Amar Belhimer, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, s’exprime de nouveau sur le blocage des journaux électroniques en Algérie.
Dans un entretien paru dans l’édition de ce mercredi 15 avril du quotidien El Khabar, le ministre évoque les journalistes emprisonnés, la publicité publique et de nombreuses autres questions ayant trait au secteur des médias.
« Pour le blocage des journaux électroniques, il ne concerne que deux titres, Maghreb Emergent et Radio M Post, dirigés par un journaliste qui s’est rendu coupable de diffamation, injure et offense à l’égard du président de la République, dépassant les limites de la déontologie, de la bienséance et de la loi », explique Amar Belhimer, qui laisse entendre que des poursuites judiciaires seront également engagées.
« Le blocage de ces deux journaux est une mesure conservatoire, en attendant la finalisation des procédures de poursuites judiciaires conformément aux dispositions du Code pénal et du Code de l’information. Ce sont des dispositions qui prennent en charge clairement les situations d’atteinte à l’honneur des personnes, notamment la personne du président de la République dans l’exercice de ses missions constitutionnelles », dit-il.
Interrogé sur le projet de régularisation de la presse électronique, Belhimer explique que le chantier est constitué de deux volets : « Le premier a trait à la régularisation de leur situation juridique et nous l’avons entamé à la demande du président de la République qui a insisté sur la nécessité de faire en sorte que la presse électronique sorte de l’ombre et entre dans la légalité. Le texte a été élaboré après des consultations avec les acteurs du secteur et un certain nombre de ministères. Le second volet concerne l’encadrement du monde de la presse sur Internet en prenant en compte le développement de la numérisation. Le texte sera élaboré sur des bases solides et sérieuses et après concertation et débat avec les gens de la profession. »
Journalistes emprisonnés : « Je n’interfère pas dans le travail de la justice »
A propos des journalistes emprisonnés, le ministre dit ne pas souhaiter interférer dans les affaires de la justice. « Il y a effectivement quelques dossiers de journalistes, et ils constituent une infime partie, entre les mains de la justice, et je n’ai pas le droit en tant que ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement d’aborder dans le détail des questions relevant de la justice, seule habilitée à juger si ces affaires relèvent effectivement de la liberté de la presse ou si les journalistes ont été arrêtés pour d’autres motifs. Attendons donc les résultats de l’enquête et le jugement définitif pour savoir de quoi il en est », répond-il, tout en niant toute censure des médias.
« Vous parlez de la censure, comme si la presse était empêchée de faire son travail et que les journalistes étaient interdits d’écrire ou écrivaient sous la dictée. Il y a peut-être une autocensure de laquelle les journalistes doivent se libérer ».
« Les journaux doivent migrer vers le numérique »
Le ministre s’est aussi exprimé sur la crise économique qui affecte les médias et qui, selon lui « ne date pas d’aujourd’hui, même si elle s’est aggravée avec la crise sanitaire ».
« Avant le Covid-19, les causes des problèmes de la presse étaient connues, à savoir la loi de l’offre et de la demande ainsi que le modèle économique choisi par les entreprises de presse et leur mode de gestion des ressources financières et humaines. Sans oublier leur retard à s’adapter à l’avènement des nouvelles technologies et de la numérisation. La crise du coronavirus pourrait être un mal pour un bien, en encouragent la migration des journaux imprimés vers des portails multimédias. Quand on voit que 70% des journaux ont réduit le nombre de pages ou ont cessé carrément de tirer, on se rend compte de l’urgence de la transformation numérique », analyse-t-il.
Amar Belhimer dénonce de nouveau l’anarchie qui a régné pendant longtemps dans le secteur et promet une refonte globale qu’il assimile aux « travaux d’Hercules ».
« Il y a de l’anarchie et beaucoup de mines dans le secteur. Tout doit être revu, réformé et changé. Nous sommes dans une conjoncture historique exceptionnelle qui impose la refondation. Nous avons défini dix grands chantiers de réforme et décidé d’élaborer les textes qui encadreront la presse écrite, audiovisuelle et numérique, la publicité, les sociétés de communication, la diffusion et le sondage d’opinion, sans oublier les questions importantes que sont la carte du journaliste professionnel, les conseils de déontologie et l’encouragement des journalistes à s’organiser au sein de syndicats pour défendre leurs droits moraux et matériels et les libertés », promet-il.
Aucun journal ne survivra sans la publicité publique
L’autre point important évoqué dans l’entretien, c’est la publicité publique qui « représente 65% du marché publicitaire global ». « Elle constitue une forme d’aide indirecte à la presse, qu’elle soit publique ou privée. L’Etat ne fait pas de différence entre elles, afin de sauvegarder l’emploi et la pluralité médiatique », dit-il, excluant la libéralisation de la publicité étatique dans l’immédiat.
« La libéralisation de la publicité publique signifie-t-elle sa soumission à la loi de l’offre et de la demande et le retrait de sa gestion de l’Anep qui s’attèle à sa distribution comme une forme d’aide indirecte aux journaux publics et privés et qui ne peuvent pas vivre sans cette publicité ? Dans cette conjoncture marquée par l’épidémie du coronavirus et du recul des revenus pétroliers, libérer le marché serait le coup de grâce pour la majorité des titres, sinon pour tous les journaux. Les entreprises de la presse écrite sont des petites entreprises fragiles qui ne survivront pas si elles sont privées d’un minimum de publicité publique et institutionnelle », soutient le ministre de la communication.
L’assainissement de l’Anep a commencé
Avant d’appliquer strictement la loi de l’offre et de la demande, il faudra passer par une période de transition durant laquelle le secteur de la publicité publique doit être refondé et assaini, préconise-t-il.
« Le secteur a été ravagé par le cancer de la corruption qui a permis le pompage de l’argent public par des forces extra-médiatiques diaboliques et des clans politiques à l’influence diabolique qui tiraient les ficelles dans l’ombre à l’intérieur de l’Anep. Le détournement de l’argent de la publicité publique pendant vingt ans a donné naissance à une clientèle dangereuse qui s’est enrichie d’une manière indécente et qui a pu s’infiltrer dans les rouages de l’administration, de la presse et des centres de décision à différents niveaux », dénonce-t-il.
Il annonce d’ailleurs que le chantier de l’assainissement de l’Anep a déjà commencé : « Nous avons entamé depuis quelques jours une vaste opération d’assainissement de l’Anep après la nomination à sa tête de mon Conseiller Larbi Ounoughi et le changement total de son conseil d’administration. Leur mission c’est la transformation de l’Anep de boite de distribution de la rente publicitaire en entreprise innovante et créatrice d’emplois et de la faire sortir graduellement de cette dépendance au monopole de la publicité étatique. »