne active et non employée est censée être à la recherche d’emploi. Cette dernière bénéficie aussi bien des prestations de placement que des aides publiques appelées allocation chômage.

En gros, les salariés sont censés être déclarés aux caisses sociales, principal repère du marché de l’emploi, tous sexes et catégories confondus. De ce fait, l’enquête se fait avec une base de données très étoffées et ne sert qu’à les conforter ou arrondir quelques angles.

On procède comme pour les demandes de logements. Toute demande non effectuée permet de conclure que son absence équivaut à un emploi ou à une extraction du besoin d’en avoir un.

Économiquement, ce raisonnement est boiteux et trompeur. Dans les pays du Nord, la population occupée représente souvent entre 40 et 55% des résidents du pays et 80% des personnes en âge de travailler. Quand le taux de chômage est de 10% cela représente, dans les faits, moins de 5% des résidents. Chez nous, le même taux représente moins de 2,5% des résidents, ce qui est évidement faux. C’est plutôt la population active qui représente moins de 25% des résidents.

L’extraction du quart des résidents et de la moitié de ceux en âge de travailler du compte initial de la population active donne de bons chiffres politiques ou sociaux, mais fausse toute la donne économique.

Ceci dit, dans une économie rentière, les chômeurs ne sont pas toujours ceux qu’on recense comme tels. Certains emplois sont plus proches du chômage technique et intellectuel rétribué que des emplois non déclarés mais plutôt actifs et lucratifs. Cela explique, en partie, les 50% d’économie informelle sans laquelle il n’y aurait pas d’économie tout court et que l’État réprouve dans ses comptes fiscaux mais reconnait dans ses comptes d’emplois existants.

S’agit-il donc de chiffres visant à conforter les politiques dans leurs sempiternelles assurances quant aux performances socio-économiques du pays ?

Comme je viens de le dire, les politiques font de la politique politicienne et non de la gouvernance politique du pays. Leurs discours ne les engagent pas eux mais ceux qui les écoutent.

Quant aux performances socio-économiques du pays, elles ne se reflétèrent pas dans des ratios alambiqués n’ayant aucune emprise sur la réalité, mais dans la croissance effective de la production industrielle, agricole et des services effectifs hors achat-revente, où les marges ne sont pas des valeurs ajoutées mais des ponctions sur les importations tout azimut.

Si les chiffres sur l’emploi étaient effectifs et d’une quelconque incidence sur l’état général de l’économie du pays, on ne finirait pas avec une caisse de retraites ayant un déficit avoisinant 50% de ses dépenses.

Selon un sondage, réalisé par Boston Consulting Group, 80 à 90% de la population algérienne aurait exprimé son désir de quitter le pays pour vivre sous d’autres cieux. N’est-ce pas là une autre remise en question des chiffres optimistes annoncés pêle-mêle ?

Ce cabinet, BCG, si mes souvenirs sont bons, a été mandaté par Sonatrach pour participer à l’élaboration de la loi sur les hydrocarbures avec un autre congénère américain intervenant manifestement dans toutes sortes de créneaux dont le sondage empirique de rue.  Ce cabinet ne se trompe pas tellement sur la nature des aspirations de la jeunesse locale et de quelques adultes, surtout dans les grandes villes du Nord.  Mais son échantillonnage est représentatif d’une tranche d’Algériens dépassant les 18 ans et de moins de 60 ans, ce qui représente globalement 50% de la population. Ce n’est de ce fait pas 80 à 90% des Algériens mais de la tranche sondée. Je doute fort que les moins de 18 ans ou les moins de 14 ans, qui sont presque 12 millions, aient voix au chapitre ou aient une idée précise en la matière digne d’être prise en compte.

Si ce cabinet a effectivement déclaré cela, en spéculant sur l’intégralité du corps social et ses intentions, ceci est grave, et ne le rend pas apte ni assez neutre pour être impliqué dans une loi relative à la source unique actuellement garante du devenir des gouvernants et des gouvernés indigènes.

Et qu’en est-il du travail lui-même. La précarisation n’est-elle pas en train de s’ériger en règle ?

Nous assistons en ce moment plus que jamais à la précarisation de tout : emploi, investissement et même des postes et positions sanctuarisés auparavant.

Et c’est en général ce qui arrive en période de crise dans n’importe quel système à l’instabilité et à l’opacité juridique chronique où les intérêts à court terme des uns prennent le dessus sur les intérêts à long terme de tous.

Permaniser l’emploi suppose la permanisation de la source des salaires qui, elle-même, suppose des valeurs ajoutées effectives dans des domaines créateurs d’emplois, soit des investissements fiables et pérennes.

Et tout ceci suppose une confiance entre toutes les parties en garantissant les biens et les libertés économiques, mais aussi une certitude de toutes les parties que toute activité non légale ou portant atteinte aux intérêts d’autrui et à la loi ne peut perdurer ni s’afficher sans être réprimée.

Or nous assistons à la prééminence du climat inverse dans le pays avec des intentions et des agissements aux antipodes de ces règles élémentaires de bonne conduite économique.

Les combines ayant des parrainages sont malheureusement plus aptes à s’affirmer que les investissements effectifs. Parler d’émergence d’une économie dans ces conditions relève du rêve ou de la fumisterie assumée.

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