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En défense d’El Mortada Iamrachen, victime de l’impéritie du régime marocain

El Mortada Iamrachen, figure du Hirak rifain, a été condamné à cinq ans de prison ferme sur des accusations kafkaïennes. Le Desk avait démontré les tenants de cette vengeance d’Etat. Il faut aujourd’hui nous interroger sur cette justice d’abattage et exiger des comptes à nos gouvernants, pour notre bien commun

Je peux valablement dire que je connais l’homme, ses principes, son engagement, ses idées et ses valeurs pour l’avoir côtoyé des mois durant.

Oui, il a été salafiste par le passé, comme d’autres ont été gauchistes révolutionnaires et antimonarchistes, so what ?  C’est leur passé, voire leur présent de militants pour des causes que la société marocaine et les événements du monde ont forgées dans l’esprit de nos concitoyens. Je ne partage pas certaines de leurs idées, l’islamisme en particulier, mais je salue pour beaucoup leur prise de conscience politique, alors que la majorité d’entre nous se complait dans sa zone de confort, aussi ténue soit-elle. Rasons les murs, abreuvons-nous du conservatisme ambiant, c’est là où réside toute notre défaite d’hommes verterbrés et supposément libres.

El Mortada n’a pas trente ans. Il a grandi à Al Hoceima, dans ce Rif martyrisé, dans un environnement où l’accès à une vie décente et au savoir est un combat de tous les jours, souvent perdu d’avance. Le roi en a constaté les plaies béantes avec le rapport Jettou, mais aussi des années auparavant, ayant pris pleine conscience de ce gâchis à son accession au trône lorsqu’il a entrepris à sa manière de briser l’enfermement de cette région, maudite par son père pour les raisons historiques que l’on sait. Il a cependant donné blanc-seing aux sécuritaires à l’aune de la crise sociale d’Al Hoceima, alors que tout démontre que leur gestion a été aussi pathétique, catastrophique que dangereuse.

J’ai, aux prémisses de la mise au pilori d’El Mortada, démontré que les accusations qui l’accablaient étaient fallacieuses, montées de toutes pièces par les tenants de la vengeance d’Etat et de leurs suppôts médiatiques. Ceux qui malmènent les figures du Hirak, ceux qui se jouent de leur vie, de leur engagement, ceux aussi et surtout qui en font un commerce détestable ont été épargnés, et même plus, ont gagné en galon en fustigeant la contestation.

La veille de son audience et de sa condamnation aussi choquante qu’inattendue pour terrorisme, El Mortada était mon hôte à domicile, affable et courtois comme à son habitude. Moi, le « moderne », mon verre de whisky à la main, lui « le barbu » sirotant son thé, nous avons, cette soirée, brièvement parlé du fracas du monde. Je parle de cette scène, non pas pour débattre de nos choix de vie en particulier, mais  pour vous questionner justement sur ce que vous pensez de la  modernité. Est-ce le fait de vivre hors sol, calfeutrés et absents de ce qui est dérangeant, perturbateur, qui fait ainsi de vous des mollusques ? Vous qui dirigez, gérez, participez à la gestion des administrations, offices, entreprises, associations, communautés, vous, élus, politiques, fonctionnaires, acteurs de la société civile, journalistes, artistes, créatifs, entrepeneurs libéraux, ouvriers, employés, étudiants, militants, simples citoyens, que dites-vous de cela ? Etes-vous devenus amorphes, inertes, désespérants à ce point ?

Ai-je accueilli sous mon toit un dangereux terroriste ? Si oui, je mérite alors de le rejoindre en cellule. Ai-je été séduit ou trompé par ses idées entristes comme pourraient faussement le prétendre certains ? Non, il n’est pas de ce type. Il est de ceux qui veulent réconcilier cette société perdue, fracturée et désemparée. Il est laïc comme personne ne pourrait encore comprendre ce concept chez nous. Cet homme à qui on vient de voler son avenir, qui débecte la violence, qui se cherche encore mieux que la plupart d’entre nous, vient d’être anéanti sans raison, ou plutôt pour la raison d’Etat.

J’ai donc décidé de me battre pour cet ami improbable selon les critères convenus, parce que non seulement il est victime d’une grave injustice, mais parce qu’il est en plus le symbole vivant de notre grand malaise. J’ai dans l’espoir que vous serez tous –  quelles que soient vos convictions –  intelligents pour ne pas être réduits à la vision de sa barbe ou des bêtises qui ont participé à son envoi au cachot. Il a pris cinq ans, comme d’autres, certains anonymes, formant le contingent expiatoire du Hirak, qui ont été jetés en prison pour avoir crié leur désespoir, jeté une pierre, crié un soir de mobilisation, ou simplement pour rien.

Des ministres et sous ministres ont été démis de leur fonction, à tort ou a raison. Mais, où sont les attendus de l’enquête qui justifie de telles sentences que seules quelques images officielles d’un maroquin en cuir tendu au roi nous ont attesté de l’existence d’un rapport les accablant ? Où est la logique d’envoyer au bûcher des centaines de jeunes protestataires alors que l’Etat reconnait pour se soustraire à sa responsabilité que le raz-le-bol est justifié ?

Dans quel monde surréaliste vivons-nous ? Je ne vous demande pas d’être favorable au Hirak ou pas, ni d’être conciliants avec El Mortada Iamrachen ou Nasser Zafzafi et consorts, je vous demande d’être absolument exigeants avec notre justice, nos gouvernants dans cette logique de reddition des comptes que Mohammed VI lui même fait l’alpha et l’oméga de ses discours. Il en va de l’avenir de notre société, de sa cohésion, de notre bien-être, de notre sécurité. L’espoir de voir nos générations à venir, celles de nos enfants, vivre sereinement tient à notre capacité aujourd’hui de l’être dignement, et surtout ensemble, en toute liberté.

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