C’est une bien mauvaise année 2019 qui s’achève sur le plan économique. Une crise larvée s’est installée au sein de l’économie nationale dont les effets se font sentir d’une façon croissante. Ils ont été accentués par des politiques gouvernementales inadaptées qui risquent de prolonger et d’aggraver la crise au lieu de la résoudre.
De nombreux signaux d’alarme venus d’associations professionnelles, du secteur du BTP ou des industries de montage notamment, se sont multipliés tout au long de l’année. Ils ont été relayés par les statistiques officielles, celles de l’Office national des statistiques (ONS), ainsi que les prévisions des institutions financières internationales qui évoquent un ralentissement sensible de l’économie nationale.
Les moteurs de la croissance en panne
Pour la plupart des analystes interrogés par TSA, les principaux moteurs de la croissance économique sont aujourd’hui gravement affectés et ont commencé à s’éteindre l’un après l’autre au cours de l’année qui s’achève.
Le premier de ces moteurs, celui qui a été traditionnellement le plus important, est la dépense publique. Il est fortement grippé. Tandis que les dépenses de fonctionnement continuent de battre des records, les dépenses d’équipement de l’Etat ont enregistré une baisse sensible en 2019.
C’est ce qui explique en grande partie les inquiétudes exprimées par beaucoup d’associations professionnelles, qui ont tiré la sonnette d’alarme sur la situation des entreprises dépendantes de la commande de l’Etat. C’est en particulier le cas des entrepreneurs du BTP qui dénonçaient au cours des derniers mois l’accumulation des arriérés de paiement et la baisse de leur plan de charge qui aurait déjà conduit à la fermeture de plusieurs milliers d’entreprises et la mise au chômage de plus de 300 000 travailleurs depuis le début de l’année.
Un secteur privé déstabilisé
Un autre moteur de la croissance a été très sérieusement affecté en 2019. Il s’agit de l’investissement privé. L’impact de la situation politique du pays a été très fortement ressenti par le secteur privé qui a été la première cible de la campagne anti-corruption.
Au cours des derniers mois, dans le cadre de l’opération « mains propres » lancée par les nouveaux décideurs algériens, de nombreux hommes d’affaires parmi les plus en vue ont été placés sous les verrous, bien que beaucoup d’observateurs et de juristes aient souligné que de nombreux autres instruments, bien moins risqués pour les entreprises et les emplois, soient pourtant à la disposition de la justice.
Dans ce contexte, de très nombreux témoignages indiquent sans aucune ambiguïté que l’effort d’investissement des entrepreneurs algériens, à quelques rares exceptions près, est aujourd’hui quasiment à l’arrêt tandis que de vives tensions sont également signalées par les opérateurs économiques notamment en matière de distribution du crédit par les banques publiques.
Une stagnation du PIB et de l’investissement en 2019
Le dernier moteur de croissance encore actif a commence de son côté à donner lui aussi des signes de fatigue en 2019. Il s’agit de la consommation des ménages. Beaucoup de professionnels signalaient au cours des derniers mois une baisse sensible de la demande. Même des secteurs comme l’agroalimentaire semblent désormais être touchés.
Comment l’économie algérienne a-t-elle encaissé le choc ? Pour l’instant, les premiers chiffres disponibles sont très défavorables. On pourrait bien être à la veille d’une stagnation du PIB en 2019 d’autant plus que la croissance prévue initialement pour l’année en cour était déjà anémique.
Dans ses deux derniers rapports trimestriels, l’ONS annonce un fort ralentissement de la croissance qui n’aurait atteint globalement que 0,8 % au premier semestre 2019. Les chiffres sont encore plus mauvais pour l’investissement.
De son coté, la Banque Mondiale estimait, dans un rapport publié en octobre dernier, que « la crise politique que vit l’Algérie devrait provoquer un ralentissement de l’économie du pays, que ce soit dans le secteur des hydrocarbures ou hors-hydrocarbures, avec pour conséquence un taux de croissance du PIB qui baissera à 1,3% en 2019 ».
Le rapport de la BM expliquait que « dans le secteur des hydrocarbures, l’incertitude politique atténue l’espoir d’une augmentation de la production, la révision de la loi sur la fiscalité des hydrocarbures ayant été retardée ».
Il ajoutait que « des dirigeants d’entreprises de divers secteurs ont été arrêtés dans le cadre d’enquêtes sur des affaires de corruption, ce qui a eu pour effet de perturber l’économie en raison de changements soudains dans la direction et la supervision de ces entreprises, ainsi que de l’incertitude planant sur les investissements ».
Des réponses gouvernementales inadaptées
Face à cette situation inquiétante, les réponses apportées par le gouvernement Bedoui ont été largement inadaptées. C’est ainsi que dans le but de limiter le niveau du déficit budgétaire et la dérive des finances publiques, la Loi de finances pour 2019 avait prévu pour l’essentiel de réduire le budget d’équipement de l’Etat de 28%.
Cette contraction de la commande publique a eu des effets dévastateurs sur la croissance économique et l’emploi en plongeant de très nombreuses entreprises du secteur du BTP dans des difficultés insurmontables et en condamnant nombre d’entre elles à disparaître ainsi que le signalent depuis plusieurs mois les associations du secteur.
Autre exemple des « réponses » élaborées par le gouvernement Bedoui : en juillet, le ministre des Finances annonçait que « pour faire face à l’érosion continue des réserves de change, le gouvernement s’est récemment engagé dans une démarche basée sur la rationalisation des importations des biens, à travers leur limitation aux besoins réels du marché national, en attendant la généralisation de cette approche aux services ».
Au cours des derniers mois, ce sont successivement les activités du montage automobile, de l’électroménager, de l’électronique grand public ainsi que, tout récemment, les minoteries qui se sont vus imposer des quotas d’importation en forte baisse et qui ont fortement réduit leur niveau d’activité en contraignant beaucoup d’entreprises à prendre des mesures de chômage technique.
Plus récemment, le ministère des Finances a instruit les banques, dans le but formulé explicitement d’« économiser les réserves de change », de « remplacer le paiement cash des importations actuellement en usage, par le recours au différé de paiement de neuf mois, s’agissant des opérations des produits électroménagers et de téléphone ». Le résultat n’a pas tardé. Les associations du secteur affirmaient déjà ces dernières semaines vivre sur leurs stocks et annonçaient la probable fermeture de près de 30 usines avant la fin de l’année.
Le nouveau gouvernement en cours de formation devra rapidement tourner la page d’une année économique 2019 dont les résultats définitifs seront probablement encore plus mauvais que ne l’indiquent les premières estimations globales. Il devra surtout trouver de nouvelles réponses, plus innovantes et plus courageuses à une crise économique qui risque de s’installer durablement.