Un jeune de 36 ans a été mortellement poignardé le 25 août au cours d’une bagarre en pleine rue à Soumâa dans la wilaya de Bilda.
Dans la soirée de mardi, un père a tué ses trois enfants et sa femme, avant de tenter de se donner la mort en se jetant de la fenêtre de son appartement à la cité Bouzered Hocine à Annaba.
Ces drames ont choqué les Algériens. Ils relancent le débat, la question de la criminalité et l’ampleur qu’elle a prise dans les cités et quartiers d’Algérie. Les chiffres de la délinquance en progression des deux dernières années inquiètent.
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En février dernier, le Contrôleur général de police Arezki Hadj Saïd affirmait que les principaux indicateurs de criminalité en Algérie en 2021 ont fait ressortir une augmentation des crimes par rapport à 2020.
Sur 205 570 affaires criminelles traitées en 2021, 68 000 ont concerné des affaires de crimes d’atteinte aux personnes. Au début de 2021, la Sûreté nationale annonçait que les indicateurs principaux des crimes enregistrés en 2020 par rapport à 2019 ont démontré « une hausse nette de la criminalité sous toutes ses formes ». Le trafic de drogue a connu une hausse de 39,20% en 2020 en comparaison avec 2019. Criminalité et trafic de drogue sont donc liés.
Le président Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (Forem), Mostefa Khiati, se montre préoccupé par l’ampleur prise par la criminalité sous toutes ses formes en Algérie.
« Il y a un nouveau phénomène qui est celui des bandes organisées qui posent un réel problème de sécurité dans les quartiers et dans les villes. Je pense que les services de sécurité sont conscients de ce phénomène qui prend de l’ampleur », souligne le Pr Khiati.
« On peut discuter des raisons sociologiques et psychologiques, mais il faut aujourd’hui mettre en place des plans d’endiguement de la criminalité », poursuit-il.
Pour cela, ajoute le président de la Forem, il faut des mesures comme interdire le port d’armes blanches et de faire des contrôles, le tout assorti d’amendes ou d’emprisonnement s’il y a récidive.
« Il ne faut plus que des jeunes se promènent avec des couteaux dans les poches », prévient-il.
Si les services de sécurité annoncent régulièrement des saisies de psychotropes et de drogues dures notamment, pour le Pr Khiati ce n’est pas par des opérations coups de poing « qu’on va endiguer le phénomène ».
Il plaide pour la mise en place d’un dispositif permanent. « L’opération coup de poing est conjoncturelle qui a lieu à un moment donné et dès que les lampions des services de sécurité s’éteignent, les gens reprennent leurs habitudes », analyse le Pr Khiati qui appelle à s’inspirer des méthodes de certains pays en matière de lutte contre cette forme de criminalité.
« Il y a une expérience qui a eu lieu en Angleterre où, il y a quelques années, les lycéens avaient tous des couteaux dans leurs cartables parce qu’il y avait des bandes qui étaient organisées autour des écoles. Il y a eu des mesures qui ont été prises, comme le contrôle des cartables à l’entrée de l’école. Il y a eu aussi des poursuites contre les récidivistes, etc. On pourrait s’inspirer de ce qui se fait à l’étranger en matière de répression de cette criminalité. Des pays ont obtenu des résultats très positifs dans ce domaine », note le président de la Forem.
« En Algérie, la lutte contre la grande criminalité surtout celle des bandes devient une priorité », estime le Pr Mostefa Khiati.
La consommation de psychotropes par les membres des bandes criminelles se greffe au phénomène de la violence. « Quand on constitue une bande, on a franchi une ligne rouge, c’est-à-dire qu’on est entré dans un stade ouvert de criminalité. Dès lors, tout est permis de l’autre côté : les agressions, le vol, le rançonnement… Et pour montrer leur force, ils utilisent les moyens vils avec usage d’armes blanches de différents types », explique notre interlocuteur.
Le Pr Khiati insiste sur la prévention avec l’ouverture de centres d’écoute en faveur des jeunes et essayer de diminuer ce qui puisse exister dans les cités où les jeunes « se voient comme des anonymes ».
« Les jeunes ont des choses à dire mais on ne les écoute pas »
Professeur de psychologie clinique à l’université d’Oran II, Fatma-Zohra Sebaa, estime qu’il y a « un travail sérieux à faire conjointement (ministères de la solidarité nationale, de la jeunesse et des sports, l’éducation nationale, la justice) pour prendre en charge les centres de rééducation pour enfants ».
A Oran, dit-elle, il y a un pour les garçons et un autre pour les filles. « Il n’y a aucun programme à l’intérieur. On apprend aux filles la cuisine, la couture ou la coiffure mais on ne va pas leur apprendre à être autonomes, indépendantes, à donner de la valeur à la notion de travail. On leur donne à boire et à manger en attendant que leur peine passe », regrette Fatma-Zohra Sebaa qui a beaucoup travaillé sur la délinquance féminine en Algérie.
Le cas des garçons est un peu différent, selon Mme Sebaa. « Les garçons sont beaucoup plus outillés. On leur permet un peu de formation professionnelle pour certains centres. Mais il n’y a aucun travail de fond auprès de l’individu lui-même », décrypte la psychologue. Elle estime qu’il faut « tout revoir » en matière de prise en charge des jeunes dans les centres de rééducation.
La psychologue pointe l’absence de communication et le problème qu’il y a à donner la parole à ces jeunes qui ne font pas partie du circuit de prise en charge.
« Les jeunes ont des choses à dire mais on ne les écoute pas », dit Mme Sebaa qui a participé à un travail académique qui l’a mené à parcourir l’ensemble du territoire national.
« Ils ont des choses à proposer. Quand un jeune passe des années à essayer de parler, à essayer de dire ce qu’il pense et quand on lui dit « non tu es trop jeune tu ne sais pas », il y a des fortes chances que cela se transforme en comportements agressifs pour imposer ce qu’il veut dire », prévient la psychologue.