Économie

En Algérie, la réforme de l’économie devra encore attendre

En matière de réformes économiques en Algérie, une conclusion s’impose avec de plus en plus de clarté : Il y a un décalage considérable entre ce que le gouvernement annonce et ce qu’il fait en réalité.

Depuis plusieurs mois, les médias nationaux relaient très largement les déclarations de différents membres du gouvernement qui évoquent en chœur  la mise en route de chantiers de réformes tous azimuts au cours de l’année 2021.

Sur le papier, la liste est impressionnante. Le ministre des Finances, Aymen Abderrahmane, annonce à la fois une ambitieuse réforme financière et bancaire avec ouverture du capital des banques publiques, une vaste réforme fiscale ainsi que la révision du système de subvention et le ciblage des aides de l’État au profit des plus nécessiteux.

Le ministre de l’Énergie, Abdelmadjid Attar, n’est pas en reste. Il évoque la dynamisation du secteur des hydrocarbures et la fin du déclin de la production entamée depuis plus d’une décennie grâce en particulier à un nouveau cadre juridique plus incitatif.

L’amélioration du climat des affaires et l’attraction des IDE, que devrait permettre l’abandon de la règle du 51/49, est également au programme des membres du gouvernement Djerrad qui annoncent  le développement d’un partenariat international ambitieux et rénové aussi bien dans les industries minières que dans la construction automobile.

À y regarder de plus près, ces différentes réformes annoncées à grand renfort de déclarations d’intention semblent toutes avoir un point commun. Elles apparaissent comme tout à fait prématurées et souffrent d’une absence très générale de maturation.

Au chapitre de la réforme bancaire, les  spécialistes les mieux intentionnés se félicitent de l’intention du gouvernement d’ouvrir le capital de 2 banques publiques. Les mêmes experts soulignent aussitôt que ce projet a déjà été annoncé à plusieurs reprises et sans résultat au cours des 15 dernières années.

Aucun des obstacles qui ont empêché sa réalisation ne semble aujourd’hui avoir été levé. La privatisation même partielle de 2 banques publiques (il s’agirait de la BDL et du CPA bien que le gouvernement n’ait encore rien précisé à ce sujet) nécessite un assainissement préalable de leur portefeuille qui risque d’être une opération longue et difficile.

Le passage par la Bourse, qui est l’option affichée par le ministre des Finances, qui le préfère au choix d’un partenaire stratégique international, soulève également de nombreuses interrogations.

Il s’agit d’un processus très long et complexe dont le succès final repose sur le rétablissement de la confiance avec les épargnants. Un succès loin d’être assuré si on se rappelle du véritable fiasco qu’a été dans ce domaine, la dernière en date des opérations d’introduction à la Bourse d’Alger d’une entreprise publique qui concernait la cimenterie publique d’Ain Kebira dans la wilaya de Sétif.

Le serpent de mer de la réforme des subventions

Un autre grand projet de réforme est au programme de tous les gouvernements depuis près d’une décennie. Il s’agit de la révision  du système de subvention et du ciblage des aides de l’État au profit des plus nécessiteux.

Le  ministre des Finances a annoncé voici quelques semaines dans les studios de la Radio algérienne qu’« une révision de la politique des subventions de l’État est en cours ».

A l’image de tous ses prédécesseurs, M. Abderrahmane a pris la précaution de souligner la nature « complexe et sensible » de ce processus, tant sur le plan économique que social.

Le ministre explique que son département a d’ores et déjà « défini les critères ouvrant droit à ce soutien », soulignant, constat maintes fois ressassé, qu’il « est anormal que les catégories aisées acquièrent les produits subventionnés au même prix que les citoyens à faible revenu ».

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M. Abderrahmane ajoute que « le gouvernement a mené une  étude dans laquelle des outils d’identification et de ciblage des familles touchées par les réformes des subventions ont été mis en place, ainsi que des outils pour mesurer et évaluer les effets de la levée progressive de ce soutien ».

Il fait ainsi allusion à une étude déjà évoquée par au moins 2 de ses prédécesseurs et qui semble avoir été réalisée avec l’aide de la Banque mondiale au premier semestre 2018.

La seule véritable nouveauté annoncée par le gouvernement sur ce dossier est encore à l’état de projet. Il s’agit de la création « prochaine » d’une « Agence » relevant du ministère des Finances qui sera chargée de mettre en œuvre et gérer un programme de ciblage et d’indemnisation des familles affectées par le programme de réforme des subventions.

Le mauvais signal dans ce domaine, qui illustre sans doute la fermeté de ses intentions réformatrices, c’est que le gouvernement vient de faire marche arrière précipitamment en renonçant à une révision sélective des prix de cession des céréales aux minotiers nationaux en raison de l’absence de maturation de ce projet dont la mise en œuvre avait été confiée à l’OAIC qui s’est avoué bien incapable d’instaurer un double tarif en fonction de la spécialisation de ses clients.

Loi sur les hydrocarbures : des décrets d’application qui se font attendre 

Dans le secteur de  l’Énergie, Abdelmadjid Attar, qui vient d’annoncer un recul de la production de Sonatrach de 8 % en 2020, promet un rattrapage accéléré en 2021 avec une croissance de la production de 12 %.

Cet objectif ambitieux doit permettre d’enrayer le déclin continu de la production nationale d’hydrocarbures enregistré depuis plus d’une décennie.

En fait c’est un véritable exploit que le ministre attend du champion pétrolier national puisque cette augmentation record de la production doit s’accompagner selon les chiffres qu’il mentionnait voici quelques jours « d’une baisse des investissements de 35% et des dépenses d’exploitation de 12 % en 2021 » conformément aux orientations du chef de l’État formulées au printemps dernier.

Pour compenser cette réduction de ses ressources, Sonatrach  aurait pu s’appuyer sur un nouveau cadre juridique plus incitatif pour les partenaires étrangers.

D’autant plus que le ministre de l’Énergie insiste beaucoup sur le développement en partenariat de la pétrochimie dans le but de valoriser localement les ressources de notre sous-sol.

Malheureusement, c’est M. Attar lui-même qui le souligne, la nouvelle loi sur les hydrocarbures votée par le parlement à l’été 2019, voici donc près de 18 mois, n’est pas encore prête.

La raison ? Le retard dans la préparation des décrets d’application dont la rédaction a été confiée dans un premier temps à Sonatrach puis au ministère de l’Énergie, dont le ministre tient un décompte précis. Aux dernières nouvelles, il en manque encore six « qui seront finalisés au premier semestre 2021 » selon M. Attar  qui s’exprimait sur ce sujet voici quelques jours.

Les travaux d’Hercule du secteur des mines

Les exploits attendus de Sonatrach et du secteur de l’Énergie en 2021  ne sont encore rien comparés aux véritables travaux d’Hercule promis au secteur minier national.

Dans ce domaine, ce sont des projets qui figurent dans les cartons de différents  ministères depuis près de cinquante ans qui sont appelés à se concrétiser pour certains d’entre eux « dès le printemps prochain » (sic) ; si on en croit le ministre de tutelle, Mohamed Arkab.

Sans parler de l’exploitation de l’or du Hoggar confiée à quelques dizaines de coopératives de jeunes avec les chances de succès que l’on imagine, les principaux dossiers  concernent les projets pharaoniques de développement du gisement de fer géant de Gara Djebilet et celui des phosphates de la région de Tébessa.

Dans les 2 cas on ne peut qu’être frappé  par le contraste entre les annonces gouvernementales et l’absence de maturation des projets. De nombreux experts nationaux ont recensé au cours des derniers mois les nombreuses difficultés auxquelles se heurtent encore le développement de ces projets.

Ils soulignent notamment les difficultés techniques liées à leur mise en œuvre qui se traduisent notamment par l’absence à l’heure actuelle d’identification d’un partenaire technique international capable de surmonter les obstacles technologiques qui ont empêché le développement de ces gisements depuis de nombreuses décennies.

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 Dans le cas des phosphates de Tébessa, le partenaire technique chinois retenu voici déjà quelques années semble s’être retiré du projet de façon encore inexpliquée. Pour Gara Djebilet c’est également sur un partenaire chinois encore non identifié que semble compter les autorités algériennes.

Les difficultés sont également de nature financière,  s’agissant dans les deux cas de projets qui vont mobiliser plusieurs milliards de dollars d’investissements dont une grande partie (jusqu’à 80 %)  est censée être apportée par les partenaires internationaux.

La dernière « difficulté » réside enfin dans les délais nécessaires pour l’entrée en exploitation éventuelle de ces projets.

La plupart des experts évoquent  une fourchette de 5 à 8 ans pour réaliser non seulement les installations techniques mais également les équipements d’accompagnement qui comprennent notamment des lignes de chemins de fer, des usines de dessalement  et l’aménagement des ports.

Aux dernières nouvelles, on vient d’apprendre de la bouche même du ministre des Mines, qui s’exprimait le 23 janvier dernier, que les 2 projets sont encore « actuellement en phase de recherche d’un partenaire technologique potentiel et que des appels à manifestation d’intérêt seront lancés en 2021 ».

Quand l’agenda politique prime sur les réformes économiques

En fait  tout se passe comme si les  différentes « réformes de structure » de l’économie annoncées à grand renfort de publicité depuis la fin de l’année dernière visaient principalement à masquer la réalité de la pratique économique de l’Exécutif.

Dans la pratique, la Loi de finances 2021 affiche des déficits des comptes publics compris entre 14 et 18 % du PIB. Un niveau sans précédent dans l’histoire du pays.

Contrairement aux engagements du Chef de l’État, les dépenses de fonctionnement, déjà proches de 40 milliards de dollars, vont encore augmenter de près de 12 % en 2021 suivant les prévisions officielles.

De quoi assurer le paiement des salaires des fonctionnaires en poste, recruter près de 90.000 nouveaux agents de l’État et financer la promesse du président Tebboune de titulariser plusieurs centaines de milliers de vacataires et assimilés (On parle de près de 400 000 bénéficiaires de cette mesure).

Outre cette nouvelle progression du train de vie de l’État, aucun des dossiers économiques les plus brûlants n’est pris en charge. La Loi de finances 2021 ne prévoit pas la moindre révision des prix des carburants ou de l’électricité. La réforme du système de subventions énergétiques qui consomme près de 15 milliards de dollars par an (près de 10 % du PIB) a de nouveau été renvoyée à des jours meilleurs.

Aucune trace non plus d’une éventuelle  réforme du financement des retraites des Algériens qui accuse un déficit considérable et dont plus de la moitié est assurée directement par le budget de l’État pour un coût annuel supérieur à 5 milliards de dollars. Selon nos sources, en 2021 c’est de nouveau le Fonds national d’investissement ( FNI) qui sera  appelé à la rescousse pour combler l’énorme déficit de la CNR en faisant tourner la planche à billet .

Tandis que  de nouvelles élections législatives sont prévues au printemps prochain, l’agenda politique du régime semble de nouveau primer sur les réformes économiques.

En dépit de la bonne volonté et sans doute de la sincérité réformatrice de certains membres de l’Exécutif  (On pense en particulier au ministre chargé de la « prospective », Cherif Belmihoub, ou à celui de l’Énergie, Abdelmadjid Attar  ), les arbitrages rendus au plus haut niveau de décision ne se sont pas traduits par la confection d’un programme de réformes cohérent et crédible qui n’est affiché nulle part .

Concrètement,  alors  que les réserves de change ont déjà été réduites de près de 150 milliards de dollars depuis 2014, et ont vraisemblablement terminé l’année 2020 à un niveau à peine supérieur à 40 milliards de dollars, le gouvernement ne propose aujourd’hui aucune réponse économique  autre que la fuite en avant dans la dépense budgétaire et la poursuite de la consommation des réserves financières.

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